La face cachée du bio

2 juillet 2009  |  dans Enquêtes

photo DR

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OGM, traitement des animaux, importation, pâturage… le nouveau règlement européen revient sur plusieurs fondamentaux de l’agriculture biologique. Au risque, pour le consommateur, de se trouver pris dans l’illusion d’un produit siglé AB. S’il faut se féliciter de l’engouement mondial pour ces produits, la vigilance est plus que jamais de mise.

C’était trop bio pour être vrai. « Les produits issus de l’agriculture biologique sont meilleurs pour la santé, pour l’environnement, ont plus de goût et sont plus éthiques pour les producteurs ». La « bio-sphère » regorge d’évidences… Au point que le consom’acteur croit souvent qu’un produit griffé AB le protégera lui et la planète de tous les maux de la surproduction. Et pourtant, derrière ce label et les dizaines de certifications privées existantes se cachent des réalités très différentes. Il suffit de se pencher sur la question pour s’apercevoir que derrière l’étiquette se trouve le meilleur comme le pire. D’ailleurs, comment croire qu’un marché évalué à 2,6 milliards d’euros et en croissance de 27% par an (2007-2008), n’attise pas les convoitises ? Comment croire que 44% des Français ont consommé des produits labellisés qui n’ont pas fait des kilomètres de trajet alors que seules 2,6 % des exploitations sont biologiques ? Même si l’image d’Epinal du petit producteur sur le marché local n’est pas dépassée, les gros poissons de la grande distribution, et depuis cette année du hard discount, sont désormais dans les rangs. Mais pas question de jeter le bio avec l’eau du bain. Pour éviter de se retrouver avec des OGM dans l’assiette ou des tomates importées (par avion) du Chili, un seul mot d’ordre : la vigilance !

0,9% d’OGM dans l’assiette bio

Le logo AB

Le logo AB

Surtout depuis la publication le 1er janvier dernier du nouveau règlement européen. Un texte qui a provoqué un véritable tollé chez les organisations écologistes. La FNAB (Fédération nationale d’Agriculture biologique des régions de France), des producteurs et des marques spécialisées ont même lancé une initiative à la hauteur de l’attaque : une association, Alternative bio 2009, qui se donne pour objectif la création d’une nouvelle marque. « Ce que les Français considéraient comme des fondamentaux est remis en cause » analyse Juliette Leroux, chargée de la règlementation à la FNAB. C’est le moins qu’on puisse dire… Désormais, le consommateur pourra trouver dans son assiette des produits labellisés bio et contaminés à hauteur de 0,9% d’OGM. Avant le 1er janvier, la présence d’OGM était rigoureusement interdite par les cahiers des charges de l’ensemble des certifications de l’hexagone. Depuis, les ministres de l’Agriculture de l’Union européenne (le texte n’est pas passé devant le parlement, ndlr) ont accepté cette présence lorsqu’elle semble « techniquement inévitable et fortuite ». Au-delà de ce taux de tolérance, « la présence d’OGM devra être signalée sur l’étiquette ». En deçà ? Le consommateur pourra déguster des OGM avec sa salade… sans le savoir.

«Avec l’introduction de ce taux de tolérance, mais aussi l’ensemble des autres dispositions de la loi, l’Union européenne revient sur les fondamentaux. Ce n’est plus de la bio, c’est de l’agriculture durable », affirme Julia Wrigt, animatrice professionnelle de Nature et Progrès, une des organisations certificatrices les plus strictes d’Europe. Pour Djamila Sonzoni, porte-parole des Verts, l’adoption de cette loi n’a qu’une explication : « Le lobby de la chimie est très présent et très actif en Europe et cette disposition sur les OGM en est une preuve ». Elle poursuit : « Pour le moment, les différents gouvernements de l’Union Européennes ne sont pas près de faire changer les choses surtout quand on voit qu’ils donnent 1 milliards aux ‘biocarburants’, qui n’ont de bio que le nom, et seulement 200 millions pour le bio ». Mais la question des OGM n’est pas le seul point noir du texte…

« Pas de limitation des antiparasitaires, autorisation de la mixité végétale et animale »

