Jomo Sono : la légende du « Prince noir »

28 juin 2010  |  dans International

Photo : Yoan Valat

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Véritable mythe du football sud-africain, qui a côtoyé Pelé et Beckenbauer au Cosmos de New York, il a connu une trajectoire sinueuse qui colle à l’histoire de son pays.

Une Mercedes noire dernier modèle se gare au ralenti au bord du terrain.  Le regard sombre sous sa casquette, Jomo Sono descend du véhicule. L’approcher n’est pas facile, pris entre son club, ses responsabilités pour la Fifa et ses multiples entreprises, Jomo est un homme plus qu’occupé. Et puis en Afrique du sud, c’est une véritable star : « vous savez, ma femme m’interdit de l’accompagner au centre commercial, sinon c’est l’attroupement », plaisante-t-il.
Le Rand Stadium de Johannesburg, lieu d’entrainement de son club, le Jomo Cosmos FC, est à quelques pas, mais nous sommes sur un terrain bien plus modeste, celui ou s’exercent les moins de 19 ans. En cette fin d’après-midi ensoleillée, il vient se livrer à un de ses exercices préférés : repérer de jeunes talents pour son équipe première. Tandis qu’un employé brique sa voiture,  Il cale son imposante silhouette sur une chaise et observe avec attention l’entraînement.

Photo : Yoan Valat

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Tout dans l’histoire de cet homme respire la légende à commencer par ses débuts dans le football. Né Ephraïm Matsilela Sono à Soweto, en 1955, il connait une enfance difficile. Son père, talentueux milieu de terrain des Orlando Pirates, l’un des deux principaux clubs de Soweto, meurt dans un accident de voiture lorsque Jomo à 8 ans. Abandonné par sa mère, il est laissé aux soins de ses grands-parents dans une minuscule maison du township d’Orlando East. « Ce sont des souvenirs que je n’aime pas évoquer »,  dit-il pudiquement : « j’étais dans la rue tout petit, j’étais obligé de vendre des fruits pour survivre et je n’avais pas le temps de jouer au ballon ». Mais un jour, le jeu le rattrape : « A 14 ans, j’ai assisté à un match des Orlando Pirates. Il leur manquait un joueur et ils m’ont demandé de monter sur le terrain. J’y suis allé et j’ai marqué deux fois : je n’avais jamais mis un but avant ». L’histoire semble embellie, mais les récits de l’époque décrivent un joueur exceptionnel. « J’étais très habile et rapide, bon passeur et je perdais rarement le ballon, comme Maradona, ou Messi».

Il déserte son mariage et va marquer deux buts

Photo : Yoan Valat

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Engagé par les Pirates, il devient le plus jeune professionnel sud-africain. Les fans lui inventent de multiples surnoms, dont Jomo, qui signifie la lance enflammée, mais aussi le Prince Noir, le fauteur de trouble ou la bombe à retardement. Bien avant Beckham, il s’était fait spécialiste des « Banana kicks » : « Sur coup de pied arrêté je tirais le ballon avec cette trajectoire courbe, et ça entrait. Du droit comme du gauche ! ». Durant l’apartheid, Noirs et Blancs ne jouent pas côte à côte, mais s’affrontent parfois. Le jour de son mariage, son équipe doit disputer un match crucial contre les Blancs de Highlands Park. Mais à la mi-temps les Pirates perdent 2-0. Lorsqu’il entend le score à la radio, Jomo quitte les festivités. Entré sur le terrain, Il marque deux fois et procure deux occasions décisives à ses coéquipiers. Score final : 4-2. La légende est en marche ! Pourtant  Jomo fait partie de cette génération sacrifiée, qui n’a jamais pu s’exprimer dans les compétitions internationales, l’Afrique du Sud étant bannie de la Fifa durant l’apartheid. L’homme met ses désillusions de côté : « tout arrive pour une raison. Je ne pense pas que Mandela ait des regrets pour être resté en prison si longtemps ». Le meneur de la lutte contre la ségrégation raciale, auquel il voue une véritable admiration est aujourd’hui son voisin dans les quartiers chics de Houghton : « il nous arrive de discuter football bien sûr, il aime beaucoup les Pirates, même si son sport, c’était la boxe ». Dans le l’histoire cloisonnée de l’Afrique du Sud, le sport permit d’ouvrir quelques brèches. Ainsi, en 1976, le gouvernement sud-africain sélectionne une des premières équipes mixtes pour un match amical contre l’Argentine : « J’ai marqué quatre fois et nous avons gagné 5-0, un grand souvenir ! ». Mais la gloire l’attend ailleurs. En 1977, il s’exile aux Etats-Unis et rejoint les New York Cosmos, où il côtoie les plus grands joueurs de l’époque : le roi Pelé, « le joueur le plus humain de toute l’histoire du football » et Franz Beckenbauer « rapide et élégant comme une Mercedes ».

