« Haïti, c’est loin d’être fini »

11 mai 2010  |  dans International

Crédit : Corentin Fohlen/fedephoto

Crédit : Corentin Fohlen/fedephoto

À Port-au-Prince, les équipes médicales s’activent toujours auprès d’une population extrêmement fragilisée. Reportage au sein d’un dispensaire créé par une « brigade de sœurs infirmières».

C’est une petite maison résidentielle coincée dans une rue, au cœur de Port-au-Prince. Rien ne la distingue de ses voisines plus ou moins détruites pendant le séisme, si ce n’est la foule qui se presse devant la grille. Et pour cause : depuis quelques semaines, une « brigade internationale de sœurs infirmières » a converti cette ancienne résidence en dispensaire. Parmi elles, sœur Gladys, une infirmière irlandaise de la congrégation Medical Missionnary of Mary. La frêle religieuse aux yeux bleus pétillants, qui a troqué son voile pour une tenue d’infirmière, s’active avant l’arrivée des patients. Entre deux coups de balai, elle raconte : « Quand je suis arrivée ici et que j’ai vu l’état de la maison, les murs écroulés, la poussière partout, j’ai dit aux soeurs qu’il était impossible de monter un dispensaire ici. Puis je me suis laissé convaincre. Il n’y avait pas le choix, les gens avaient besoin de nous. »

Médecins bénévoles

Gladys et les soeurs haïtiennes et dominicaines de Saint-Joseph-de-Cluny ont donc balayé, nettoyé et rangé pendant plusieurs jours pour rendre le dispensaire opérationnel. « Ici, c’est pire que ce que j’ai connu au Nigéria, explique la soeur irlandaise, missionnaire pendant vingt-cinq ans dans ce pays. Parce que nous avons dû tout construire nous-mêmes. » Le résultat est à la hauteur de l’énergie déployée dans cette maisonnette d’une cinquantaine de mètres carrés. Dans l’ancienne salle de bain reconvertie en pharmacie, les médicaments ont été soigneusement classés et les étagères étiquetées. Des cartons ont été transformés en rangement de fortune et chaque recoin de la salle d’eau a été mis à profit.

« Nous avons de la chance, nous avons reçu beaucoup d’aide humanitaire de nos congrégations, commente la soignante. Aujourd’hui, contrairement à beaucoup d’autres, nous disposons du nécessaire en termes de médicaments et de matériel médical. » La salle de bain n’est évidemment pas la seule « transformation » réalisées par les soeurs. Le temps de condamner au ruban adhésif la partie de la maison qui menaçait de s’écrouler et elles ont changé les chambres de la maison-dispensaire en salle de consultation, et la terrasse… en salle d’attente.

C’est donc là que soeur Marie, une infirmière haïtienne, accueille les dizaines de patients qui sont déjà arrivés. « Tous les médecins qui travaillent dans le dispensaire sont des bénévoles, certains sont des anciennes élèves ou des parents (la congrégation avait également un établissement scolaire, aujourd’hui effondré), explique soeur Marie, tout en remplissant les fiches des patients. Mais quelquefois, ils annulent ou arrivent en retard », poursuit-elle.

Infections persistantes

D’ailleurs, alors que la « terrasse-salle d’attente » est comble, l’infirmière ne sait toujours pas si le médecin prévu cet après-midi viendra. « La phase d’urgence est passée, nous n’avons plus de cas de chirurgie lourde comme dans les semaines qui ont suivi le séisme », ajoute la soeur haïtienne qui avait dû alors seconder des chirurgiens pendant les amputations. Mais les patients sont toujours très nombreux car les soeurs-infirmières sont confrontées à toutes sortes de cas infectieux : gastroentérites, malaria, fièvre typhoïde, tuberculose, infections pulmonaires. « Les conditions d’hygiène précaires et l’humidité dans les camps de réfugiés (1,5 millions d’Haïtiens sont sans abri, ndlr) ont des conséquences dramatiques sur la population, s’inquiète Marie. Et avec la saison des pluies qui arrive, le pire est encore à venir. »

Soeur Gladys insiste quant à elle sur l’importance du dialogue dans le travail des infirmières du post-séisme. « Les gens sont très stressés, ils ont des crises d’angoisse, de panique, raconte la soignante irlandaise. Certaines personnes ont tout perdu, leurs proches, leur maison, leur emploi… » Les soeurs qui gèrent seules le dispensaire doivent donc aussi « prendre le temps de discuter avec chaque malade ». « Certains patients ne veulent plus vivre et les mères de famille se demandent comment elles vont pouvoir protéger et nourrir leurs enfants dans les camps de réfugiés », poursuit tristement la soeur irlandaise. Et de conclure : « Contrairement à ce que le monde semble croire, Haïti, c’est loin d’être fini. »