La question des traitements vétérinaires était également considérée comme un fondamental pour les adeptes. Sur ce point, le nouveau règlement ouvre une brèche en ne limitant plus leur utilisation. Rappelons qu’à l’origine des préceptes du bio il faut privilégier des bâtiments spécifiques pour éviter les parasites et donc le recours aux médicaments. Désormais, les animaux pourront donc être traités avec des antiparasitaires mais aussi avec des traitements de synthèse (trois au maximum, contre deux auparavant). Comme dans l’agriculture conventionnelle. Avec tous les problèmes que cela pose pour l’environnement : les produits se retrouvent dans les excréments des bêtes, dans les prairies et enfin sont consommés par les insectes. En outre, « la flore de l’animal est déséquilibrée ce qui le rend plus fragile », explique la chargée de mission de la FNAB. Sur ce point, la spécialiste temporise : « C’est une question de culture, les traitements vétérinaires sont autorisés dans les pays du Nord car ils contribuent au bien-être de l’animal. »

Photo : Leïla Minano/Youpress

Photo : Leïla Minano/Youpress

Mais ce qui dérange le plus Juliette Leroux, c’est la mixité végétale et animale autorisée par le nouveau texte. « Cette partie du nouveau règlement est indéfendable, c’est une question de cohérence, explique-t-elle. Un producteur ne peux pas d’un côté laisser ses vaches aller à l’herbe et de l’autre côté élever ses poulets en batteries ! ». Aujourd’hui, si. Autre point dénoncé par beaucoup d’écologistes : la réduction de l’âge d’abattage des animaux. Une question de bien-être animal pour beaucoup de consommateur de bio, mais pour la juriste de la FNAB il s’agit encore d’une question de culture: « En Allemagne, un poulet qui a plus de 80 jours est considéré comme une vieille carne et donc non-comestible, ce qui n’est pas le cas dans tous les autres pays européens, il fallait harmoniser ». Pour Démeter, autre organisation certificatrice qui défend la biodynamie, « c’est ce qu’on appelle un nivellement par le bas ».

« Le pâturage n’est plus obligatoire »

Au niveau français, avant la publication de la nouvelle législation, 50% au moins de la nourriture de l’animal devait être produite sur l’exploitation de l’éleveur bio. Une manière d’éviter que les aliments ne parcourent des kilomètres en camion, mais aussi de gérer localement la production des aliments (un meilleur contrôle permet plus de cohérence dans la production et donc d’éviter les pénuries et la fluctuation des prix). Désormais, l’éleveur pourra aller la chercher dans toute la « région », le texte laissant à la discrétion des Etats la liberté de définir cette zone. En France, ce sont « la région administrative et les régions proches » qui ont été désignées. « C’est un recul mais c’est mieux que dans l’agriculture conventionnelle », explique la FNAB. C’est vrai, cependant le nouveau règlement ne s’arrête pas là, il s’attaque également au contenu même de la ration des bêtes. « Elle autorise l’incorporation de 5% -pour les herbivores- et jusqu’à 10% pour les autres espèces d’aliment non bio, explique-t-on à Nature et Progrès. Vous vous rendez compte, on pourra leur donner à manger 10% de soja OGM et avoir le label pour sa viande ! ».

Le logo européen

Le logo européen

En outre, avec « l’autorisation des systèmes à étages, c’est encore un autre principe fondamental du bien-être animal qui est remis en cause », poursuit Démeter. Ainsi des poulets pourront être élevés au 5ème étage d’un bâtiment s’ils « ont accès à l’extérieur ». « Les animaux ne seront pas encouragés à sortir dehors », estime la FNAB. A Nature et Progrès on est plus radical : « c’est quasiment de l’élevage en batterie ! ». En plus, « le pâturage n’est plus obligatoire, seule la présence d’une pâture l’est, ce qui change tout, s’indigne l’organisation certificatrice. Effectivement, les bêtes n’auront pas forcément de quoi se nourrir car le nombre d’animaux par pâture n’est plus limité. Résultat pour l’environnement : risques de surpâturage avec tassement du sol, pollution aux nitrates, etc. Et Nature et Progrès de conclure : « Finalement, ce tableau laisse apparaitre une orientation claire de l’élevage bio vers de l’industrie ». Mais prudence… le seul règlement européen n’explique pas tous les reculs que connaît le secteur aujourd’hui. Déjà, et ce bien avant le premier janvier, le consommateur aurait pu être surpris par le contenu et les ravages produits par le contenu de son assiette bio…

