Le temple des manuscrits

3 mars 2009  |  dans Culture, France

Photo : Leïla Minano/Youpress

Photo : Leïla Minano/Youpress

Loin des tourbillons et de l’excitation des salles des ventes : le silence de l’ancienne Bibliothèque nationale de France. Et son cœur : le département des manuscrits. Une caverne aux trésors nationaux dont l’accès est réservé à quelques privilégiés.

Tout sourire, Guillaume Fau, conservateur au service littérature occidentale du XXème siècle, attend près d’un chariot plein à craquer. Quelques mots à peine et le jeune érudit pose des petits carnets illustrés et quelques gros volumes sur la table. « Voici le manuscrit d’A la Recherche du Temps perdu, et les cahiers de notes de Marcel Proust». Le choc.

Délicat et précis, l’expert déroule les «paperolles». Les centaines de morceaux de feuilles collées bout à bout truffent les manuscrits. Des centimètres de « l’ancêtre du post-it » rien que pour la première phrase. « Longtemps je me suis couché de bonne heure », aurait pu être ponctuée d’un point virgule, aurait pu… « La plus grande paperolle mesure 2 mètres de long », explique le spécialiste. L’œil essaye de décrypter l’écriture illisible et les hésitations de l’auteur. Le lecteur brûle de découvrir les secrets de la formation du chef d’œuvre. Mais déjà, le jeune conservateur ouvre un gros volume relié en cuir. Notre Dame de Paris et l’écriture disciplinée à peine raturée de Victor Hugo. Suivront l’anarchie calligraphique des contes de Flaubert, celle, malicieuse du Mystère de la Chambre jaune de Gaston Leroux,… Le chariot magique n’en finit pas de dévoiler ses trésors et le conservateur, ses histoires. Voici les aventures du manuscrit Jean-Jacques parle à Rousseau : « à la fin de sa vie l’auteur est devenu paranoïaque, il ne fait plus confiance à personne. Il décide donc de confier le manuscrit « à la postérité ». Il le dépose devant la cathédrale Notre Dame de Paris. C’est un abbé qui au matin découvrira le précieux ouvrage. Ses héritiers en feront don des années plus tard, à la BNF».

La « plus belle » collection du monde

Derrière le conservateur, une porte discrète indique le « magasin », la réserve de la BNF. Interdiction absolue d’y entrer. Même pas un petit coup d’œil? Le jeune homme se laisse convaincre. Ici, dans un froid glacial, sans lumière, des centaines de milliers de manuscrits sont conservés. Sur des bibliothèques en bois ouvragées, les trésors grimpent jusqu’au plafond. Impossible d’apercevoir le fond, tant la salle est immense et peu éclairée. Vingt kilomètres de Rimbaud, Cocteau. 200 000 centimètres de papyrus, de manuscrits en hébreu, en arabe, en persan en turc. Au total, 250 000 pièces. Une des plus belles collections du monde. « La plus belle, corrige Anne-Sophie Delhaye, adjoint au directeur du département. Nous avons le plus vieux manuscrit connu, un papyrus, dans notre fond ». Elle poursuit : «Nous avons hérité des collections royales avec les manuscrits des plus hauts personnages de l’Etat. Elles se sont très vite accrues avec les nationalisations de la révolution française et les apports au XVIIIe et XIXe des expéditions scientifiques avec des écrits de Chine et d’Asie centrale ». Pour les volumes du département littérature occidentale, la conservatrice raconte : « Au XIXe siècle, Victor Hugo lègue l’ensemble de ses manuscrits à la BNF. C’est lui qui lance le mouvement, ensuite, des dizaines d’auteurs vont suivre et leurs héritiers continuent à le faire aujourd’hui ». D’ailleurs, en 2007, 85% du fond entré provient de dons. « Heureusement, car ce n’est pas avec notre budget en baisse constante que nous pourrions suivre en salle des ventes », conclut la conservatrice.