Mitrovica, une ville divisée par la peur

12 mai 2008  |  dans International

Photo : Juliette Robert / Youpress

Photo : Juliette Robert / Youpress

Drapeaux serbes, tracts, affichettes… Une fois passé le pont qui coupe Mitrovica en deux, la campagne électorale bat son plein. Au sud du fleuve Ibar, la majorité albanaise feint d’ignorer l’agitation. A Mitrovica nord, pas la peine de chercher les affiches rouges du président pro-européen Tadic, ici le bleu domine.

Les ultranationalistes de Nikolic et les partisans du Premier ministre sortant, Kostunica, ardents opposants à l’indépendance du Kosovo, se partageront la majorité des voix. Sur les murs, quelques portraits de Vladimir Poutine rappellent l’alternative à l’entrée dans l’Union européenne. Jasmen 18 ans, cheveux courts et yeux bleus, votera Nikolic: «Il promet de nous protéger, de sauver le Kosovo: nous ferons toujours partie de la Serbie. Tadic ou Kostunica ont été au gouvernement et ils n’ont rien fait, ce sont des menteurs.» Devant son immeuble délabré, le jeune homme aide un voisin à réparer une vieille Yugo. Sa famille habitait dans la partie sud, mais, comme beaucoup, a préféré déménager après la guerre. Comme une piqûre de rappel, en face de chez lui, se dresse le monument à la mémoire des morts du conflit entre Serbes et Albanais… La vie des noms gravés s’est arrêtée en 1998 ou 1999.

Les aides de Belgrade

Le pont qui traverse l’Ibar, où s’ennuient les soldats de la KFOR et les policiers kosovars, reste désert. Le principal passage entre les deux parties de la ville est libre, mais peu osent l’emprunter. Chacun chez soi. Côté serbe comme albanais, le calme règne. Mais les violences du 17 mars 2004, qui avaient fait 7 morts et plusieurs centaines de blessés, sont encore dans les têtes. Toute la vie d’Irina, 25 ans, se passe côté serbe: «C’était difficile au début, mais au bout de huit ans, nous avons appris à vivre dans une ville divisée.» Elle ne sait pas encore pour qui voter, mais semble désabusée. Irina est née à Mitrovica et refuse d’en partir, même «s’il n’y a pas de perspectives d’emploi ici».

Depuis la guerre et l’arrêt de l’industrie minière, la ville survit grâce aux aides de Belgrade. Les fonctionnaires reçoivent un double salaire, une stratégie du gouvernement pour inciter les gens à rester. Mais ce sont surtout les étudiants qui font vivre la ville. Ils représentent plus du tiers de la population Sur l’artère principale, des échoppes en tôle ont envahi les trottoirs et vendent cigarettes, journaux, téléphones portables. «Ici, la vie se résume à trois rues et cinq kilomètres carrés», se désole Dragoljub. Cet étudiant de 27 ans n’espère pas grand-chose de ces élections. «Je suis déçu par nos dirigeants, nous n’avions pas toutes ces coupures d’eau et d’électricité en 1999.» Pour beaucoup d’habitants de Mitrovica, les préoccupations locales l’emportent sur les enjeux nationaux. «Les gens veulent juste retrouver une vie normale», assure Dragoljub.

L’enjeu local

Un constat que partage en partie Momcilo Arlov. A Mitrovica, tout le monde connaît ce travailleur social, très engagé dans l’éducation. « La Serbie vit aujourd’hui une élection cruciale, mais à Mitrovica, c’est au niveau local que les choses peuvent changer. » Il déplore que la question du statut du Kosovo paralyse toute initiative politique. Lui préfère travailler sur le terrain, en incitant les jeunes Serbes et Albanais à communiquer. Dans ce pays où la moitié de la population a moins de 25 ans, la jeunesse est le véritable enjeu pour l’avenir. «Si on ne donne pas aux adultes de demain l’opportunité de se comprendre mutuellement, ils resteront avec leurs stéréotypes, et nous ne vivrons jamais en paix. »

Amélie Cano et David Breger