Afrique du Sud : Sida, un tabou mortel

22 avril 2009  |  dans International

Une malade à Soweto. Photo : Juliette Robert/Youpress

Une malade à Soweto. Photo : Juliette Robert

Le pays de plus riche d’Afrique est aussi l’un des plus touchés par le sida. Face à l’efficacité relative de la politique gouvernementale, les ONG jouent un rôle essentiel. Gros plan sur ce fléau humanitaire et économique.

Une femme crucifiée et à côté, Jacob Zuma prenant tranquillement une douche. Le crayon du caricaturiste sud-africain Jonathan Shapiro se fait acerbe lorsqu’il s’agit de dénoncer l’attitude des politiques, spécialement face au sida. Ce dessin de presse fait allusion à la déclaration très controversée du président de l’African National Congress (ANC), lorsque ce dernier a affirmé n’avoir pris qu’une douche après un rapport non protégé avec une femme séropositive. Mais le cas de Jacob Zuma n’est pas isolé. « La plupart de la classe politique sud-africaine fait comme si le problème n’existait pas », explique Sheila Meintjes, professeur de sciences politiques à l’université de Witwatersrand, à Johannesburg.

Thabo Mbeki, à la tête de l’Etat de 1999 à 2008 a été fortement critiqué pour son refus d’appliquer les réponses scientifiquement appropriées, alors que pour sa ministre de la santé, le meilleur moyen de lutter contre le sida était…d’utiliser ail, huile d’olive, citron et betterave. Un véritable déni de la gravité de la situation, malgré les 5,6 millions de sud-africains séropositifs officiellement dépistés sur une population totale de 48 millions. « Les chiffres réels sont sûrement plus élevés, lâche Nelson Nhabinde, président de l’ONG HapyD, en charge d’améliorer le sort des sidéens dans le township de Soweto, en banlieue de Johannesburg. 3,8 millions d’années de vie auraient été perdues entre 2000 et 2005, à cause des 300 000 adultes et 35 000 bébés décédés.

3,8 millions d’années de vie perdues entre 2000 et 2005

photo : Juliette Robert

photo : Juliette Robert/Youpress

Malgré quelques lignes dans les programmes des partis politiques en lice pour les prochaines élections, le sida n’est pas un enjeu clair du scrutin du 22 avril. Peut-être parce qu’il est encore tabou. « Ce n’est que l’année dernière que j’ai appris que j’étais malade, explique avec dépit Buyasiwe Tshabalala, 42 ans, dans sa petite chambre rose. J’avais des kystes dans la bouche et j’ai fait des tests. Mais je ne sais pas quand j’ai attrapé le virus. Je n’ose pas le dire à mon fils de 20 ans, j’ignore comment il pourrait réagir ». Pourtant, chaque semaine, elle reçoit avec soulagement la visite de Tina, qui travaille pour l’ONG HapyD. Son président confirme: « Certains malades refusent notre visite de peur du regard des autres ». Dans une société très croyante, l’usage soudain du préservatif peut déconcerter. « Les effets secondaires et les contraintes du traitement dissuadent d’autres d’y avoir recours », poursuit-il. Tous les dysfonctionnements du système de soins ne sont donc pas imputables au gouvernement. Même si la position des politiciens n’est pas tranchée. « En Ouganda, le président a pris le risque de se faire dépister au su et vu de tous. Ce qui n’est pas le cas en Afrique du Sud. » Jack Bloom, chef du Democratic Alliance (DA) pour la province du Gauteng, pointe que « les comportements n’ont pas encore changé », malgré l’accent mis sur la prévention.

Des traitements gratuits mais insuffisants

Ce fléau humanitaire est aussi économique, puisque 20% des actifs sont touchés par le sida, particulièrement dans le secteur minier et des transports. « Nous commençons à ressentir la perte d’actifs », reconnaît Joseph Ajakaye, de l’International Labor Office de Pretoria, spécialisé sur la question des transports. Mais une politique publique est censée pousser les entreprises à mettre en place un programme de prévention et d’aide d’accès aux médicaments pour leurs employés. »

Une chance, ici le traitement est gratuit. Ce qui ne signifie pas qu’il est facile d’y avoir accès : longtemps la lenteur du gouvernement a été pointée du doigt, ainsi que la lourdeur des procédures administratives, comme le cas de Nomhle, 46 ans, le prouve. « J’ai perdu ma carte d’identité. J’attends mon acte de naissance pour la refaire. Mais pour l’instant, je n’ai pas le droit de bénéficier de médicaments. » Tina, qui s’occupe également d’elle lors de sa tournée quotidienne, s’insurge: « Vous trouvez ça normal ? » Si la situation s’améliore doucement, le sida fait encore tellement de ravages que le cimetière de Soweto est littéralement saturé. On y enterre 200 personnes en moyenne chaque semaine.