Nouvelle peau à hauts risques

3 février 2007  |  dans Santé

eclaircissement

photo DR

En France, des milliers de femmes noires sont prêtes à tout pour devenir plus claires. Au risque d’abîmer, voire d’y laisser, leur peau.

Le produit est vert fluo. Une étiquette rédigée au stylo indique « Eclaircissant naturel à base d’aloé vera ».
Le récipient, visiblement un ancien petit pot pour nourriture de bébé, sort juste du réfrigérateur dissimulé dans l’arrière-boutique d’un salon de coiffure afro du XVIIIe arrondissement de Paris. « Je garantis une peau blanche comme le lait au bout d’une semaine, mais il ne faut pas arrêter le traitement, sinon la carnation reprend sa couleur d’origine », certifie la vendeuse. Son teint clair, les tâches brunes sur son visage et les vergetures sur ses bras montrent qu’elle est une fervente utilisatrice de la crème blanchissante. Elle poursuit : « aucun risque, il n’y a que des plantes. » Mais à moins d’un contrôle par un laboratoire, il est impossible pour la commerçante, comme pour la cliente, de vérifier ce que contient réellement cette crème. Elle fait partie des dizaines ou des centaines de milliers de produits cosmétiques vendus à la sauvette sur le marché français.

Le bon sens amène cependant à penser qu’un produit éclaircissant dissimulé dans une arrière-boutique ne contient pas que de l’aloé vera (une plante qui n’a aucune vertu blanchissante). En revanche, il pourrait contenir de l’hydroquinone, un produit utilisé dans l’industrie du caoutchouc et interdit à la vente dans l’union européenne depuis 2000. Et pour cause, la substance provoque irritations, eczémas, taches blanches ou noires irréversibles. Mais il peut également s’agir de mercure ou de dermocorticoïde, encore plus nocif pour la santé des utilisateurs (certains peuvent, s’ils sont utilisés a forte doses, entraîner la mort).

Chaque année et au moins depuis 1997, les douanes procèdent à la saisie de plusieurs milliers de ces produits – crèmes ou médicaments – blanchissants destinés à la revente dans les communautés africaine et asiatique (notamment pour des magasin du XVIIIe arrondissement). La plupart est découverte lors du contrôle des voyageurs dans les aéroports et à la frontière italienne. En 2004, par exemple, des douaniers de Roissy ont intercepté 15 000 tubes dissimulés dans le fret commercial d’un avion en provenance du Sénégal. Mais les produits peuvent également venir des Etats-Unis, de Suisse, d’Asie, etc. La législation européenne, très sévère en cette matière, est l’une des rares à interdire l’usage de l’hydroquinone (les Etats-Unis considèrent, par exemple, que dosée faiblement à 2%, la substance ne comporte aucun risque). Pourtant, elle présente des failles que les spécialistes de la question dénoncent mais dont les professionnels de l’ethnocosmétologie ont su tirer profit. Ainsi, une directive européenne autorise les laboratoires et industries à produire ces cosmétiques à base d’hydroquinone sur le territoire français lorsque ceux-ci sont réservés à l’exportation. « Il y a environ trois ans, notre service juridique s’est inquiété de ce vide, explique Arila Pochet, responsable du service de cosmétologie de l’Association française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). On lui a fait comprendre qu’il y avait de gros intérêts économique en jeu et qu’il était de la responsabilité de chaque pays d’interdire l’hydroquinone. » Ainsi, ces cosmétiques, dont la toxicité à été prouvée, partent légalement en direction des Etats-Unis et de certains pays d’Afrique, où l’hydroquinone est autorisé. Par exemple, la société MGC, dont le siège est à Paris, dispose de laboratoires en France (dont l’adresse est confidentielle) et fabrique des cosmétiques à base d’hydroquinone. La société Sogeci, qui détient la gamme de produits Clarissime, a un laboratoire au Maroc où elle produit des cosmétiques à base d’hydroquinone qui sont ensuite envoyés en Afrique.

En toute légalité…

Autre faille du système : les produits de cosmétologie ne sont soumis à aucune restriction particulière, contrairement aux médicaments, qui nécessitent, eux, une autorisation de mise sur le marché délivrée par l’Afssaps. « Nous faisons confiance aux laboratoires des entreprises cosmétiques pour effectuer toutes les analyses nécessaires, les contrôles du Service de la répression des fraude se font une fois qu’ils sont dans les rayons », affirme la responsable de l’Afssaps. Ainsi, deux nouveaux produits sont apparus en toute légalité sur le marché français (y compris chez les distributions de renom) : l’arbutine et l’acide kojique, censés éclaircir la peau plus lentement que les cosmétiques interdits. Ces substances seraient moins dangereuses, mais les analyses de toxicité de l’Afssaps sont en cours. Selon Arila Pochet, « l’Afssaps n’ira pas dans le sens d’une interdiction totale, mais peut-être dans celui d’une limitation de la concentration des ces substances. »

