A l’orphelinat, un combat quotidien pour la survie

27 janvier 2010  |  dans International

Les enfants de Coeur-de-Marie. Photo: C.Fohlen/Fédéphoto

Les enfants de Coeur-de-Marie. Photo: C. Fohlen/ Fédéphoto

Tout manque à l’orphelinat Le Cœur-de-Marie à Port-au-Prince.  Depuis le séisme qui a ravagé la capitale, le 12 janvier dernier, les employées se démènent pour trouver de quoi nourrir la trentaine d’orphelins qui vit sous une bâche depuis que le bâtiment s’est effondré. Reportage.

Sous la bâche qui lui sert de chambre, Emmanuel n’arrête pas de pleurer. Avec une dizaine  d’enfants, le petit Haïtien est assis sur une couverture, à même le sol. Son nouveau terrain de jeu depuis le tremblement de terre du 12 janvier qui a provoqué l’effondrement de l’orphelinat. Nous sommes dans la cour de ce qu’il reste du Cœur de Marie, une institution qui accueille une trentaine d’orphelins âgés de 0 à 9 ans, en attente d’une famille d’adoption. Devant les gravats de l’immeuble affaissé, des bidons d’eau vides traînent,  de la vaisselle sale persiste dans la dizaine de bassines qui jonchent le sol. Un tableau de misère qui donne à la cour de l’orphelinat des airs de favela. Au pied du portail, des tous petits se promènent entre des chaises en paille et des jouets en plastique. Dans un parc, des bébés rampent, d’autres fixent les autres avec curiosité, pendus à la rambarde. Des jeunes femmes s’affairent, là, à donner à manger à Erika, 3 ans, ici, à laver Mackenzie, 2 ans. «Elle ne parle plus depuis le séisme, elle ne veut même plus dire bonjour», raconte Nadine, l’une des sept employées de l’orphelinat, en désignant une petite fille vêtue d’un T-shirt trop grand pour elle. Erika toise de ses grands yeux en amande, sa petite main gracieusement posée sur une chaise. «Elle était toujours joyeuse avant, maintenant elle ne sourit plus », ajoute nerveusement la jeune femme de 25 ans. Les autres ? « Ils sont très stressés, ils pleurent tout le temps… Mais nous manquons de tout, il est donc difficile de savoir si c’est à cause du traumatisme ou de nos conditions de vie.»

Trop de plâtre était tombé sur elle

Une orpheline. Photo : C. Fohlen/Fédéphoto

Une orpheline. Photo : C. Fohlen/ Fédéphoto

Comme pour faire échos aux propos de Nadine, une femme, lunettes carrées sur le nez et foulard dans les cheveux, fait son entrée, deux paquets de spaghettis  à la main. C’est Ariane, la directrice de l’établissement. « Tous les dépôts sont fermés à cause des pillards, voilà ce que j’ai pu me procurer, dit-elle en reprenant son souffle. Heureusement qu’un voisin nous a offert une boîte de lait ce matin, nous n’en n’avions plus depuis trois jours.» Résultat, Ariane est  obligée de rationner : « C’est affreux, ils pleurent tout le temps parce qu’ils ont soif, mais nous devons penser au lendemain.» Au Cœur de Marie, l’eau manque aussi pour la toilette des enfants et la lessive. Surtout depuis que des pillards sont entrés pendant la nuit et ont emporté le peu de vêtements qu’il restait. Mais plus que les vêtements, la pénurie et le traumatisme « que l’on peut combattre », c’est de la mort de l’un de ses enfants dont la directrice «ne se remet pas». Aujourd’hui, le petit Emmanuel est seul sur son coin de couverture, mais avant le séisme, «on le mettait toujours près de sa sœur jumelle, Emmanuela», explique la directrice, la gorge serrée. « Ils étaient très différents l’un de l’autre. Emmanuela était une battante et Emmanuel était plus calme, raconte Ariane dans un sourire. Mais ils étaient tous deux souvent malades car leur mère avait pris des médicaments pour se faire avorter.» Le jour où la terre a tremblé, les jumeaux nés le 25 décembre dernier, étaient chacun dans leur lit collés. Des morceaux de murs s’effondrent et tombent sur le lit d’Emmanuela. «On ne pouvait plus rien pour elle, elle avait reçu trop de plâtre sur la tête», explique la directrice, la voix étranglée. Après les secousses, Ariane est seule avec les enfants car ses employées, inquiètes pour leur famille, sont allées les retrouver. «Je ne pouvais pas la conduire à l’hôpital et abandonner les autres, mais je voyais bien que quelque chose n’allait pas, car contrairement aux autres, la petite ne pleurait pas.» Le lendemain, grâce à un voisin qui veut bien lui prêter de l’essence, la directrice finit par l’emmener au service pédiatrie. « Le médecin m’a dit qu’il y avait peu de chance qu’elle s’en sorte, alors j’ai payé quelqu’un pour rester auprès d’elle, et je suis retournée à l’orphelinat», avoue difficilement la directrice. Emmanuela, s’éteindra, le lendemain, presque trois jours après le séisme. Son corps est allé rejoindre les dizaines de milliers d’autres à la morgue de l’hôpital général de Port-au-Prince. « Je ne pouvais pas l’emporter, il n’y a même plus de cimetières dans la capitale… Et je devais retourner m’occuper des vivants », explique Ariane, comme pour se justifier. Dans son coin de couverture, Emmanuel pleure encore.