Liban : tensions et rumeurs autour du Tribunal spécial

29 décembre 2010  |  dans International

Drapeaux du Hezbollah dans le sud de Beyrouth. © Juliette Robert/Youpress

Le Tribunal Spécial pour le Liban enquête sur les meurtriers présumés de Rafic Hariri, ancien Premier minis­tre. Le nom du Hezbollah serait évoqué.

La déflagration qui a tué le 14 fé­vrier 2005 Rafic Hariri ne sera pas sans réplique. Près de 5 ans après l’explosion de la voiture du Premier ministre libanais, le TSL (Tribunal spécial pour le Liban) suscite des tensions politiques.
Voilà plusieurs mois déjà, depuis la fin de l’été, que le tribunal doit publier l’acte d’accusation des présumés responsables du meurtre de Rafic Hariri. Une annonce qui en crispe certains, dont les noms commencent à circuler.

En tout premier lieu, le Hezbollah. Les rumeurs bruissent : certains hauts responsables du Parti de Dieu figureraient sur la liste du TSL. « Soyons prudents, met en garde Joseph Bahout, chercheur à l’Académie diplomatique et professeur à l’Institut d’études politiques de Paris. Personne ne sait ce qu’il y aura dans l’acte d’accusation. Ce que les rumeurs colportent, ce sont des fuites plus ou moins organisées par le camp anti-Hezbollah. »
Hassan Nasrallah, secrétaire gé­néral de l’organisation chiite, a déjà prévenu : « Ceux qui sont impatients de voir publier l’acte d’accusation et qui pensent que nous allons permettre l’arrestation d’un seul de nos jihadistes se trompent. » Pour la plus grande organisation politique et militaire du Liban, ce tribunal serait politisé, les accusations s’appuieraient sur de faux témoignages.

Troubles entre communautés

L’ambiance se tend à mesure que la fin de l’année approche, date à laquelle vraisemblablement le TSL nommera les accusés. Les institutions libanaises tournent au ralenti depuis que le conseil des ministres, qui regroupe des représentants des différents courants, ne se réunit plus. « Depuis 8 mois, Hassan Nasrallah opère une contre-offensive politique et médiatique, explique Joseph Bahout. Il a commencé par mettre en garde le TSL : dans un pays divisé par le communautarisme, incriminer un parti politique revient à provoquer des troubles entre les communautés. »
Le parti chiite a appelé au boycott du tribunal, affirmant que toute coopération avec ses enquêteurs serait une « agression » contre son mouvement.
Face au Hez­bol­­lah, on trouve le camp de Saad Hariri, fils de Rafic, leader du principal parti sunnite, et devenu à son tour Premier ministre. Il doit affronter un « dilem­me shakes­pearien » selon le politologue : « Saad Hariri se retrouve coincé entre son rôle de Premier ministre, responsable de la stabilité du pays, et celui de fils de la victime. » Quoiqu’il arrive, le TSL, mis en place par l’ONU, va devoir ren­dre son acte d’accusation.

Acteurs étrangers

Conférence de presse de Mahmoud Ahmadinejad à Beyrouth, le 13 octobre 2010. Photo : Juliette Robert/Youpress

Conférence de presse de Mahmoud Ahmadinejad à Beyrouth, le 13 octobre 2010. Photo : Juliette Robert/Youpress

Mais des acteurs étrangers sont entrés en scène, tel que l’Iran, parrain chiite du Hezbollah. Cette promiscuité a valu une visite du président iranien au Liban le 12 octobre dernier.
« Le message de Mahmoud Ahmadinejad était double, analyse Joseph Bahout. Lors de sa conférence de presse au Palais présidentiel, il a déclaré être prêt à contribuer à l’apaisement. Devant les supporters du Hezbollah, dans un discours prononcé dans un stade de la banlieue sud de Beyrouth, il a menacé d’intervenir si la communauté chiite était ciblée par l’acte d’accusation. »

L’influence de l’Iran a obligé l’Arabie saoudite à intervenir à son tour. Non seulement parce que Rafic Hariri était saoudo-libanais et que l’Arabie saoudite a investi dans la reconstruction du Liban mais aussi parce que l’État islamique ne veut pas voir naître un nouveau terrain, autre que l’Irak, où s’affrontent chiites et sunnites.
« Dans cette partie du monde, le jeu communautaire transfrontalier est très fort », souligne Joseph Bahout. L’Arabie saoudite redoute ainsi une propagation du conflit entre sunnites et chiites jusque sur son territoire. Dans ce marasme, l’armée libanaise restera certainement impuissante.

Le commandant en chef de l’armée, Jean Kahwagi, s’est pourtant dit « inquiet » si les accusations du TSL se portaient vers le Hezbollah. Car si les affrontements avaient lieu, l’armée, à 60 % chiite, risquerait de se décomposer. Reste une issue pour éviter un conflit, selon Joseph Bahout : « Un acte d’accusation lâche, sans nom significatif, et sans preuves. »