Haïti : La pression retombe après deux jours de manifestations et de violences

20 décembre 2010  |  dans International

Crédit photo : Corentin Fohlen/Fedephoto

Crédit photo : Corentin Fohlen/Fedephoto

Ce matin, la vie semble timidement reprendre dans la capitale haïtienne. Quelques voitures circulent, une poignée de boutiques ont rouvert leurs portes, plusieurs barricades ont été déblayées et quelques rares pompistes ont même repris du service. Un calme précaire à l’approche du week-end ? Difficile à dire.

Ce qui est certain c’est que Port-au-Prince n’a pas retrouvée son animation habituelle puisque les écoles, les banques, les services publics et l’aéroport restent fermés. «Depuis ce matin toutes les patrouilles ont repris, nous avons eu ordre de réinvestir le terrain, témoigne un policier de l’ONU. Hier, les déplacements se faisaient en blindés, aujourd’hui nous conduisons les véhicules car tout semble plus calme». Après deux jours de paralysie et de violences qui ont accueillies l’annonce des résultats préliminaires du premier tour de l’élection présidentielle, la population de Port-au-Prince, terrée chez elle depuis lors, commencent à reparaître dans les rues. Quarante huit heures de manifestations et d’affrontements éparses qui se sont soldés dans la capitale, par au moins 29 blessés et 3 morts, dont au moins 17 par balle (chiffres MSF+hôpital général). Mardi, le Conseil Electoral Provisoire (CEP) avait annoncé la victoire au premier tour de Mirlande Manigat (31%), candidate du RDNP et de Jude Célestin (22%), le dauphin du président en place. Ce dernier ne devance, Michel Martelly, la star de musique compas, que de 6845 voix. Une trop maigre avance, semble-t-il, dans un contexte soupçonneux de fraude généralisée. Malgré la validation du scrutin par le CEP et les observateurs internationaux, depuis le jour du vote il ne se passe pas un jour sans que la presse locale ne divulgue irrégularités et manipulations. Au point qu’une heure après la déclaration du CEP, l’ambassade américaine dénonce des résultats « incohérents », par rapport à ceux des observateurs qui, se basant sur 1600 bureaux de vote, avaient donné Michel Martelly et Mirlande Manigat vainqueurs. Au point aussi que le Canada a annoncé, jeudi, qu’il ne reconnaîtra pas la validité du scrutin, s’il ne « voit pas le respect du processus électoral». La semaine passée, le chef de la Minustah, soupçonnant des fraudes, avait menacé d’un retrait de l’ONU en cas de non-respect de l’expression populaire.

Le CEP mis en cause

Au centre de toutes les accusations: le CEP, qui selon les candidats et plusieurs acteurs internationaux, serait aux ordres d’un René Préval prêt à tout pour s’assurer de la victoire de son poulain. Mais alors que les rumeurs d’un départ pour l’étranger du président vont bon train dans le pays qui se souvient encore de l’exil, en France, de « baby doc » avec en poche 80% de l’aide internationale, Jan Hansen, lui, refuse de personnaliser le débat. Selon le porte-parole de la Commission Justice et Paix, nommé observateur de l’élection et spécialiste de la vie politique du pays, «ce n’est pas tellement Préval, mais son entourage, un groupe de personnes bien placées qui veut sauvegarder ses intérêts» qui pousserait la victoire de Jude Célestin. Quant au CEP, une institution d’Etat, composée de plusieurs membres de la société civile, celui-ci est censé être « impartial et indépendant » puisque chargée de l’organisation et du contrôle du processus électoral. Mais, les différents CEP ont déjà, selon le quotidien national Le Nouvelliste, été mis en cause dans plusieurs scandales financiers, notamment un contrat de 14 millions de gourdes (350 000 dollars) signé avec un proche d’un des conseiller électoral pour la conception de maillots pour l’institution, effectué en 2009. Une affaire qui n’est toujours pas jugée. Interrogé par le JDD, le directeur du registre électoral, Philippe Augustin, a répondu que «les investigations quand à la validité du scrutin suivaient son cours », mais qu’il n’était « malheureusement pas en position d’émettre une opinion sur le sujet ». Face à ces accusations répétées, le CEP a dû quant à lui, enclenché jeudi une « procédure célère et exceptionnelle de vérification des Procès-verbaux », concernant les trois candidats en lice. Rappelons que légalement, les candidats ont deux jours après la proclamation des résultats préliminaires pour contester avec leurs avocats la validité du scrutin et que les résultats du premier tour ne seront définitifs qu’à leur publication officielle, le 20 décembre prochain. En attendant, à Port-au-Prince, depuis une heure un étrange communiqué de presse signé d’une « Fédération des organisations de bases pour le respect du vote des citoyens », circule partout. La Fédération signale qu’une trêve de la mobilisation a été décidée hier pour permettre aux habitants « de faire leurs courses ». Avant de conclure que les manifestations « reprendront à partir de ce soir 16 heures et ce jusqu’au respect du vote des Haïtiens ».