Afrique du Sud : Le Mamies Football Club

27 juin 2010  |  dans International

Romeo et ses "Juliette" - Photo : Yoan Valat

Roméo et ses « Juliette » – Photo : Yoan Valat

Polokwane, la plus petite des villes hôtes, s’est laissée gagner par la folie de la Coupe. Vendeurs de vuvuzelas et de maillots s’y disputent le moindre espace libre. La capitale de la province rurale du Limpopo, au Nord du pays, est fière de son nouveau stade Peter Mokoba, qui accueillera les Bleus face au Mexique le 17 juin. Mais à une centaine de kilomètre, dans le township de Nkowankowa, une autre équipe fait vibrer la région.

Photo : Yoan Valat

Photo : Yoan Valat

15h, au stade municipal, les joueurs sont attendus à l’entraînement. Pas de bus aux vitres teintées en vue, mais une petite troupe de « jeunes filles », moyenne d’âge 70 ans, qui arrive à pied, en papotant, affaires de sport dans un sac de supermarché. En l’absence de vestiaires, elles se changent sur le banc, troquant leurs longues robes noires contre des shorts et leurs sandales contre des crampons. Bandanas jaune vissés autour du crâne, les joueuses de ce « Mamies football club » s’apprêtent à faire trembler les filets.
Deux fois par semaine depuis trois ans, les Vakhegula Vakhegula (mamies en xitsonga, le dialecte local) taquinent le ballon. L’aventure a démarré grâce  à Rebecca Ntsan’wisi. Cette travailleuse sociale, surnommée la « mère Theresa du Limpopo » pour son implication auprès des déshérités de la province raconte : « j’étais à l’hôpital, en traitement pour un cancer. Les médecins m’avaient conseillé l’exercice physique et cela m’a beaucoup aidé. En voyant toutes ces vieilles femmes malades et inactives, dans mon village natal, je me suis dit que le sport pourrait changer leur quotidien ».
Ce qui ressemble au départ à une arche de Noé d’éclopées, arthritiques et boiteuses prend peu à peu forme. Une quarantaine de « mamies », (entre 45 et 85 ans) du township pauvre de Nkowankowa rejoignent la fine équipe et mettent leurs corps au défi. Et la magie du foot semble avoir opéré.

 

 

 

Norah, 84 ans - Photo : Yoan Valat

Norah, 84 ans – Photo : Yoan Valat

« Aujourd’hui j’ai retrouvé la forme, je peux courir, plus vite que certains jeunes même », plaisante Nora Makhubele, la doyenne du groupe. Avec ses 84 ans, elle pourrait presque se souvenir de la première Coupe du monde. Son sourire légèrement paralysé, porte les marques des 6 attaques cardiaques auxquelles elle a survécu. Ancienne domestique pour une famille blanche, la vie l’a usée, mais l’équipe l’a ramenée à sa passion d’enfance : « depuis toute petite j’aimais le foot. C’est une bonne occupation. Avant, bien souvent, je restais chez moi à dormir : Je m’ennuyais ». Sur le terrain Nora est un peu statique, mais son jeu de passe reste précis et « elle n’est pas facile à dribbler » confie une coéquipière.

« Plus vite, replacez-vous », ordonne sans ménagement Roméo Rikhotso, jeune footballeur, devenu entraineur pour ces dames. Du haut de ses 21 ans, il a pris sa tâche au sérieux : « bien évidemment coacher des mamies, ça n’a pas été facile : au début elles ne connaissaient pas toutes les règles et puis, elles se fatiguaient très vite. Nous avons établi un programme : elles jouent des mi-temps de 15 minutes pour ne pas se blesser et doivent éviter les gestes violents. Depuis trois ans, leurs progrès sont considérables». Ses quarante Juliette, Roméo les protège comme ses propres grands-mères, mais ne leur cède rien. Il n’hésitera pas à rappeler à l’ordre une mamie dissipée, dont l’oreille traine pendant l’énoncé des consignes de jeu. « Mais elles ne me prennent pas de haut en dépit de mon jeune âge. Elles ont soif d’apprendre et avant tout, elles me font rigoler».
Sur le terrain, la moquerie sportive et les rires remplacent l’agressivité. Mais les vieilles dames savent mouiller le maillot, tentent des têtes, et des passements de jambe. On assiste même à un magnifique but en lucarne. Sur le banc, Alphonsina Maluleka, s’impatiente. Même à 75 printemps, il n’est jamais agréable de  jouer les remplaçantes. Le « joker » de l’équipe trépigne : « bien-sûr j’aime les regarder jouer, mais je préfère être sur le terrain ». Le quotidien de cette ancienne vendeuse de fruits, se déroulait lentement au rythme des corvées domestiques et de l’entretien du potager, alors elle a pris goût au ballon. Comme beaucoup de ses coéquipières, elle est issue d’un milieu pauvre. Les retraites sud-africaines dépassent rarement les 100 euros et c’est sa famille qui s’est cotisée pour lui payer sa première paire de crampons. Même si dans cette région verte et fruitière, où avocats et mangues poussent sans effort, la misère semble moins visible, car « on ne mourra jamais de faim ici ».