Des produits bio suremballés

C’est ce qu’ont constaté les deux journalistes Hélène Le Héno et Laurence Sylvander lors de la rédaction de leur Guide des meilleurs aliments bio (Broché 2008). Grâce à l’aide de plusieurs experts, elles ont établi un palmarès pour aiguiller le consommateur. « Dans le bio, il y a le meilleur comme le pire », constate la première. Il suffit de se promener dans les allées d’un supermarché pour se rendre compte qu’il y a des produits bio suremballés ». Quelque fois plus que certains aliments de l’agriculture conventionnelle. La journaliste prend l’exemple des pots de yaourts bio qui, en plus des pots en plastiques, sont entourés d’un emballage en carton. « Sans parler de tous les produits emballés en dosette sans raisons particulières, mises à part celles dictées par le marketing, poursuit-elle. Cette question peut paraître anodine, mais le suremballage fait des ravages sur la planète », affirme l’auteure. Rappelons qu’en 30 ans, le volume des emballages a été multiplié par 5 et que chaque année 450 milliards d’emballages sont mis sur le marché européen. Même si le recyclage permet de limiter les quantités de déchets qui aboutissent en décharge ou à l’incinérateur, cette option a un coût pour l’environnement. Une préoccupation qui devrait être prise en compte par les labels.

Panier de légumes bio

Panier de légumes bio

Pourtant là aussi c’est loin d’être une évidence. Il suffit de balayer du regard les rayons bio pour se rendre compte que pour beaucoup, cela n’est pas une priorité. Et la journaliste de proposer une solution : « C’est au consommateur d’être vigilant sur ce point quand il choisit ses produits. Il doit contrôler les étiquettes et ne pas se laisser tenter par les packaging ultra-élaborés ». Mais pas de panique, l’agriculture bio regorge de bons élèves. Ces magasins spécialisés, producteurs locaux, organisations certificatrices militantes, qui vont plus loin que les textes. C’est le cas de la certification Démeter : « Nous avons des règles identifiées dans notre cahier des charges, affirme-t-on à Demeter. Nos producteurs ont l’obligation d’avoir recours aux emballages les plus naturels possibles ». Biocoop, une des plus importantes chaînes de magasins spécialisés a pour sa part, choisit « de distribuer en vrac plusieurs produits – sucre, farine, fruits secs, céréales – pour éviter d’avoir recours aux emballages ». Seulement voila, tout le monde n’a pas forcément une boutique spécialisée à proximité, ni les moyens financiers de se servir chez les « bons élèves ». C’est là que les hyper et les supermarchés interviennent.

La grande distribution : les rois du bio

Car c’est un fait aujourd’hui grâce aux géants de la distribution, le bio n’est plus l’apanage de quelques consommateur avertis. Il est désormais à la portée, physique et financière, de la plupart de gens. La GD commercialise 40 % des ventes (autant que les magasins spécialisés) avec en moyenne 200 références par magasin. Certains ont même fondé leur propre bio-marque à l’instar de Monoprix et de Carrefour. Si tous reconnaissent que la commercialisation en grande surface a permis une certaine démocratisation (prix plus bas, visibilité du bio à grand renfort de campagnes publicitaires), l’ombre de « l’industrialisation et de la production de masse», pèse sur le marché du bio. Et ce, bien avant le 1er janvier dernier. Car ce sont rarement les petits producteurs qui sont capables de fournir à prix bas des volumes importants. D’ailleurs, les fournisseurs de la grande distribution en bio sont en général de gros industriels (Danone, Triballat, Bjorg).
La bio pourrait-elle emprunter le même chemin que la conventionnelle avec son lot de faillite des petites exploitations au profit des plus grandes ? Le risque est grand. Mais plus largement, c’est la provenance des aliments bio sur le marché d’aujourd’hui qui remet en cause le principe fondamental de « filière courte ». Car contrairement à une idée reçue, les produits bio n’ont pas forcement été cueillis la veille dans une exploitation de la région. La trop faible capacité de production actuelle (seules 2,6% des terres sont biologiques en France) et aussi la recherche des prix les plus bas poussent la grande distribution notamment, à importer 50% des produits. « Plus de la moitié des fruits et légumes et 40% de l’épicerie sèche proviennent de nos voisins européens, du Maroc, de Turquie, voire de beaucoup plus loin », explique l’Agence bio, organisation chargée de faire la promotion du bio en France. Résultat : transports et dégagement de C02 garantis. Toujours est-il qu’il suffit au consommateur de jeter un œil sur l’étiquette pour vérifier, le lieu mais aussi l’entreprise qui produit les aliments, pour être sûr de ce qu’il achète.

