Soweto : Un renouveau contrasté

23 avril 2009  |  dans International

afrique du sud-lebo malepa

Lebo Malepa. photo : Juliette Robert

Soweto, le plus célèbre des townships de Johannesburg. Un nom qui évoque la misère, la violence. Pourtant, loin des clichés, tourisme et classes moyennes viennent dynamiser – partiellement – ce lieu mythique de la lutte anti-apartheid.

C’est une rue qui serpente entre la maison de Desmond Tutu et celle de Nelson Mandela, avec ses petites demeures en briques rouges bordées de pelouses bien entretenues et ses portails ouvragés le long des trottoirs. Les deux prix Nobel de la paix ont habité Vilakazi Street, aujourd’hui c’est l’endroit le plus touristique de Soweto. Derrière les vitres teintées des minibus des tour operators, les visiteurs blancs ne verront du ghetto que ces quelques lieux symboliques. Le reste, les « matchboxes »– « boites d’allumettes », principales habitations –, les rues poussiéreuses, les cabanes de tôle ondulée, les vendeurs de fruits au coin des rues, le verront-ils ? Vincent, 40 ans, est le leader des « Gumboots », un groupe de chanteurs de rue. « J’apprécie le développement du tourisme, dit-il, même si les prix ont augmenté dans les environs. » La visite du ghetto est préconisée par tous les guides touristiques, mais seulement bien accompagné. Les préjugés ont la vie dure : « Les gens s’imaginent que c’est la jungle ici, mais regardez autour de vous ! ». Autour en effet, c’est le quartier d’Orlando West, l’un des plus riches de la ville avec Diepkloof. On peut d’ailleurs y trouver les maisons les plus chères de Soweto, qui n’ont rien à envier à celles de certaines banlieues blanches de Johannesburg. Pour autant, le tourisme croissant n’a qu’une influence économique négligeable, comme l’explique Noor Nieftagodien, professeur de sociologie à l’université du Witwatersrand : « Le tourisme ne bénéficie qu’à quelques boutiques ou Bed & Breakfast autour de Vilakazi Street. L’argent va aux agences, pas aux populations qui en ont besoin. »

« Il faut impliquer les communautés »

Un constat aussi formulé par Lebo Malepa, créateur enthousiaste de la seule auberge de jeunesse de Soweto. « Si on veut que le tourisme soit accepté ici, il faut qu’il profite à la communauté. » Lebo emploie onze personnes et a aménagé un terrain de foot pour les enfants du quartier. Il exhibe son diplôme de tourisme responsable : « Il y a un potentiel énorme ici, mais il faut éduquer les habitants. Donner 10 dollars à un gosse qui chante dans la rue créé le risque que ses parents l’obligent à gagner sa vie ainsi, donc il faut impliquer les communautés. C’est pareil pour la criminalité. Regardez, ici la porte est toujours ouverte, les gens passent devant, les gosses rentrent demander de l’eau, je n’ai pas peur. » Une exception en Afrique du Sud où le sentiment d’insécurité vire à la paranoïa.

Des inégalités de plus en plus criantes.

Une avenue de Soweto. Photo : Juliette Robert

Une avenue de Soweto. Photo : Juliette Robert

Mais le tourisme n’est pas le seul facteur de l’évolution de Soweto. La fin de l’apartheid et les politiques menées depuis une vingtaine d’années en matière de logement ou d’équipements urbains ont été déterminants. Rares sont encore les baraquements de squatteurs tandis que de nombreuses habitations ont été construites pour une population de plus en plus dense : entre 3,5 et 6 millions selon les estimations. L’ANC a aussi favorisé l’émergence d’une classe moyenne aisée. Mais tout ceci ne doit pas faire oublier des inégalités de plus en plus criantes. « Il y a une semaine à Orlando, raconte Noor Nieftagodien, j’ai vu une file d’attente d’un millier de personnes qui attendaient des coupons de nourriture. Bien des choses n’ont pas changé. »

L’absence d’industrie et la consommation hors les murs des habitants qui travaillent à l’extérieur reste un désavantage pour le développement économique. Avec 40% de chômage, le township est à la traîne par rapport au reste de l’Afrique du Sud, les investissements sont limités et les centres commerciaux ne rapportent qu’aux grandes marques qui s’y implantent.
A Soweto, on est loin du capitalisme sauvage propre à certaines villes du continent. « Les nouvelles classes moyennes n’ont pas cette frénésie de consumérisme qu’on peut voir ailleurs, remarque le sociologue, quant aux plus pauvres, ils ont l’impression d’être dans cette situation à cause du système. » Avec le risque que la crise financière mondiale n’aggrave encore les inégalités, l’évolution de Soweto pourrait bien laisser une bonne partie de sa population de côté.