Voyage au bout du Transsibérien
15 octobre 2007 | Leila Minano dans Culture

Michèle Lesbre - photo : L. Minano
L’une des finalistes du Goncourt 2007 est une militante d’extrême gauche à la retraite. Michèle Lesbre dans « le Canapé rouge » revient, au rythme des stations du myhtique Transsibérien, sur ses années d’engagement. Portrait.
Il y a un le tramway nommé Désir, il y aussi l’Orient Express. Et puis il y a le voyage de Michèle Lesbre dans le transsibérien Moscou-Irkoutsk. Pas de psychodrame angoissant ni de meurtre sanglant. Juste une quête intime au bout de l’utopie soviétique. Dans «Le canapé Rouge» la romancière essaye de rattraper ses années d’engagement. Une course sentimentale contre le temps et le «désenchantement de la politique actuelle ». Loin des récits à la soixantuitarde : castagne avec la police et autre levée de drapeau rouge dans une foule hypnotisée. Le dernier roman de Michèle raconte Clémence, espiègle chapelière à la retraite, sur son canapé en velours rouge. Et aussi les rencontres d’Anne, sa voisine, dans les compartiments et le wagon restaurant du transsibérien. Terminus : Gyl, un ex-camarade et ex tout court installé au bord d’un lac en Russie. Et pour la chapelière, Paul, l’amour de jeunesse, résistant tué par les nazis. Trop réaliste pour une fiction ? Le fin mot de l’histoire, nous l’avons trouvé à des kilomètres du transsibérien, au fond d’un deux pièces dans l’est parisien. Là où Michèle Lesbre nous attendait. Jeans, chemise ample et gilet noir, à 68 ans Michèle n’a pas renoncé à ses tenues décontractes et bobo-stylées. L’ensemble est convaincant : la romancière fait 20 ans de moins que son âge. Cheveux auburn noués derrière la nuque, posée, le coude sur la table, l’écrivain explore les recoins de sa «fiction-autobiographique». Enfin.
La guerre d’Algérie: le déclic
Pour Michèle, tout commence avec la guerre d’Algérie, au début des années soixante. C’est le déclic, « la prise de conscience » comme elle dit. Le début d’un engagement politique qui prendra, au rythme des stations du Transsibérien, des formes variées mais qui sera toujours le rail directeur de sa vie. «Les dégâts chez les jeunes, la colonisation, la torture, m’ont poussée à militer», raconte-t-elle. A peine sortie de la fac de lettres à Clermont-Ferrand, la jeune institutrice se lance dans l’aventure PSU. Elle aime le mélange et les échanges entre marxistes, socialistes et communistes. Et l’échec du grand parti n’aura pas raison de sa révolte, de « sa colère contre les injustices ». Après mai 68, elle passe à la vitesse supérieure. Michèle rejoint la toute jeune LCR. La romancière quitte son Auvergne natale en 1975 pour rejoindre ses camarades parisiens qui collaborent à l’hebdomadaire Rouge. Elle se défend : « je ne faisais pas partie de ses trotskystes acharnés, je suis entrée à la Ligue pour son engagement féministe, aux côtés des homosexuels, toutes ces réflexions sociétales lancées par 68 ». On décèle de la nostalgie de ces années militantes : « Cette époque à été déterminante, un moment de libération, de rupture avec un mode de vie ». 1980 et les Jeux Olympiques de Moscou marquent la fin de son engagement dans un parti. Elle quitte l’organisation trotskyste car elle est pour le boycott des JO. L’URSS n’est plus l’Etat socialiste de ses rêves. Mais pas question de renoncer à ses idées, elle trouve donc une autre forme d’engagement : l’écriture. « J’en avais besoin, c’était et c’est toujours une urgence pour moi », confie-t-elle.
Michèle croit toujours
Le regard perdu dans les tréfonds du plafond, elle cite Pessoa: « J’écris parce que la vie ne suffit pas». L’institutrice -syndiquée of course- rencontre et lit les auteurs de la mouvance « néo-polar », ce roman policier encré à gauche, un mélange de fiction et d’événements politiques et sociaux. Très vite, elle publie une nouvelle, suit un roman en 1988 : La belle inutile. Le premier d’une série de 10 livres, qui s’achève cet automne avec Le canapé rouge. Un dernier opus qui relève plus de l’autobiographie que de la fiction. Car Michèle a vraiment embarqué dans le Transsibérien. Il y a 6 ans. C’est le temps qui lui a fallut pour « revenir vraiment » de son épopée russe. « Un Etat insensé et des gens en constante résistance, jamais asservis », témoigne la romancière. Le regard marron-vert s’échappe à nouveau, les mots romancent, quand elle raconte son « admiration pour ce peuple à l’engagement total ». Mais aussi Gyl, son amour trotskyste, un homme libre et convaincu. Un personnage fictif, mais « la synthèse des hommes » qui sont passés dans son histoire militante.
Aujourd’hui, la romancière n’hésite pas à descendre dans la rue aux côtés des sans-papiers, pour les causes féministes et écolo ou contre le CPE et croit toujours « en ces belles idées qui ont été trahies». Après tout, ses héroïnes préférées sont toujours Olympes de Gouges et Milena. Toutefois, l’écrivain est convaincue « qu’il faut réinventer la démarche politique ». Pour Michèle, « il n’y a plus de grand soir, la révolution, la nouvelle société il faut la construire tous les jours ». D’ailleurs, son canapé il n’est pas vraiment rouge, en fait, il ne l’a jamais vraiment été. Il est blanc cassé, avec des touches de vert, de rouge, de noir… A son image.