Crise financière en Islande : chronique d’une fin de rêve

10 octobre 2008  |  dans Economie, International

photo : Leïla Minano

photo : Leïla Minano/Youpress

Le cataclysme a eu lieu. L’Islande en reste encore tout abasourdie. Pourtant, il y a peu encore, la petite île volcanique faisait pâlir d’envie ses voisins européens : en 2006, la croissance était encore de 2,6%, le PIB par habitant de plus de 33 000€ contre 28 000€ en France, en 2007 le taux de chômage d’1%.

L’année dernière, les Islandais pouvaient même se targuer d’habiter le pays ayant le plus fort indice de développement humain. Mais le 20 septembre dernier, le miracle islandais a pris fin, dans la débâcle financière mondiale.

Les trois plus grandes banques islandaises sont au bord de la banqueroute quand l’Etat décide de les nationaliser, risquant d’entraîner tout le pays dans la faillite. La couronne islandaise s’effondre et perd en un an, au total, 40% de sa valeur ; l’inflation galopante atteint désormais 14% et 20% fin 2009.

A l’origine de ce revirement brutal : la gourmandise du système bancaire islandais. Dérégulées dans les années 90, les banques islandaises enregistrent une croissance exponentielle grâce à la multiplication des prêts. Les Islandais vivent à crédit : voitures tout-terrain, maisons, … Il est même possible d’emprunter sans apport d’argent. L’ensemble des épargnants dans ce petit pays de 313000 habitants ne suffit bientôt plus pour financer les prêts. Ceux-ci se font bientôt en devises étrangères. Mais quand la couronne islandaise dévisse, dans la crise financière mondiale, les choses se compliquent. Les banques islandaises ne sont plus en mesure de faire face à leurs dettes et les fonds de 85 000 épargnants sont bloqués. Les ménages qui ont contracté des emprunts en devise étrangères voient leurs traites exploser.

Un « réveil » européen ?

Dans les rues de Reykjavik, l’heure n’est pas encore à la panique. « Il y a toujours eu des hauts et des bas, philosophe Silja, 26 ans. Cela nous apprendra à revenir aux vraies valeurs. Nous saurons rester solidaires pour faire face à la situation. » Thorunn, 56 ans, est moins sereine. Cette thérapeute n’en revient toujours pas. Depuis trois ans, elle a épargné un tiers de son revenu. « Je suis de la vieille école, vous savez… raconte-t-elle en soufflant sur son café. Tous ces placements à forts rendements ne m’inspiraient pas. J’avais choisi une épargne sûre à 100%, comme les banquiers me le promettaient. Mais aujourd’hui, je ne sais même pas si je vais récupérer 25% de ma somme épargnée. » Elle estime avoir perdu 3 millions de couronnes (plus de 23 000 €). Le généreux «bas de laine » de Thorunn devait servir à payer des soins dentaires et à aider sa fille qui vient d’acheter une maison. « Je suis inquiète, j’ai peur que nos enfants et nos petits enfants aient à payer pour nos spéculations », ajoute-t-elle. Une crainte légitime: la dette du pays est évaluée à 300 000 $ par habitant. « Beaucoup de gens ont peur de perdre leur travail. J’ai de la chance, je suis fonctionnaire », dit-elle pour se consoler.

En effet, l’autre stigmate de la crise guette la population islandaise : le chômage. Déjà 1500 employés de banque ont appris leur licenciement dès le début de la crise. Mais le pire reste à venir : le taux de chômage devrait s’envoler à 10%, du jamais vu depuis… plus de 25 ans. « La crise sera surmontée en 2010 », assure Geir Haarde, Premier ministre. Un vœu pieux ? En tout cas, après des semaines de tractations avec le Fonds monétaire international, le chef du gouvernement a revu ses exigences à la baisse et ne demande « plus que 5 milliards et non 6 milliards d’euros ». Le FMI a volé au secours du petit pays qui risque l’asphyxie sous le poids des dettes publiques (prévu à 100% du PIB fin 2009), avec un prêt de 2,1 milliards de dollars auxquels s’additionnent 2,5 milliards de dollars prêtés par la Finlande, la Suède, la Norvège et le Danemark.

Ce revirement économique devrait aussi provoquer un « réveil » européen, dans cette île farouchement attachée à son indépendance. Selon un dernier sondage, 70% des Islandais seraient favorables à une adhésion à l’Union européenne. « Nous avons toujours dit que nous réfléchirions le moment venu à notre coopération avec l’Union européenne », a déclaré, de manière évasive, Geir Haarde. Le rattachement à l’Union semblerait une solution pour redonner à l’Islande une monnaie forte. Reste à convaincre tous les membres du gouvernement, notamment Einar Gudfinnsson, le ministre islandais de la pêche. « La politique commune concernant la pêche est inacceptable pour nous », aime-t-il répéter. Surtout si la pêche devient la planche de salut de l’économie islandaise.

Leïla Minano et Ariane Puccini