Kosovo : monastères sous haute sécurité

3 septembre 2008  |  dans International

Photo : Leïla Minano/Youpress

Photo : Leïla Minano/Youpress

Cent cinquante. C’est le nombre de lieux de culte détruits depuis 1999 au Kosovo. Des moines et des moniales s’accrochent pourtant à cette terre, considérée comme le « berceau spirituel » de l’orthodoxie serbe. Reportage au Monastère des Saints-Archanges.

Dans le silence des montagnes, au bout d’une route presque déserte, se dresse le monastère orthodoxe des Saints-Archanges. Ou ce qu’il en reste : un amas de pierres et de gravats millénaires surplombé d’une bâtisse en bois…entourés de plusieurs kilomètres de barbelés aux dents acérées. Nous sommes à quelques kilomètres de Prizren, au sud du Kosovo. A l’entrée, une surprise attend le badaud : un check-point, deux miradors, une demi-douzaine de tanks et des militaires copieusement armés. Une forteresse digne des plus grands films de guerre entoure les ruines des Saints-Archanges. Une fois les contrôles passés et seulement avec une autorisation expresse des Nations Unies, nous pouvons entrer. La porte en bois flambant neuve ouvre sur les morceaux éparpillés de cet édifice du XIVe siècle qui a abrité jusqu’à 200 religieux. Comme beaucoup de lieux de culte orthodoxe, depuis 1999, le monastère est placé sous la protection de la KFOR, la force de l’OTAN.

Le père Ksenofon. Photo : Leïla Minano/Youpress

Le père Ksenofon. Photo : Leïla Minano/Youpress

C’est le père Ksenofon, la trentaine, un moine d’origine croate installé à Saints-Archanges depuis 3 ans, qui dirige la visite. Dans un anglais parfait, le religieux à la carrure impressionnante nous guide entre les pierres. « Le monastère date du XIVe siècle, il a été le plus important à cette époque, ici il y avait une église splendide. » Difficile de l’imaginer, là où il ne reste plus que des traces de fondations et la moitié d’un sol en mosaïque. Démarche calme, ton posé, il poursuit : « Il a été détruit une première fois au XVIe siècle par les Turcs ottomans, ils ont volé les pierres et les ont utilisées pour construire une mosquée à Prizren. » Le site fut ensuite laissé à l’abandon, jusqu’en 1992, quand un groupe de moines commence sa rénovation. En 1999, la restauration est achevée et une dizaine de religieux s’installe. A cette époque, la guerre fait rage entre les communautés serbes orthodoxes et les Albanais, majoritairement musulmans. Au mois de mars, pour obtenir le retrait des forces serbes serbes au Kosovo, l’OTAN bombarde pendant 70 jours. Contrairement à d’autres sites historiques et/ou religieux, le monastère des Saints Archanges n’est pas touché. Les militaires allemands de l’OTAN, avec le mandat de l’ONU (résolution 1244) s’installent sur le site afin de protéger le monastère et ses résidents des éventuelles « attaques d’extrémistes albanais ».

« Le monastère en cendres »

photo : Juliette Robert/Youpress

photo : Juliette Robert/Youpress

« En 2004, ces soldats n’ont pas rempli leur mission », affirme le père Ksenofon. Le religieux perd son calme, son ton vibre sous la colère. « Ils ne sont pas intervenus, alors que tout le monastère brûlait ! » s’énerve-t-il. Le 17 mars 2004 vers 21h, quelque 3000 émeutiers albanais envahissent les lieux, montent sur le toit, détruisent à coup de barre en métal les icônes et incendient les bâtiments. « Les militaires allemands ton pénétré dans le konak pour faire sortir du bâtiment nos cinq moines, un novice et deux de nos hôtes, avant de les conduire à leur base », témoigne le moine German, sur le site de l’église orthodoxe serbe. « Tout est en cendres, il ne reste plus qu’une partie des murs, mais nous reviendrons même s’il nous faut vivre sous des tentes », jure-t-il au lendemain des événements. Pendant les « émeutes de 2004 », malgré la présence des militaires de l’OTAN, 30 lieux de culte seront détruits, pillés ou vandalisés au Kosovo. Pour le père Ksenofon, les militaires allemands, censés protéger le secteur, auraient pu empêcher le désastre en bloquant la route. « La décision de sauver les vies, mais pas la pierre, vient du commandement général de l’OTAN », tranche-t-il. Jean-Arnault Dérens, auteur de Kosovo, année Zéro(1) et rédacteur en chef du Courrier des Balkans, ne partage pas cet avis. Pour lui, les différentes unités de la KFOR n’ont pas reçu les mêmes ordres partout. « A Pec, la KFOR italienne s’est battue jusqu’au bout pour empêcher les émeutiers de s’en prendre au bâtiment, alors qu’aux Saints-Archanges, la KFOR allemande s’est contentée d’évacuer les moines. Les Allemands, en raison de leur histoire, refusent de tirer sur la population, même menaçante. »

