Islande: les travailleurs immigrés fuient la crise

10 octobre 2008  |  dans Economie, International

photo : Leïla Minano/Youpress

photo : Leïla Minano/Youpress

En Islande à cause de la crise financière, des milliers de travailleurs immigrés quittent le pays. Reportage.

«Eg er ad laera islensku» (j’apprends l’Islandais). Einar Skulason, directeur du centre interculturel de Reykjavik range dans le tiroir de son bureau les pin’s distribués il y a peu, par milliers, par l’Etat islandais aux travailleurs étrangers.

Désormais, cet avertissement s’affichera moins souvent sur les blouses des caissières, des manutentionnaires, femmes de ménages ou des ouvriers dans les entreprises islandaises. «Depuis la crise financière, les travailleurs immigrés rentrent chez eux», raconte-t-il un peu déçu. Difficile d’évaluer dans l’immédiat cette fuite de main d’œuvre peu qualifiée. Originaire à 80% de pays européens, elle est libre de circuler dans l’espace Schengen dont fait partie l’Islande.

10% de travailleurs immigrés

En décembre 2007, selon les statistiques nationales, les travailleurs immigrés étaient encore 22.000 environ, venus de Pologne surtout (40%), de Lituanie, du Portugal, ou même de Thaïlande, entre autres. Soit 10% de la population active: un record historique pour la petite île de 313.000 habitants.

Et pourtant avec une croissance économique de 4,4% pendant la dernière décennie, ce vivier de main d’œuvre ne semblait pas suffire pour assurer les cadences de production avant la crise. «L’année dernière, certaines usines en manque d’effectifs devaient limiter leurs horaires d’ouverture», se souvient Einar Skulason.

15.000 à 20.000 euros envoyés l’année dernière à leur famille

Depuis, la couronne islandaise a perdu 60% de sa valeur en un an et l’eldorado de l’Arctique commence à être déserté. D’ici quelques semaines, environ la moitié des travailleurs immigrés auront plié bagage, selon le directeur du centre interculturel.

Alors que la Pologne vient tout juste d’inaugurer son consulat sur le front de mer de Reykajvik, Danuta Szostak, consule générale reste sonnée par ce revirement brutal. «Beaucoup de travailleurs polonais en Islande sont des hommes seuls qui expédient une grande partie de leur salaire à leur famille, explique-t-elle. L’année dernière, ils envoyaient ainsi entre 15.000 et 20.000 euros à leurs proches. Avec l’effondrement de la couronne, ce seront logiquement les premiers à partir.»

Un manque pour la pêche

Pavel fait partie de ceux-là. Il a déjà pris son billet d’avion pour Varsovie. «Qu’est-ce qui me retient ici? demande ce trentenaire ouvrier dans le BTP. Avant la crise, je pouvais économiser chaque mois 3.000 euros. Désormais, je ne pourrai envoyer que 1.300 ou 1.400 euros à ma femme et mon fils. A peu près autant que ce que je pourrais gagner chez moi», calcule-t-il.

Ce phénomène ne rassure pas Sigurdur Sverrisson, porte-parole de la Fédération des entreprises de pêche islandaises. «L’industrie de la pêche est dépendante de cette main d’œuvre, notamment pour les travaux difficiles, lance-t-il.

Ils représentent 6 à 7% de nos effectifs dans la pêche ou le conditionnement, soit 3.600 personnes. Qui les remplacera?» Une question cruciale d’autant que certains analystes voient dans la pêche une bouée de sauvetage pour l’économie islandaise.

Ariane Puccini et Leïla Minano