Dénicheur de talents

A la fin de sa carrière en 1982, après un passage au Canada, le Prince noir revient au pays. Il rachète le club « blanc » de Highlands Park à Johannesburg, tout un symbole. Il le renomme Jomo Cosmos en hommage à son ancienne équipe et entame une seconde carrière en tant que manager et entraîneur. Cette année son club descend en deuxième division, mais sur de lui, il promet de « remonter dès l’année prochaine et de gagner le titre l’année suivante ».

Photo : Yoan Valat

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L’homme s’interrompt un instant, un jeune attaquant qu’il observe depuis un moment, marque une hésitation dans la surface. Tel un empereur romain, il fait appeler le joueur : « A ce moment il ne faut pas que tu réfléchisses, tu dois frapper ». Le gamin baisse la tête et acquiesce avant de repartir. « Il est doué », souffle Jomo.  Repérer des joueurs c’est devenu sa spécialité : parcourant les ghettos et les zones rurales du pays, il a déniché de jeunes talents comme Mark Fish, passé par la Lazio, Phil Masinga, ancien joueur de Leeds et Bari, ou encore Aaron Mokoena, l’actuel capitaine des Bafana Bafana. « Je les trouve à l’instinct, je ne me l’explique pas. Mais je comprends ces joueurs car je sais où ils ont grandi, je suis comme eux » reconnait-il. Beaucoup de ses protégés le suivront dans son aventure avec la sélection nationale  qu’il emmènera en 1998 en finale de la CAN  puis en Corée pour la Coupe du monde 2002. Le prince noir se voit plus comme un père que comme un coach, et les deux « métiers » ne lui sont pas étrangers puisqu’il  a aussi entraîné ses fils, tous deux joueurs professionnels.

A l’heure où toute l’Afrique du Sud vibre pour le foot, il a eu une part active dans l’évènement en tant qu’ambassadeur et aujourd’hui observateur pour la Fifa. « Je suis fier et heureux que cette première Coupe du monde en Afrique se passe avant ma mort, car c’est certain,  la prochaine n’aura pas lieu de mon vivant. En Afrique du Sud, elle laissera un héritage. Sans cela, nous n’aurions pas construit ces nouveaux stades, ni modernisé les route, nous n’aurions pas un train à grande vitesse. En tout cas pas si rapidement. Cela va changer le pays et la perception que l’Europe en a. Les médias parlent d’un endroit où l’on se fait tuer ou agresser, mais ce n’est pas le cas ». Jomo n’est pas connu pour sa langue de bois. Faisant référence à  une enquête du Sowetan (un journal local) qui révélait que les membres du comité d’organisation de la SAFA, la fédération sud-africaine, voulaient s’attribuer 10% des bénéfices de la Coupe du monde, il s’emporte : « La corruption, c’est de ca que l’Afrique est malade, à tous les niveaux, des dirigeants aux arbitres. L’argent est là, mais si on ne trouve pas un moyen d’arrêter ceux qui cherchent à profiter du football pour s’enrichir, la Coupe du monde aura été inutile ». Bien entendu il ne boudera pas son plaisir, supportera les Bafana Bafana, espérant un faux pas des Bleus. Mais dès la coupe terminée, le Prince noir repartira, seul, sur les routes d’Afrique du Sud, en quête de nouveaux talents. A la recherche de celui qui, après lui, écrira une nouvelle légende sud-africaine.