Et les producteurs ?

La question des conditions de travail des agriculteurs bio est également peu abordée par la loi et très peu présente dans les cahiers des charges des labels, même privés. Pourtant, sans être bio-rigide, là aussi il s’agit d’un précepte de base. Dans un contexte où les agriculteurs peinent de plus en plus à boucler les fins de mois (augmentation du prix des matières premières), la question d’une production plus raisonnée se pose plus que jamais. De ce côté les réponses offertes par la loi sont par beaucoup jugées insuffisantes. Démeter a mis en place une « charte sociale pour le bien-être des producteurs ». Mais le responsable souligne qu’il est très difficile « d’avoir une réponse mondiale en la matière car les règles culturelles – notamment sur le travail des enfants sur les exploitations – varient énormément d’un continent à l’autre ». Et d’ajouter : « c’est aussi à l’Etat de prendre des décisions politiques fortes en faveur du développement de l’agriculture bio. En France nous sommes très tièdes en comparaison des gouvernements allemand et autrichien qui ont promis 20% de bio d’ici 5 à 10 ans ». Plus qu’une charte, Biocoop, la chaîne de magasins spécialisés, a instauré un prix plancher pour les produits qu’il distribue afin que les agriculteurs puissent vivre de leur travail. Il va sans dire que personne n’est obligé, pour obtenir le label bio de respecter ce précepte. Mais de là à dire que les enseignes qui se contentent de la loi, ne produisent pas bio il y a un fossé.

Sur 28 produits cosmétiques bio, 12 contenaient des conservateurs

A partir du moment où ils ont obtenu le label (AB pour Monoprix, Ecocert pour Auchan, par exemple) ils sont contrôlés une fois par an et doivent respecter, comme tous, la réglementation au pied de la lettre. Au risque de perdre le précieux poinçon ou pire, en cas de danger pour la santé, de se voir tout simplement retirés des rayons. Ce fut le cas au mois de mars dernier avec quelques cosmétiques bio épinglés par l’Affssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) et la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des faraudes). Ces dernières ont procédé au retrait de l’un des cosmétiques contrôlé et constaté que « la présence de traces de produits conservateurs a été avérée dans 12 cas » sur 28. Presque la moitié. Toutefois, il faut signaler que ces produits, choisis au hasard, n’étaient certainement pas tous vendus en grande distribution. Pour Démeter, le vrai problème avec la grande distribution c’est « qu’elle respecte la loi mais ne va pas au-delà. Et vu que les textes sont de moins en moins restrictifs… c’est du bio au rabais ».

En tout cas, il est certain qu’aujourd’hui il existe sur le marché français un bio à deux vitesses, voire à autant de vitesses qu’il existe de certifications différentes. Toutefois il est indéniable que le bio, tous cahiers des charges confondus, reste meilleur pour l’environnement. Là-dessus tout le monde s’entend. D’ailleurs un rapport officiel britannique du Department for environment, Food and Rurals Affairs (DEFRA) confirme que la production de produits biologiques a moins d’impact sur l’environnement que la production conventionnelle moderne. L’IFEN, Institut français de l’environnement, confirme l’intérêt de l’agriculture bio alors que plus de 96% des rivières et 61% des nappes d’eau souterraines sont contaminées. Or comme le confirme l’Afsset (agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail), les pesticides qui se sont infiltrés vont mettre jusqu’à 30 ans pour s’éliminer des sols. Alors pas question de jeter le bio avec l’eau du bain, parce qu’après tout le bio c’est bon et meilleur que l’agriculture intensive. Il est simplement temps de tordre le cou aux jolis rêves d’une agriculture 100% saine pour revenir aux réalités de la production bio d’aujourd’hui. Quitte à rêver celle de demain…