Quand les chercheurs se rebellent

1 avril 2009  |  dans France, Société

Lilian Ceballos, DR

Lilian Ceballos, DR

Don Quichotte de la recherche, électrons libres des laboratoires ? Ils sont surtout chercheurs collaborant à des comités de recherche associatifs ou, parfois même, totalement en indépendant. Pour eux, une même croisade : protéger l’indépendance de leurs recherches.

« Liberté académique ». Le principe est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Derrière la formule : la liberté pour les chercheurs d’enseigner et de mener leur recherche, sans subir de pression extérieure. En théorie, les universités françaises défendent ce principe. La réalité prête pourtant à la polémique. Pour preuve, l’affaire Christian Vélot qui a causé l’année dernière quelques remous dans le milieu de la recherche. Rappel des faits : le maître de conférence en génétique moléculaire à l’Université Paris Sud, connu pour ses prises de positions critiques vis-à-vis des OGM, voit une part de ses crédits confisqués et est menacé d’être écarté de son laboratoire de recherche.

Un comité de soutien s’organise autour du scientifique qui est notamment intervenu en tant que témoin dans les procès de faucheurs volontaires. Ses défenseurs veulent faire connaître les « pressions » qu’il a subies de la part de la « direction de l’Institut ». Au total, 48500 personnes signent la pétition demandant la restitution de ses moyens à Christian Vélot. En juillet, l’affaire trouve une issue quand la direction de l’institut assure au chercheur que celui-ci pourra poursuivre ses travaux. Pour le Professeur Gilles-Eric Séralini, « l’affaire Christian Vélot est emblématique ». Ce spécialiste en biologie moléculaire, connaît bien l’histoire, pour l’avoir suivie de près. Il est président du conseil scientifique du CRIIGEN (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique) auquel collabore Christian Vélot et ami de ce dernier.

« L’Etat a organisé la dépendance des laboratoires »

Gilles-Eric Seralini, DR

Gilles-Eric Seralini, DR

Gilles-Eric Séralini, pour sa part, a su assurer son indépendance. Il devient très tôt, en 1991, à trente ans, Professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen et fonde huit ans plus tard, avec Corinne Lepage et Jean-Marie Pelt, le CRIIGEN. Cette « société savante », comme il l’appelle, est en fait une association de loi 1901. La structure, qui ne reçoit aucun argent d’entreprises, réunit des chercheurs de différentes disciplines (généticiens, juristes, biostatisticien, allergologue, sociologues, etc.) autour de la question des OGM et des pesticides. Un comité pour combler « un besoin de contre-expertise indépendante », selon le Professeur. Est-ce à croire que les laboratoires publics ne sont plus en mesure d’assurer l’indépendance de leur recherche ? Pour le Pr. Séralini, il n’y a aucun doute. « L’état a organisé la dépendance des laboratoires vis-à-vis des entreprises privées, assure-t-il sans ambages. Le tissu universitaire est irrigué par les entreprises. Désormais l’Etat finance fortement les projets de recherche qui comprennent une collaboration avec le secteur privé ».

Pour autant, Gilles-Eric Séralini n’a pas claqué la porte des laboratoires publics. Il poursuit ses travaux au sein de l’université de Caen. Mais pour protéger son indépendance, il collecte les financements auprès d’associations. Cette stratégie lui permet d’accuser les coups sans s’ébranler. Comme en 2005, 2007 et 2009, lors de la publication d’ articles scientifiques sur le Roundup dans des revues internationales. Ses méfiances à l’égard du célèbre désherbant lui ont valu des réprobations de l’INRA. L’institut a fait savoir qu’il ne souhaitait plus être associé aux travaux du Professeur Séralini. En clair, L’INRA ne participerait plus au financement des projets du biologiste. Des souvenirs qui ne semblent plus émouvoir le chercheur : « Le discrédit fait partie du jeu, cela ne m’a pas empêché de publier des articles » …Et de participer à des commissions scientifiques à la demande de différents ministres, de signer des ouvrages *… et de recevoir la médaille de l’ordre national du mérite des mains de Nathalie Kosciusko-Morizet alors secrétaire d’Etat chargée de l’écologie.

Son rôle au sein du CRIIGEN, plutôt qu’un engagement, Gilles-Eric Séralini y voit une « continuité de (sa) mission de chercheur et d’expert », en alimentant le débat sur les OGM. L’échange et l’information, une demande grandissante de la part de l’opinion public, selon le chercheur. « Depuis l’affaire du sang contaminé, de l’amiante ou de la vache folle, les citoyens ont perdu confiance dans l’expertise (réalisée par des organismes dépendants de l’Etat). » Pierre Barbey, maître de conférence en biologie cellulaire à l’université de Caen, fait le même constat. Mais pour lui, la demande de transparence du public remonte à un peu plus loin : 1986 et la catastrophe de Tchernobyl, en Ukraine.