150 sites orthodoxes ravagés.

Selon le spécialiste, depuis 1999, 150 lieux de culte orthodoxes auraient été détruits et pillés. Le Kosovo compte 1300 églises et 4 sites religieux classés au patrimoine mondiale de l’UNESCO. Une concentration exceptionnelle pour un territoire de 11000 km² qui pousse les Serbes à le considérer comme « le berceau spirituel de la Serbie ». Une affirmation largement contestée par la majorité albanaise, musulmane. « Il n’y pas d’approche dépassionnée du patrimoine historique et religieux kosovar, analyse Jean-Arnault Dérens. La société n’est pas prête à accepter l’existence d’un patrimoine commun à tous (Serbes et Albanais). » Il n’hésite pas à pointer du doigt la responsabilité des tenants « d’un Islam rigoriste qui mettent de l’huile sur le feu en affirmant que les monastères, avec leur fresques figuratives, sont des monuments hérétiques. » Mais aussi, celle de « la minorité catholique albanaise (5% des albanais du Kosovo, ndlr) qui avancent la thèse extravagante que les monastères orthodoxes ont été construits sur les ruines d’églises catholiques plus anciennes ». Le père Ksenofon va plus loin: « L’objectif de ces destructions est d’effacer toute trace d’existence serbe au Kosovo. » Le religieux nous conduit dans un bâtiment en bois, reconstruit par les moines après 2004. Dans le petit salon, entre la bibliothèque et quelques icônes, trône un calendrier où, pour chaque mois, on peut lire la citation d’un homme politique du XXe siècle affirmant que le Kosovo fait partie de la Serbie. Charles de Gaulle pour le mois d’avril, Churchill pour le mois de mai…

La « trahison » de la France

photo : Juliette Robert/Youpress

photo : Juliette Robert/Youpress

Le décor est posé. Le père Ksenofon ne cherche pas à s’en cacher: il ne reconnait pas l’indépendance du Kosovo proclamée le 17 février dernier. Il n’hésite pas non plus à qualifier la reconnaissance du nouvel Etat par la France de « trahison de la part d’un pays ami ». Au Kosovo, les moines se mêlent de politique. La position de l’évêque Artemije, considéré comme le seul représentant légitime des Serbes du Kosovo par la communauté internationale en est la preuve. Ils ne sont plus que sept à vivre à Saints-Archanges. La KFOR ayant supprimé les convois, les moines doivent traverser les villes albanaises « la peur au ventre », pour faire leurs courses dans les enclaves serbes. « Il n’y a que là-bas que nous pouvons sortir dans la rue et nous servir dans les magasins sans risque, explique le père Ksenofon. Quand on est reconnu dans les villes albanaises, on jette des pierres sur notre voiture. » Jean-Arnault Dérens ajoute: « Avant 2004, le commandant général de la KFOR avait estimé que les moines étaient des paranoïaques, que la protection militaire n’était plus nécessaire et puis on a vu ce qui était arrivé avec les émeutes. Oui, le danger est réel. » Niché au coeur des montagnes, loin des bruits de la ville, le lieu est tellement tranquille et silencieux qu’il est difficile de mesurer la menace. Assis dans un fauteuil confortable, Ksenofon présente les plans de rénovation du monastère. Magré les récoltes de fonds lancées par les moines, il manque 600000 euros pour terminer les travaux. Le monastère ne fait pas partie de la liste des sites kosovars détruits dont la reconstruction est financée par l’UNESCO.