Photo : Yoan Valat

Photo : Yoan Valat

« Maradona », monte à l’attaque. Sous ce pseudonyme, Cristina Machibe, 62 ans, renarde des surfaces et admiratrice invétérée du joueur argentin. Car chacune a son surnom. On trouve aussi un « Messi » et les alter egos de joueurs sud-africains célèbres, comme Thwala ou Jomo Sono. Il y a même un rugbyman égaré, « Habana », un ailier réputé pour sa vitesse. Pas de « Zizou » pourtant !
Leurs surnoms, les gens du coin et leur noyau de fans les scandent lors des matches. Car dans leur sillage, les Vakhegula Vakhegula ont entrainé d’autres mamies du pays. Avec sept autres équipes, elles se retrouvent pour le Top Eight, une compétition disputée deux fois par an. Sous le regard amusé et admiratif de leurs multiples enfants et petits-enfants, elles viennent d’ailleurs de la remporter.
Devenues de véritables stars locales, les journalistes ont commencé à affluer. Leur nouvelle médiatisation leur a permis de passer du terrain en terre battue avec cages rudimentaires au stade municipal. L’équipe a même fini par trouver des sponsors pour payer ses premiers maillots. Non dénué d’humour, l’un d’entre eux est une compagnie de pompes funèbres.
« On peut sauter, on peut danser Nous ne combattons pas nos adversaires, nous combattons les maladies » : avec une énergie incroyable pour ses 70 ans, Angelina Hlophi, entonne l’hymne des Vakhegula. Un chant qu’elles ont composé et qui résonne avant chaque rencontre. Problèmes de tension, faiblesse cardiaque, arthrite, goutte… son carnet de santé ressemblait à un Livre des records : « Je marchais avec une canne, mais aujourd’hui je cours et les docteurs n’en reviennent pas ».
Milieu de terrain, elle est souvent l’auteur de la passe décisive, mais aime aussi défendre. « Mon mari est un ancien joueur professionnel, mais aujourd’hui c’est lui qui reste à la maison, dans le fauteuil, et c’est moi qui suis au stade », éclate-t-elle de rire. Mordue jusqu’au bout des crampons, elle reste intarissable sur le jeu « J’adore Tico Tico, le joueur des Jomo Cosmos.  Je peux rester debout jusqu’à une heure du matin pour regarder un match à la télé ».
Pour ces accrocs de la balle, la Coupe du monde, ce sera une fête fantastique. Très croyantes, elles prient déjà pour l’équipe d’Afrique du Sud. « On craint les Français, c’est une bonne équipe non ? » s’inquiète Mesi Mathebula, 60 ans surnommée « Ma’ One one »pour sa démarche chaloupée. Bougeant son imposant postérieur, elle avance lentement la jambe droite, puis la gauche scandant « one.. .one.. ».
L’un des vœux de ces mamies serait de participer à un match d’ouverture durant le Mondial : « faire la première partie des Bafana Bafana », se prend à rêver « One one ». Mais la Fifa en a décidé autrement.

Pourtant rien n’arrête les Vakhegula Vakhegula : en attendant de créer une Coupe du monde des mamies, qu’elles imaginent déjà, elles veulent s’envoler pour les Etats-Unis. Récemment elles ont été invitées à participer à une compétition de vétérans dans le Massachussetts, en juillet, juste après la Coupe du monde. Pour toute l’équipe, qui n’a jamais mis les pieds en dehors de l’Afrique du Sud, la chance semble inespérée. Mais l’organisation du tournoi ne peut pas payer le billet à tout le monde. Les mamies ont pourtant intensifié leur entraînement pour briller dans la compétition et attendent des donations pour payer les frais du voyage. Si les dieux du foot sud-africain les entendent, les Bafana Bafana remporteront la Coupe du monde et les mamies s’envoleront vers Boston. Nora sourit : « après cela nous pourrons bien mourir ». Mais celles-ci n’en ont pas vraiment l’intention.