Athènes : une semaine au cœur de l’explosion

11 décembre 2008  |  dans International

photo : Leïla Minano

photo : Leïla Minano/Youpress

Le récit d’une semaine de manifestations à Athènes par les journalistes de Youpress présents sur place. Rues désertes, caillasses qui jonchent le sol par milliers, feux de signalisation détruits, brumes de gaz lacrymogènes. Le quartier d’Exerchia, au centre d’Athènes, a des airs de champs de bataille. Dans cette zone ceinturée par les cordons de la brigade anti-émeute : l’université Polytechnique, bastion des étudiants anarchistes.

Le bâtiment néogothique a triste figure : murs tagués de slogans -Education is the enemy-, escaliers de marbre cassés pour fournir aux insurgés des projectiles, feux de camps où se consument chaises et bureaux. « Caméraman ! Caméraman ! », un journaliste grec parvenu à franchir le service d’ordre à l’entrée de la fac est repéré. Les occupants le frappent et lui arrachent sa caméra avant de le jeter hors de la faculté. A l’extérieur, c’est « une nuit calme », selon des journalistes restés à l’écart derrière le cordon de brigadiers. Les caméramans rangent leur matériel : « Demain, il faut être d’attaque, pour la grève générale. »

Mercredi matin.

Photo : Leïla Minano/Youpress

Photo : Leïla Minano/Youpress

Athènes tourne au ralenti. Transports, hôpitaux, écoles sont à l’arrêt. Dans le cortège de la manifestation, Dimitri, la cinquantaine, lance « Notre seul espoir : une forme de pouvoir alternatif ! ». Si l’essentiel du cortège des 10000 personnes se disperse devant le Parlement à13h, des jeunes encagoulés s’arrêtent, menaçants, en face du cordon imposant des forces de l’ordre. « Nous voulons venger Alexis ! », crie un adolescent. Certains n’ont pas plus de 10 ans. La tension monte. Soudain, le premier jet de pierres en direction des policiers. La réplique ne se fait pas attendre : la brigade anti-émeute pulvérise sans relâche du gaz lacrymogène sur les contestataires équipés de foulards. Des manifestants effrayés se mettent à hurler et fuient la violence des rixes.

Jeudi
12h. Le bal des ambulances est impressionnant. Devant les urgences de l’hôpital d’Hypocrates, les Athéniens font la queue jusque dehors. Depuis deux jours, c’est la grève. Tous les médecins urgentistes ont été transférés vers le seul établissement qui fonctionne encore. « En période d’émeutes ce n’était pas le moment, déclare inquiet le vigile. Avec la manif, des dizaines de jeunes vont arriver avec des problèmes respiratoires à cause des gaz…. ». Dans la salle d’attente, des malades patientent à même le sol. Une femme s’énerve : « Ca fait une heure que j’attends, je veux voir mon fils ! ». Deux ambulanciers tentent de la calmer. A l’intérieur du service, c’est la panique : les infirmières se faufilent entre les brancards. Il n’y a pas que des émeutiers, mais des personnes âgées, une femme avec le bras en bandoulière. Dimitri, le médecin chef n’a qu’une minute à nous accorder : «Nous n’en pouvons plus, tout ça c’est la faute du gouvernement, pas des jeunes !», affirme t-il, les yeux cernés. Mais une infirmière fait irruption dans le bureau, Dimitri doit repartir…

Vendredi.
Toutes les universités athéniennes sont désormais fermées ou occupées. Le quartier de la fac de droit est même bouclé par des barrages de poutres en feu, installés par les insurgés. Interdiction aux voitures de circuler. L’une d’entre elles, devant les gestes vindicatifs d’un jeune émeutier, doit faire demi-tour. Dans l’enceinte de la fac, trois manifestants, les mains dans les fils électriques, attendent un micro. Ils fignolent la radio pirate qui va bientôt diffuser leurs revendications sur la bande FM. « Il faut donner la parole aux militants, ce que ne font pas les médias ! », lâche l’un d’eux, ingénieur. Dans la petite salle saccagée, les murs sont tagués de slogans rouges et noirs anti-police et gouvernement.

Samedi 15 heures.
Dans les rues commerçantes de Kolonaki, quartier commerçant huppé, la vie et les affaires reprennent. Les clients se disputent le trottoir avec les vitriers, à pied d’œuvre pour réparer les devantures des banques et grandes enseignes, « emblèmes du capitalisme » pour les émeutiers. Mac Donald’s et Ralph Lauren ont déjà remplacé leurs vitres brisées. Nike repeint son intérieur calciné. Ici, tous les distributeurs de billets ont été vandalisés. « Je vais perdre 30% de mon chiffre d’affaires ce mois-ci. Il est temps que le calme revienne », s’impatiente une bijoutière.

Dimanche

Photo : Leïla Minano/Youpress

Photo : Leïla Minano/Youpress

21h. Mini jupe, tee-shirt décolleté, Térésa vient nous chercher devant l’université de médecine occupée depuis jeudi. Enthousiaste, l’étudiante explique: « Nous nous sommes installés dans les bureaux de la direction, c’est plus confortable ! » En haut des escaliers, une banderole indique « le quartier général des étudiants de médecine ». Nous pénétrons dans une salle enfumée aux sofas douillets. Notre arrivée fait sensation, quelques dizaines d’étudiants nous pressent de questions. « Notre mouvement, il ressemble plus aux émeutes de banlieues ou au mouvement anti-CPE ? », revient sans cesse. Térésa nous présente ses «camarades », trotskystes, anarchistes, communistes, socialistes qui discutent assis en rond sur la moquette épaisse du bureau du doyen de l’université. Térésa, s’affale sur un coquet canapé en cuir. «Les dernières mobilisations en France sont pour nous un exemple, c’est ce qui me fait tenir car je suis morte de fatigue ». Comme un écho à son affirmation, dans une salle attenante une trentaine d’étudiants regardent, absorbés, un film en français. A l’écran, Daniel Cohn-Bendit hurle dans un mégaphone. C’est un documentaire sur mai 68.

Delphine Bauer, Leïla Minano, Ariane Puccini