6 millions pour rénover

photo : Juliette Robert/Youpress

photo : Juliette Robert/Youpress

« L’Italie est le premier donateur, puis viennent les Etats-Unis, la Grèce, la République Tchèque, la France, la Turquie, en tout 6 millions ont été donnés pour la reconstruction des sites ottomans et orthodoxes », explique Marie-Paule Roudil, responsable du programme de l’UNESCO. Mais, en juin dernier, les Russes ont fait un chèque de 2 millions d’euros pour la restauration du patrimoine orthodoxe au Kosovo. Une manière d’assurer leur position après la proclamation d’indépendance du Kosovo ? « Je ne peux pas en parler, de toute façon la mission des experts russes qui accompagneront les experts de l’UNESCO pour choisir les sites qui seront restaurés aura lieu en septembre », répond la directrice. Selon Marie-Paule Roudil, ce processus de reustauration de 25-30 sites, commencé il y a quelques mois, ne devrait s’achever qu’en 2010-2011. De son bureau de Venise, la directrice ajoute : « C’est très long, car nous devons travailler constamment avec l’accord de tous, les pays donateurs, les magasins albanais, les archives qui sont à Belgrade. Nous devons aussi former les ouvriers. Dans un pays comme le Kosovo, nous devons éviter les dérapages, mais c’est un mal nécessaire. » Et la directrice d’ajouter : « si c’était facile, nous n’aurions pas besoin de l’UNESCO ! »

Les derniers serbes du Kosovo

Avec la nouvelle donation russe, Saints-Archanges pourrait-il faire partie de la très « select » liste des sites dont la rénovation sera financée ? Impossible à dire avant le retour de la mission. En attendant, Jean-Arnault Dérens affirme que : « Malgré leurs conditions de vie difficiles, le nombre de moines orthodoxes au Kosovo a augmenté ces dernières années. Contrairement aux civils serbes qui vivent dans des enclaves, les moines, eux, ont fait le voeu de vivre cloîtrés, c’est donc moins difficile pour eux. Les moines orthodoxes seront les derniers Serbes à rester au Kosovo. » Et de conclure : « Finalement, plus que les destructions, c’est le départ des Serbes du Kosovo qui aura raison des monastères orthodoxes. Parce que, plus que les pierres, ce sont les croyants qui font vivre un lieu sacré. »

(1) Editions Paris-Méditerranée.

Mosquées et églises, des symboles à détruire

photo : Juliette Robert/Youpress

photo : Juliette Robert/Youpress

Le « Kosovo » pour les albanais ou « Métochie » pour les Serbes a été, au cours de son histoire, l’enjeu de rivalités entre Albanais musulmans et Serbes orthodoxes. En 1233, la ville de Pec, au Kosovo, devient le siège du premier archevêché serbe, siège de l’Eglise serbe indépendante depuis 1219. Mais la bataille de Kosovo Poljie, appelée aussi la Bataille du Champ de Merles, en 1389, marque la fin de l’empire serbe et la conquête du Kosovo par la Sublime Porte. En échange d’une conversion à l’islam, les populations bénéficient d’avantages fiscaux et les mosquées fleurissent. Mais le territoire continue d’être déchiré lors des avancées, défaites et reconquêtes successives entre Turcs et Serbes. Les églises, monastères orthodoxes, mosquées, médersas, devenus emblèmes des différents nationalismes, sont les symboles à faire disparaître pour les communautés ennemies. En 1999, lors de la guerre du Kosovo, de nombreux sites religieux musulmans et orthodoxes sont mis à sac. Depuis, les lieux de culte orthodoxe sont placés sous la surveillance de la KFOR, la force de l’OTAN. Pourtant, en 2004, des émeutes éclatent. En deux jours, 30 personnes sont tuées et 30 monastères ou églises orthodoxes sont détruits.

Ariane Puccini