Féministes et croyantes

8 mars 2008  |  dans Femmes

Irshad Manji - photo : J. Robert

Irshad Manji - photo : J. Robert

Être croyante et se reconnaître dans les valeurs féministes, c’est possible ! Irshad, musulmane, et Amélie, catholique, témoignent de ce double engagement.

Une prophète à New-York

Irshad Manji n’est pas militante. C’est une missionnaire. Quand elle entre dans une pièce, le silence se fait, le temps s’arrête jusqu’au premier éclat de rire. Le sien en général. Irshad a beau être «en mission sur terre», elle ne se prend pas au sérieux…
…Elle a plutôt tendance à vous faire perdre votre sérieux. Vous ne connaissez pas la blague du rabbin, du prêtre et de l’imam qui mangent du porc ? Rendez-vous en dernière page de son livre. Mais ne vous y méprenez pas, Irshad n’est pas la dernière comique à la mode. Elle est l’auteure du best-seller mondial Musulmane mais libre. Et sans doute l’une des femmes les plus menacées dans le monde. Clairement féministe, ouvertement lesbienne ET musulmane convaincue, Irshad n’est pas vraiment «religiously correct». Mieux [pour nous] et Pire [pour les islamistes radicaux]: sa mission est de convaincre les musulmans de remettre en cause les bases de l’Islam traditionnel. En quelques années, cette petite femme fluette est devenue «le pire cauchemar de Ben Laden» (Le New-York Times). Un surnom qu’elle prend comme un compliment, même si elle trouve « flippant que ça ne soit pas la CIA !». Re-éclat de rire.

Entre deux blagues, elle assure sérieuse: « tout ce que Dieu à crée est parfait ». Elle peut donc être féministe et homosexuelle sans être « une erreur d’Allah ». D’ailleurs la jeune femme ne laissera personne en juger. « Seul Dieu peut punir les incroyants », assène-t-elle l’index pointé vers le ciel. Malgré un vocabulaire de missionnaire, Irshad n’a rien à voir avec le gourou type, l’illuminée de base. La belle new-yorkaise n’a ni les mains tourné vers le ciel en permanence, encore moins les genoux usés par la prière. En fait, cette américaine d’adoption entre difficilement dans une case. Ni femme croyante qui-baisse-les-yeux, ni lesbienne post soixantuitarde ultra athée. C’est là tout le problème : les mots, le style et la sexualité hors norme de la porte parole dérange. Tout : de sa fine silhouette galbée dans une veste rose fuchsia à son pantalon serré, sa peau matte légèrement maquillée. Jusqu’à sa célèbre coupe de cheveux travaillée façon porc épic, le sujet de prédilection de ses détracteurs : « Tu mens tellement sur l’Islam que tes cheveux se lèvent tout seuls !», «analyse» ce millième internaute. Irshad s’explique: « quand je ressortais de l’école coranique, j’avais les cheveux et l’âme aplatis par le tchador que je devais porter ». Jusqu’au bout de ses cheveux dressés, la prophète new-yorkaise défend son exceptionnelle identité.

« Tu vas bientôt mourir »

Née en Ouganda, Irshad et sa famille fuient en 1973 le dictateur Amin Dada. Elle grandit au Canada entre les cours de l’école publique et ceux de la Madrassa, l’école coranique. Dans la dernière, on lui enseigne « que les femmes, inférieures, ne peuvent diriger la prière ». Cela ne « collait pas avec la réalité, je voyais ma mère trimer avec son salaire de femme de ménage, elle n’était inférieure à personne », s’indigne la croyante. En revanche, son père « un musulman comme il faut pour la communauté », bat sa mère et n’hésite pas à poursuivre sa fille trop curieuse avec un couteau. « Cela ne venait pas de l’Islam, analyse Irshad, mais plutôt des traditions ancestrales ». D’ailleurs, la belle indienne refuse qu’on la catégorise: « pauvre fille traumatisée ». Dans un français bancal elle interroge: « est-ce que Rousseau est considéré «traumatisé» parce que son père le tapait ? ».

A 14 ans, Irshad est renvoyée de l’école coranique. « J’ai posé la question de trop », raconte sans s’étaler la musulmane. En tournant les pages de son livre on apprend que l’adolescente avait interrogé l’imam sur le prétendu « complot juif du Coran ». Malgré la déception, l’adolescente choisit « d’accorder une seconde chance à l’Islam ». Elle sort de chez elle en trombe, direction le centre commercial pour dénicher une version anglaise du Coran. Elle veut trouver par elle-même toutes les réponses à ses questions. Vingt ans après, Irshad continue d’étudier et de pratiquer une religion qu’elle se réjouit de ne pas avoir abandonné. A l’université, la jeune musulmane choisit l’histoire et obtient une licence à Vancouver. Le parcours de la jeune femme convainc, elle est recrutée au parlement canadien, devient porte-parole d’un parti, éditorialiste, animatrice de télévision, enseignante etc.. Enfin, elle décide d’écrire son livre, une lettre ouverte aux musulmans.

