Bosnie: les derniers réfugiés

3 novembre 2007  |  dans International

Photo : Leïla Minano/Youpress

Photo : Leïla Minano/Youpress

Durant le conflit serbo-bosniaque, Emmaus-Duje a accueilli jusqu’à 700 réfugiés. Aujourd’hui la communauté reçoit les exclus de la paix. Reportage au cœur du village.

Là-haut, dans la brume des montagnes, s’étale Doboj, une petite municipalité à 4 heures de Sarajevo.
Là-bas, les décombres des maisons bombardées le disputent aux nouvelles bâtisses acidulées. Doboj, personne n’aurait pu en entendre parler… S’il n’y avait eut «Duje», ce centre Emmaüs qui fut pendant le conflit Serbo-bosniaque le lieu d’accueil pour 700 réfugiés. L’année dernière, l’ultime famille de déplacés est rentrée chez elle, dans une maison reconstruite par les volontaires d’Emmaüs. Aujourd’hui, le centre, géré au quotidien par des salariés et compagnons français et bosniaques, reçoit ceux qui n’ont pas pu se relever de la guerre. Quelque 200 sans-abris, personnes âgées et handicapés physiques et mentaux. Les laissés pour compte du conflit, dont les proches ne peuvent plus s’occuper.

photo : Leïla Minano/Youpress

photo : Leïla Minano/Youpress

Mais Duje n’est pas un hospice, un mouroir ou un asile d’aliénés. Ici pas l’ombre d’une camisole, ni d’une chambre capitonnée, encore moins de lits d’hôpital solitaires devant la télé. Entre les longues baraques, les réfugiés déambulent librement. Assis à l’entrée des bâtisses, ils discutent, fument et regardent les autres se promener, tandis que des infirmières et médecins passent, saluent, discutent. Pendant la journée, chacun travaille selon ses capacités pour aider le centre à fonctionner. Grâce à une ferme et un potager, la communauté fabrique du fromage, du miel et cultive des légumes. De quoi nourrir les habitants de Duje, mais aussi depuis plusieurs mois, de quoi vendre sur les marchés. Les réfugiés se sont également lancés dans l’artisanat… Et c’est dans un grand bâtiment allongé que les patients de Duje créent.

Un patchwork multicolore

Assises en rond à même le sol, une quinzaine de femmes sans âges tissent, cousent, crochètent. Au fond de la pièce éclairée, sur des tables, leur production s’affiche fièrement. Des bonnets, des gants, des pulls et des couvertures. Autant de pièces roses, rouges, bleues ou vertes qui additionnées aux vêtements et foulards des travailleuses transforment l’endroit en un patchwork multicolore. Un tableau chaleureux et bruyant, très différent du paysage brumeux et gris du village de montagne. C’est un jeune infirmier, qui traduit et dirige la visite. « Je vais vous présenter des personnes, car parmi les réfugiés, très peu vous diront la vérité », prévient l’homme à la blouse blanche. « Ils sont atteint de schizophrénie, d’Alzheimer, de retard mental ou sont gravement traumatisés par la guerre », les yeux bleus de l’infirmier s’allument, la dure réalité des mots qu’il prononce n’a pas d’empreinte sur sa bonne humeur. Chimia, une vieille femme assise sur un canapé une quenouille à la main, est arrivée il y a deux mois. Son grand âge nécessite des soins que sa famille n’a plus les moyens de lui procurer. « Ici, je me sens bien, j’ai plein d’amies qui me soutiennent », affirme-t-elle souriante. Chimia ne veut pas parler de la guerre, elle souhaite juste remercier ceux qui lui ont procuré « ce nouveau foyer et lui donnent des médicaments pour se soigner ».

photo : Leïla Minano/Youpress

photo : Leïla Minano/Youpress

Dans la pièce voisine, les hommes sont installés, chacun à une table avec leur ouvrage. Ils enfilent des perles, peignent ou sculptent. Plus jeunes que les femmes de la pièce voisine, la dizaine d’homme est aussi plus silencieuse. Igor*, 35 ans, est à Duje depuis un an, il n’a pas vu sa famille depuis 1995, depuis la fin du conflit. Igor, en plus d’un petit retard mental, souffre d’un grave traumatisme. Lui non plus ne veut pas se rappeler la guerre. « J’aime être ici, je me sens utile parce qu’on me laisse travailler », affirme sérieux l’homme brun, aux yeux d’un vert éclatant. Notre infirmier s’excuse du peu d’éloquence des patients. Originaire du village, il « ne voudrait travailler nulle part ailleurs ». « C’est un bonheur pour moi d’être ici, d’aider tous ces gens qui ont tellement souffert », répond le jeune homme modestement. Cet infirmier a vécu toute la guerre à Doboj, « je me rappelle des bombardements pendant des journées entières, de l’âge de 12 ans jusqu’à 16, on ne pouvait presque pas sortir de chez nous, c’était très dur », confie-t-il. « Ici, les patients se sentent bien, utiles, ils ont confiance et l’ambiance est chaleureuse ». Amusante coïncidence… En français, Duje se prononce «Douillet».