Irak : Les familles s’en vont en guerre

1 décembre 2005  |  dans International

photo : DR

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Depuis l’invasion, des parents se sont engagés dans le mouvement pacifiste. Ils dénoncent les conditions dans lesquelles leurs enfants sont morts au front.


Gordon avait 18 ans. Philip 19. Thomas 20. Envoyés en Irak « pour apporter la démocratie », ils n’en sont jamais revenus. Ils sont 98 « héros » britanniques à avoir ainsi perdu la vie au front. « Deux ans après, la coalition n’a ni apporté la démocratie, ni découvert d’armes de destruction massive. Nos fils sont morts pour rien. » Le regard perdu dans sa tasse de café, Peter Brierley retient ses larmes. « Mon fils Shaun ne voulait pas être soldat. Mais il n’avait pas de travail », s’énerve-t-il. Son poing s’abat sur la table. Shaun, 29 ans, est mort en 2003, un mois seulement après le début de la guerre, dans une attaque à la bombe. « Un officier m’a apporté un fax de cinq page, raconte son père, mais c’était tellement technique que je n’ai rien compris. » Il secoue la tête, peine à trouver ses mots. Cet agent de sécurité n’a pas l’habitude de s’épancher. Mais aujourd’hui, il veut que « quelqu’un paye pour la mort de son fils ». Alors, avec les vingt autres familles de l’association Military Families Against the War, il a saisi les tribunaux pour faire reconnaître la responsabilité du gouvernement de Tony Blair et de l’armée dans la disparition de son enfant. « Un jour ou l’autre, les juges conviendront que mon fils n’aurait pas dû mourir. » Pourtant, il y a trois semaines, la Haute Cour de justice a débouté les familles et reconnu la légalité de l’envoi des troupes. Mais d’autres commissions d’enquête ont été ouvertes pour éclaircir les circonstances de la mort d’une dizaine de soldats.

Et notamment celle de Gordon Gentle, 18 ans. Sa mère, Rose, est la première des « mums » (les mères de soldats morts au combat) à s’être engagée dans le mouvement anti-guerre. « Je n’accepte toujours pas la mort de mon fils », affirme-t-elle. Le regard glacé par la colère, elle raconte qu’au téléphone, Gordon était paniqué. Après une formation de six mois seulement, il a été envoyé dans les zones les plus dangereuses. Sans gilet pare-balles.

Pauvres recrues

Gordon ne s’était pas engagé par vocation. Mais, alors qu’il va pointer à l’Office pour l’emploi, on lui propose d’intégrer l’armée. Pendant plusieurs semaines il refuse, puis finit par accepter. « Il n’y a pas beaucoup de travail dans la région », regrette Rose Gentle. En Irak, le jeune soldat ne tiendra que trois semaines. Il est tué le 24 juin 2004.

Ghali Hassan, spécialiste de l’Irak à l’université de Curtin, en Australie, explique que la plupart des militaires anglais sont enrôlés à partir de seize ans. Et que les centre de recrutement « sont plus nombreux dans les régions pauvres ». Le ministère de la défense britannique se défend : « Nous recrutons dans tous le Royaume-Uni. » Mais ajoute aussitôt : « Pour l’armée, le marché du travail est plus intéressant dans les régions les plus défavorisée – Ecosse, Pays de Galles, Yorkshire… » Gordon venait d’Ecosse, Shaun du Yorkshire.

Le Gallois Thomas Keys, mort à 20 ans, était, lui aussi, originaire d’une ville pauvre. Son corps a été retrouvé criblé de balles en juillet dernier, dans un commissariat du Sud de l’Irak. Selon une enquête de The Observer, hebdomadaire anglais, lui et cinq des ses camarades avaient été envoyés sur le terrain « avec trois fois moins de munition que prévu et du matériel lamentable ». Pire, l’armée aurait été avertie de l’attaque menée par les insurgés irakiens. Le père de Thomas, Rege Keys, juge ces révélations, qui s’appuient sur la correspondance de l’armée, « proches de la vérité ».

Depuis le début de la guerre, en mars 2003, plusieurs rapports ont fait état d’équipement défectueux et d’opérations de secours mal menées. Mais le ministère des Affaires étrangères assure « que l’armée a su tirer les leçons du passé ». Quant au ministère de la Défense, il refuse de communiquer : « Pas de commentaire sur les enquêtes en cours ». En attendant, les camarades de Shaun, Philip et Thomas continuent de tomber « au champ d’honneur ». Quant aux parents de Militray Families Against the War, ils se préparent à manifester. Au centième soldat tué, cent manifestations auront lieu à travers toute la Grande-Bretagne.