Hezbollah : action sociale sur fond de financement opaque

31 décembre 2010  |  dans International

Reconstruction d'une mosquée à Bint Jbeil. photo : Juliette Robert/Youpress

Reconstruction d'une mosquée à Bint Jbeil. photo : Juliette Robert/Youpress

Chercheuse au CNRS et à l’Institut de recherche sur le monde arabe et musulman, Myriam Catusse* décrypte l’impact social du Hezbollah.

TC : Le Hezbollah a-t-il toujours eu un discours social affirmé ?

Myriam Catusse* : Dès la création du parti, au début des années 1980, ses dirigeants ont utilisé le thème de l’injustice sociale. Le manifeste annonçant la création du parti en 1985 s’intitulait « l’appel aux déshérités » et présentait le Hezbollah comme le parti de tous les opprimés quelle que soit leur religion, en les exhortant à se battre pour l’édification d’une société plus juste. À l’époque, cela faisait bien sûr écho aux mots d’ordre de la révolution iranienne, mais aussi aux conditions dans lesquelles vivaient les chiites du Liban.

TC : Pourquoi ces derniers ont-ils été réceptifs à ce message ?

Suite à l’industrialisation des années 60-70, les disparités de développement entre les différentes régions du pays deviennent criantes, au détriment notamment du Sud du pays, dont la population est majoritairement chiite. Ces populations qui émigrent alors vers les banlieues pauvres de Beyrouth sont sensibles aux mobilisations des partis socialistes, communistes et nationalistes arabes. Sensibles également aux mobilisations syndicales dans les grandes plantations de tabac ou dans le monde ouvrier.

Alors que démographiquement, les chiites deviennent la communauté la plus importante, ils restent sous-représentés politiquement et écartés de la croissance d’avant-guerre, au profil d’une bourgeoisie urbaine chrétienne et sunnite.

TC : Qui le Hezbollah aide-t-il avec ses services sociaux ?

Ils ne s’adressent pas stricto sensu aux seules populations chiites mais, dans les faits, ils s’ancrent sur les territoires dominés par le parti, notamment le Liban-Sud ou la banlieue sud de Beyrouth. Reste qu’un autre pan des activités sociales du parti, réseau d’éducation, activité de microcrédit et de développement local, s’adresse à une population plus large.

TC : Comment ces œuvres sont-elles financées ?

Cela reste complexe et opaque. Trois sources variées de revenus sont régulièrement mentionnées, mais rarement documentées sérieusement : l’autofinancement, l’aide de l’Iran, et surtout la redistribution locale des aumônes religieuses. On peut également mentionner les fonds provenant de l’importante diaspora chiite libanaise ou encore les dons de chiites d’autres pays.
Le Hezbollah a-t-il comblé un vide, en matière de politique sociale, de l’État libanais ?

Le Liban s’est engagé, dès l’indépendance en 1943, vers une économie politique libérale pour faire du pays une plate-forme commerciale et bancaire régionale, valorisant l’initiative privée et prônant une intervention minimale de l’État. Celui-ci s’est donc appuyé sur le dense réseau d’institutions religieuses ou notabilières pour développer une forme de privatisation de l’action sociale.
Les 15 ans de guerre civile ont consolidé l’existence de potentats locaux et miliciens qui ont mis en place des systèmes d’assistance sociale sur leurs territoires. Ces institutions privées ont transformé leurs activités après la guerre. Le cas du Hezbollah est donc loin d’être singulier, même s’il est plus remarquable que d’autres.
Aujourd’hui, l’extrême crise financière, l’endettement du pays et un choix de reconstruction ultralibéral accentuent cela : les principales universités, hôpitaux, orphelinats, et centres sociaux au Liban sont gérés par des institutions privées.

TC : Tous ces services rendent-ils le Hezbollah plus populaire ?

L’insécurité sociale au Liban, aggravée par vingt années de conflits armés, permet à de nombreux acteurs de mener des politiques clientélistes. Les activités sociales du Hezbollah s’inscrivent dans ce schéma. Elles produisent de l’emploi, consolident la gratitude de leurs bénéficiaires et se nourrissent du sentiment de solidarité avec le parti. Mais il faut être prudent : il reste difficile de montrer que ce que les nécessiteux reçoivent sous forme d’aide, ils le remboursent sous forme d’allégeance politique au Hezbollah.

* Auteure du chapitre « Les services sociaux du Hez­bol­lah » dans Le Hezbollah. État des lieux, sous la di­rec­tion de Sabrina Mervin, Actes Sud/Sindbad, 363 p., 24 €