Tremblement de terre à l’Aquila : l’agritourisme encore sous le choc

26 octobre 2009  |  dans International

L'Aquila

L'Aquila

A une centaine de kilomètres de Rome, l’Aquila, capitale de la province des Abruzzes, se remet doucement du tremblement de terre meurtrier qui a coûté la vie de 300 personnes en avril dernier. Alors que toute l’économie de la région a été touchée, l’agritourisme doit lui aussi faire face.

Ici et là des éboulements ponctuent encore le pavement régulier des étroites rues du petit hameau ensoleillé de San Giovanni, l’un des sept qui constituent le village de San Demetrio, à 15 km de l’Aquila. La zone environnante est classée « rouge ». C’est-à-dire interdite d’accès aux populations, car jugée encore trop dangereuse. Le 6 avril en effet, un séisme meurtrier détruisait maisons et vies dans les alentours de l’Aquila.

Pourtant, Anna Maria Alberti, propriétaire ici d’un agritourisme ouvert en 2006 prend le risque, et nous conduit à l’entrée de sa maison en pierre de taille du début XIXe siècle, lovée au cœur d’une rue surplombant une vallée verdoyante. La lourde porte de bois incrustée de clous ancestraux poussée, le constat est clair : le temps a été comme suspendu depuis le séisme. Des décombres, rien n’a été bougé. Beaucoup de poussière, des briques tombées du mur, des fissures. Mais le bâtiment tient bon. « Je me suis lancée dans l’agritourisme, lance la jeune femme devant l’entrée, car l’agriculture ne me rapportait plus assez. De plus, mes parents tenaient un hôtel quand j’étais petite. Mais comme il était trop grand pour que je le reprenne, j’ai décidé d’acheter cette maison de famille et d’en faire un lieu d’agritourisme, afin d’avoir le temps de concilier mon activité agricole ». La vue des chambres à l’étage est sublime. Du vert à perte de vue. Le paysage typique des Abruzzes, mélange de nature sauvage et de montagne abrupte. De là, on y aperçoit les quelques lopins de terre sur lesquelles Anna Maria fait pousser pommes de terre, céréales, et fourrage. Pas étonnant que l’écrivain belge d’origine italienne Jean Portante vienne y faire des séjours régulièrement. Et ce n’est pas peu fière qu’Anna Maria se hâte d’aller chercher dans les décombres de l’entrée l’un de ses ouvrages. Car pour elle, « les clients sont d’abord des hôtes. L’agritourisme est une autre façon de faire du tourisme, plus familiale, plus intime. C’est très important pour moi, ce rapport vraiment humain entre les voyageurs et moi. » Selon elle, la recette plaît de plus en plus et ce, depuis une dizaine d’années. Anna Maria aime à faire goûter à ses hôtes ses confitures maisons, son jambon, les gâteaux faits avec ses œufs, les fruits de ses arbres, faire découvrir enfin les produits du terroir de sa région d’origine. « La connexion avec la nature, l’agriculture, est essentielle. Mais ce qui m’intéresse le plus, c’est la possibilité de transmettre une philosophie de vie à d’autres personnes. »

« Une façon plus intime de faire du tourisme »

Si la « dimora antica » -comme on peut le lire sur la plaque en céramique apposée à l’entrée- a tenu le coup, le tremblement de terre a eu des conséquences sur le cours de ses affaires. Anna Maria le reconnaît : « Dès que les gens ont entendu parler du séisme ici, toutes les réservations faites avant avril ont été annulées. Ca a été dur. » D’un point de vue économique, difficile d’évaluer le manque à gagner mais Anna Maria reconnaît volontiers se sentir soulagée à l’idée que son mari ait un emploi stable ; il est fonctionnaire d’Etat. Il faut dire que les 150 000 euros investis dans les travaux de restructuration, de modernisation pèsent lourd sur le ménage. « Je pense qu’il faudra attendre au moins un an pour voir comment les choses peuvent évoluer. Pour le moment, l’accès à la maison est interdit puisque la priorité est de faire les travaux pour mettre en sécurité la zone », explique cette dernière. Mais comme toujours Anna Maria garde l’espoir. Et le sourire. Très touchée par les marques de solidarité et les appels de clients, futurs clients ou même d’inconnus, elle espère bien obtenir des aides de l’Etat mais rien n’est moins sûr. Pourtant, beaucoup d’agritourismes ont été eux aussi victimes du tremblement de terre. « J’en connais au moins dix, rien que dans mon entourage », affirme-t-elle, inquiète, sur la centaine qu’elle estime exister dans les Abruzzes.

Le tremblement de terre a bouleversé le secteur

A l’autre bout de la ville de l’Aquila, l’agritourisme « Il Boschetto », ouvert en 2003, se découvre derrière un petit pont champêtre au-dessus d’un cours d’eau local. Cette nuit, la terre a tremblé comme c’est le cas presque quotidiennement depuis six mois. Alors, juste au cas où, des tentes ont été sorties. Par sécurité. Ici, contrairement à la situation d’Anna Maria, le restaurant est toujours ouvert. Pas de dégâts dans sa structure. En revanche, Linda Duriscio, qui travaille ici avec les membres de sa famille, affirme que la clientèle a changé. « Paradoxalement, nous ne sommes pas vides du tout ! Simplement, il ne s’agit pas de la même clientèle que d’habitude. Ce sont les pompiers, les policiers, la protection civile qui sont devenus les habitués de notre agritourisme. Les touristes, eux, d’ordinaires majoritairement romains et en manque de vert, ont déserté. » L’agritourisme de Linda Duriscio est entouré de ses lopins de terres, là où elle élève des bovins et fait pousser des céréales, la spécialité de la région. Tout comme Anna Maria, cette agricultrice de formation a décidé de se mettre à l’agritourisme car son activité originelle seule ne suffisait plus à subvenir à ses besoins. Fromage, marmelades, les produits qu’elle obtient sont servis au menu du restaurant. « Maintenant, ce n’est plus de la dégustation comme avant, mais plutôt de la restauration rapide, les clients qui viennent étant en mission », analyse-t-elle.

Même son de cloche chez Francesca et Jimmy, qui possèdent un Bed&Breakfast à Navelli, à 30 km de l’Aquila. Chez eux, le safran, produit phare de la région – et reconnu meilleur safran du monde dans le film d’animation « Ratatouille », s’amusent-ils-, a une place de choix dans la vitrine du salon. A vendre, bien sûr. Certes ils ne cultivent pas la terre, mais en entretenant de bons rapports avec un gros producteur, ils permettent aussi de faire découvrir, entre leurs murs, les produits importants aux voyageurs épris de terroir. Le couple, elle Italienne, lui Irlandais, a vécu dans les camps de sinistrés pendant deux mois après le tremblement de terre et a effectivement senti ses effets négatifs sur les réservations. Mais eux aussi soulignent, que derrière la tragédie du séisme, dont ils ont été très choqués, « la reconstruction de la région va drainer un nombre considérable de personnes. » Et donc autant de clients potentiels.

Le temps de l’urgence passé, peut-être l’Aquila saura-t-elle saisir l’occasion, certes dramatique, qui lui est donnée, pour optimiser tout son potentiel touristique. Mais le terroir et la beauté des paysages seront-ils suffisants pour faire passer le traumatisme ?