Produire sa propre information

Aujourd’hui, il se retourne sur 23 ans de militantisme au sein de l’ACRO (Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest) dont il est l’un des fondateurs en 1987. « J’ai rarement vu cela, se souvient-il. Quelques jours après la catastrophe, les gens venaient assister à des réunions d’informations. Il y avait tellement de monde que tous ne pouvaient rentrer dans la salle. » Le biologiste, qui utilise à l’époque des traceurs radioactifs dans ses manipulations scientifiques, est aussitôt propulsé expert par l’assistance venue s’informer. « La première demande des gens était d’avoir accès à l’information, puis cette demande ne voulait plus se contenter de contester mais il fallait produire sa propre information ». D’où l’idée de fonder un laboratoire associatif et indépendant. Celui-ci devait analyser le taux de radioactivité des échantillons prélevés sur des sites à risque. Pierre Barbey est lui-même, au début sceptique. « Je pensais à l’époque que les gens ne savaient pas ce que représentait la gestion d’un laboratoire en terme de moyens techniques, financiers et humains. » Mais la suite des événements lui a donné tort. Aujourd’hui, l’ACRO compte 250 adhérents et un budget annuel de 300 000 €. Une coordinatrice du laboratoire a même été embauchée et l’association qui occupait un petit local de 35m2 a déménagé dans 250m2.

Pierre Barbey, DR

Pierre Barbey, DR

Pierre Barbey regarde ces années de militantisme avec une certaine satisfaction. « La catastrophe de Tchernobyl a eu l’avantage d’amener une tierce partie dans ces discussions jusque-là réservée à l’état et aux exploitants nucléaires : les citoyens. » Malgré ces progrès, reste un regret : le peu de relation entre la recherche et le grand public. Un prochain défi ? « Ce qui me gêne toujours dans certains travaux dans la recherche appliquée, ce sont les clauses de confidentialité signées avec les entreprises privées qui financent les projets. Certains tests restent ainsi secrets, inaccessibles au grand public. » Pierre Barbey n’est pas prêt à lâcher son bâton de pèlerin. Aujourd’hui l’ACRO est parfois missionné par l’IRSN (l’Institut de radioprotection et de sécurité nucléaire) pour réaliser des expertises. Mais Pierre Barbey reste prudent. « On fait attention à ne pas se faire institutionnaliser, sans refuser le débat ». L’indépendance, coûte que coûte. C’est aussi le credo, encore plus radical, de Lilian Ceballos. Ce docteur en pharmacie et en écologie se présente comme « chercheur indépendant ».

Échapper à la guerre des clans

Concrètement, il n’appartient à aucun institut public de recherche. Après deux thèses, il choisit la « liberté totale » pour travailler sur les OGM. Il prend sa décision en 2001 alors qu’il est en contrat post-doctoral au Texas. Une polémique éclate alors : un article sur la possible contamination des races de maïs mexicains par les OGM est publié dans la prestigieuse revue scientifique Nature. Cette polémique qui agite le milieu de la recherche le désespère. Pour lui, la question des OGM tourne à la guerre des clans dans la recherche publique. « Le débat est complètement polémique, soit vous êtes pour, soit vous êtes contre. Cela dit, les financements sont captés presqu’exclusivement par les biotechnologies, au détriment d’autres voies de recherche. Il n’y a pas d’arbitrage politique des orientations de recherche et tous ceux qui gardent un esprit critique envers les biotechnologies sont disqualifiés comme d’obscurs passéïstes. Où réside alors l’objectivité scientifique ? »

Membre de la commission OGM d’Attac, publié aux éditions Rés’OGM info, Lilian Céballos pourrait pourtant être « catalogué » parmi les tenants du contre. Mais il s’en défend : « Très honnêtement, les bases de mes raisonnements sont scientifiques. » Ni dieu, ni maître, encore moins de hiérarchie ni de laboratoire. Une liberté qu’il paie. Ici ou là, il décroche quelques contrats en tant que consultant, participe à des conférences aux quatre coins de la France et à l’étranger, et signe cette année son deuxième livre *. « Après la publication de mon précédent livre, j’ai reçu 350 mails de protestation. J’ai répondu à tous, c’était très prenant, fatiguant »…et non rémunéré. L’année dernière, il gagne au total 6000 €. « C’est un choix de vie, je n’ai pas fait le choix du matériel… et c’est sûr je ne roule pas en 4×4 », plaisante-t-il. Aujourd’hui responsable scientifique bénévole de l’association écologique Jardin’envie, il participe à la transformation hypothétique de la structure en entreprise. Un fil à la patte pour l’électron libre ? « Je n’ai pas peur d’être employé, nuance-t-il, pourvu que l’on respecte la biologie, en tant que telle. » Une alternative qu’il considère sérieusement, compte tenu du manque de ressources : « Il y a très peu de moyens, de fondations qui peuvent apporter une aide financière. De ce côté-là, le marais s’assèche. » Des embûches qui visiblement n’égratignent pas son optimisme. « En tout cas, ce choix de liberté est de bon augure pour la santé de mes neurones. »

* Gilles-Eric Séralini, « Nous pouvons nous dépolluer ! », Ed. J. Lyon, 327 pages, 19 €.
* Lilian Ceballos, « Les Plantes Génétiquement Modifiées insecticides : évaluation des impacts environnementaux », Ed. Rés’OGM Info, 260 pages, 15 €.