En Roumanie : rester malgré la crise

5 février 2010  |  dans Santé

photo : David Breger/Youpress

photo : David Breger/Youpress

Il est 19h et la nuit est déjà tombée sur Bucarest, mais Mihaela Ratcu, 41 ans, n’a pas encore terminé sa journée. Dans le centre médical, où elle exerce depuis 15 ans, près de la Piata Victoriei, dans le Nord de la ville, les patients affluent encore. Ce médecin de famille en reçoit entre 20 et 30 par jour, le maximum permis par la réglementation, mais qui suffisent à l’occuper entre 8 et 10 heures quotidiennement.

Régulièrement, elle fait aussi des extras dans un cabinet privé et jusqu’à peu, elle assurait encore une permanence dans un service d’urgence, sa spécialité. « Une véritable passion, qui procure une bonne dose d’adrénaline», sourit la jeune femme, un peu fatiguée. Mais qui lui prend ses week-ends et ses vacances et l’empêche parfois de profiter pleinement de sa vie de famille : « Le dicton ici c’est : quand on est médecin pourquoi avoir des enfants ? », rappelle-telle en plaisantant. Pour autant, elle ne changerait de métier pour rien au monde et connait quasiment chacune des 1500 personnes recensées dans ses fichiers. « Je sais tout de leurs vies, de leurs familles, de leurs problèmes… la situation économique est difficile en Roumanie et les gens ont souvent besoin de parler même si ce n’est pas de questions médicales. Certains de mes patients ont même mon numéro personnel et m’appellent après le travail ».

Depuis la révolution de 1989 et la chute du régime de Nicolae Ceausescu, le secteur de la santé en Roumanie a subi de nombreuses réformes : un passage progressif du système communiste vers une décentralisation et une privatisation des soins. Il y a encore 20 ans, le centre médical, ou Mihaela exerce, dispensait les soins gratuits (et souvent de faible qualité) assurés par l’Etat. Aujourd’hui, le bâtiment, propriété de la municipalité lui est loué : elle le partage avec d’autres généralistes et des spécialistes (cardiologue, dermatologue, ophtalmologiste… ) : « dans une très bonne entente », explique Mihaela Ratcu : « aujourd’hui, les médecins de familles sont la base du système, ils orientent les patients vers les spécialistes ». Ces quelques 10.000 généralistes, médecins indépendants sont en contrat avec les Caisses Départementales d’Assurance Maladie, rémunérés par un mélange de capitation (en fonction de l’âge des patients) et de paiement à l’acte. Les patients, couverts par l’assurance maladie déboursent environ 5 euros pour la consultation. « Notre travail quotidien comporte beaucoup de prévention : j’en fais dans chaque consultation. Les maladies cardiovasculaires notamment sont un problème important (parmi les taux les plus importants en Europe)… J’essaie d’éduquer mes patients, dont le mode de vie est souvent synonyme de mal nutrition, de stress, de tabagisme… Un discours que personne ne prononçait il y a quelques années, mais qu’ils sont aujourd’hui prêt à entendre »

Grâce à ses cadences de travail acharnées, Mihaela gagne jusqu’à 1000 euros par mois, ce qui représente un bon salaire en Roumanie, où la moyenne nationale est de 350 euros mensuels et où les médecins hospitaliers touchent à peu près 500 euros. Des faibles salaires, qui encouragent la corruption. Pour être sûr de recevoir des soins, les patients doivent souvent donner un bakchich. Avec la crise économique et malgré les réformes, le système de santé roumain est au bord de la crise. Les fonds alloués par l’Etat au secteur sont parmi les plus faibles d’Europe (3% du PIB contre 7,4% en moyenne à l’Ouest). « Il faudrait un électrocardiographe pour le cabinet, mais nous n’avons pas les moyens de l’acheter… durant nos études, nous avons appris à nous servir des instruments les plus pointus, mais nous ne les utilisons pas », regrette Mihaela.

Equipements vieillissants, bas salaires… pour ces raisons, de nombreux médecins roumains ont décidé de quitter leur pays : « Bien entendu, partir travailler à l’étranger, cela m’est passé par la tête », reconnait Mihaela Ratcu : « les conditions salariales y sont meilleures. La France est un choix courant pour une expatriation car les relations sont bonnes et la culture française particulièrement appréciée en Roumanie. Je connais beaucoup de collègues qui sont partis la bas ». Pour autant Mihaela a préféré rester ici : « Nous avons besoin de médecins dans notre pays… beaucoup de villes de Roumanie en manquent, surtout dans les campagnes ». Mihaela a pourtant le projet de partir à l’étranger, mais pour y participer à des congrès… l’année prochaine, si elle trouve le temps !