Le succès est immédiat : des millions d’ouvrages écoulés et son livre est traduit en 12 langues. «Dans les pays où il est censuré, les gens se le passe sous le manteau », applaudit l’écrivaine. Afflux aussi des menaces de mort. Chaque jour elle trie les e-mails : « tu vas bientôt mourir», «Je vais te tuer», «Fais attention à ta famille». Des avertissements plus ou moins sérieux, qui justifient un dispositif de protection digne du président des Etats-Unis. Vitres pare-balles, adresse tenue secrète, inspection en règle de son véhicule, écoutes téléphoniques et interventions publiques placées sous haute surveillance, rythment désormais la vie quotidienne de la féministe. Mais Irshad n’a pas l’once d’un regret. Car « trop de cruautés sont commises au nom d’Allah ». Et plutôt que de se lamenter, chaque jour, elle « remercie Dieu d’avoir grandi dans une partie du monde où elle peut s’exprimer librement ». Et cette liberté de parole, Irshad s’en sert sans complexe pour défendre sa révolution de l’Islam aux quatre coins du globe. Ce personnage hors du commun, « cette terminaison nerveuse qui relie l’orient à l’Occident » (Le Washington Post) se bat pour les droits des femmes, mais aussi contre l’antisémitisme et la faim dans le monde. « Je suis née féministe, mais je suis devenue une justicière », résume Irshad. Mais elle aura beau dire, son plus grand combat reste celui d’avoir le droit d’être Irshad. Féministe, lesbienne ET musulmane.

L’utopie d’Amélie

Amélie - photo J. Robert

Amélie - photo J. Robert

Amélie croit au Prince Charmant. Mais l’abstinence, elle «n’en a rien à foutre ». D’ailleurs, les plans d’un soir elle « ne voit pas ce qu’il y a de sacré ». Sur le préservatif, « les paroles du Pape n’étaient pas dans leur contexte ». De toute façon, jure-t-elle, « on est obligé d’avoir des capotes à l’aumônerie ». Le fabuleux discours d’Amélie, 24 ans, est très… mais alors très éloigné de celui que l’Eglise exige de ses jeunes croyantes. Pas de jupe plissée, de carré aux oreilles, encore moins de lourd crucifix en bois ou de poignante timidité. Rebelles, ses cheveux bouclés ont du mal à tenir dans son chignon bâclé. Jeans, T-shirt usée, keffieh enroulé, cette animatrice d’aumônerie-syndiquée UNEF (Union nationale des étudiants de France) n’a pas froid aux yeux.

Mais qu’on ne s’y méprenne pas : elle Croit… qu’un autre christianisme est possible. Et son regard critique n’a jamais ébranlé sa foi. « Quand j’entre dans une église, je ressens Sa présence », témoigne la jeune femme, ses grands yeux verts perdus dans le vague. Depuis l’âge de 6 ans, à chaque fois qu’Amélie a voulu « expérimenter Dieu », elle l’a rencontré. Et personne ne l’y a forcé. « Mes parents ne m’ont pas inscrite au catéchisme, raconte la jeune femme. Quand je suis entrée à l’aumônerie à 14 ans je ne connaissais même pas le Notre Père ». Pour cause : son père, un « instituteur laïcard » a du mal à comprendre l’engagement de sa fille. A la maison, la religion est «un sujet de crispation », résume Amélie. Mais à force de polémiques « il s’est un peu détendu », s’amuse l’étudiante en allemand.

Du christianisme marxiste

Après son intégration, elle fait sa première communion et sa confirmation. Sa motivation sans borne lui permet de dépasser son retard. Elle commence à animer des groupes de parole sur les textes, la famille, mais aussi… le sexe. « Il faut que l’Eglise abandonne cette image de la femme pure, compréhensive et douce. La sexualité fait partie des interrogations d’aujourd’hui », s’énerve la militante. Mais chaque chose en son temps. « Je ne crois pas que le FRAT et les JMJ soient le cadre pour les relations amoureuses. De toute façon, personne n’est à une heure prés », conclut sérieuse l’animatrice. Très, très à gauche, Amélie participe aux rassemblements féministes et à des assemblées générales non-mixtes. « J’ai toujours été choquée par les manifestations anti-IVG », affirme Amélie. Car sur l’avortement, la féministe est en « profond désaccord » avec l’Eglise. Pour elle, «un fœtus, n’est pas une vie  ». Par contre, cette chrétienne du XXIème siècle croit au sacrement du mariage. « Mais je l’imagine très tard dans ma vie, car il n’y a pas d’échec possible, affirme Amélie sûre d’elle. La vie en concubinage fait de toi un éternel pêcheur ». D’ailleurs, elle ne voit pas pourquoi les homosexuels n’auraient pas le droit à ce sacrement. Si c’est juste une question de capacité à procréer, « il suffit de leur accorder la possibilité d’adopter et puis avec les avancées scientifiques, on ne sait jamais…».

En attendant, la jeune croyante s’imagine bien « institutrice dans quelques années et surtout militante syndicale et religieuse ». Une vie très remplie qui ne laissera pas forcément la place à des enfants. « Dans une société aussi pourrie, je n’ai pas très envie », tranche-t-elle. Mais pas question d’être pessimiste, Amélie a des rêves plein la tête. Son Eglise utopique, elle l’imagine avec tous les autres chrétiens, en prise avec la réalité, moins réactionnaire. Un endroit sans hiérarchie, où le pape ne serrerait pas la patte à Sarkozy et où les homos seraient acceptés… Une Eglise marxiste? «Ça serait pas mal oui… », conclut la jeune fille dans un éclat de rire.