La Suisse, elle a déjà interdit les deux substances. Le Département d’action sociale et de la santé helvète affirme en effet que « ces produits fonctionnent sur le même principe que l’hydroquinone, l’inhibition de la mélanine. C’est pourquoi nous ne les autorisons pas pour le moment, faute de garantie suffisante sur leur innocuité ». La Suisse est précurseur en la matière. Dès 2003, ce pays a organisé une campagne de contrôle du dosage de l’hydroquinone dans les produits cosmétiques disponibles sur leur territoire. Les résultats sont accablants : 50% des produit testés contiennent des substances non autorisées. En 2005, les autorités procédaient à un nouveau contrôle de grande ampleur. Cette fois, 75% des produits contenaient des substances illicites. Pire, les inspecteurs constataient que la moitié était fabriquée par des laboratoires français.

En France, à notre connaissance, aucune étude de cette envergure n’a été réalisée. La plupart du temps, il s’agit de contrôles ponctuels du Service de la répression des fraudes dans les boutiques, ou des douanes à la frontière. Les produits, lorsqu’ils sont saisis, ne font pas l’objet d’analyses publiées et les marques des produits illicites ne sont pas rendues publiques. Le docteur Antoine Petit, responsable du service de dermatologie à l’hôpital Saint-Louis (Paris Xe), qui vient d’écrire un mémoire sur la dépigmentation volontaire, affirme que « les douanes lui remettent des produits une fois qu’ils les ont saisis ». Le docteur Petit s’est engagé, en collaboration avec une association de consommateur, Label Beauté noire, à effectuer le même type d’étude que la Suisse (les résultats devraient être connus cet été). Chaque jour, les bénévoles de cette association constatent les effets désastreux des produits dépigmentant. Label Beauté noire voudrait aboutir à la création d’une charte de qualité que les laboratoires de cosmétiques devraient signer pour obtenir le Label Beauté noire. Les consommatrices auraient donc la garantie qu’elles achètent des produits de qualité. Selon la présidente de l’association, Isabelle Mananga, « la priorité n’est pas de juger ces femmes qui se sentent déjà très coupables, mais de leur proposer des solutions concrètes et de les informer sur les bon cosmétiques à utiliser ». Au cours de deux années de travail dans toute la France avec les victimes de ces produits, les membres de l’association ont pu constater que le principal problème de ces femmes était le manque d’information. Pourtant, la responsable de l’association ne nie pas que la question de la dépigmentation est liée à une pression sociale. « Les femmes que nous avons rencontrées ont décidé de se blanchir la peau pour correspondre à un modèle esthétique véhiculé par la publicité et par les médias qui ne montrent que des femmes noires à peau très claire, mais aussi pour plaire à leur mari qui, parfois, les incitent à faire cela », explique Isabelle Mananga. Elle ajoute : « Il y a également un lien avec la colonisation. A l’époque, le Blanc était celui qui commandait. Être clair de peau, cela représentait le pouvoir, l’argent, la connaissance ». Résultat : des milliers de femmes s’exposent à des risques sanitaires graves pour devenir blanches. Selon le docteur Petit, « 20% des femmes noires qui consultent à l’hôpital le font pour des problèmes liés à la dépigmentation. Ce chiffre n’est pas représentatif de la réalité car ces femmes viennent me voir uniquement quand elles sont dans déjà un état assez sérieux. » On peut donc aisément supposer qu’elles sont bien plus nombreuses à utiliser ce genre de produits. Pour autant, il est impossible de fournir une estimation du nombre de femmes et d’hommes qui s’éclaircissent la peau. Le phénomène ne serait pas en augmentation, selon le dermatologue et le service de douanes.

Une évolution, cependant, est assez inquiétante : l’interdiction de l’hydroquinone a profité à une substance dermocorticoïde, le clobétasol, qui peut causer la mort de ses utilisateurs (en application cutanée, les corticoïdes passent dans le sang et peuvent provoquer des insuffisance rénales, des arrêts cardiaques…). Le docteur Petit a déjà alerté les autorités de la présence de cette substance contenue à l’origine dans certain médicaments. Les nombreux cosmétiques qui en contiennent proviendraient tous d’un même laboratoire situé à Milan, en Italie, dont les produits seraient interdits à l’importation aux États-Unis. Cette société est soupçonnée d’écouler certains de ses produits destinés à l’exportation sur le marché européen. Pour lutter contre ces pratiques délictueuses, le renforcement des contrôles et de l’information des consommateurs ne suffira pas : il faudrait modifier la directive européenne qui permet à certaines sociétés de produire de tels produits en Europe, à condition qu’ils soient exportés.