J’ai deux mamans, et alors ?

2 janvier 2011  |  dans France, Société

Pablo, sa sœur et leurs mères.  © Juliette Robert

Pablo, sa sœur et leurs mères. © Juliette Robert

Pour les familles homoparentales, les années 2000 ont marqué un tournant. Social, juridique, médiatique. Mais si les adultes prennent la parole de manière de plus en plus revendicative, leurs enfants, loin des clichés sur la discrimination, vivent plutôt bien ces situations familiales particulières.


 
« Je ne changerais ma famille pour rien au monde ! » prévient Clément, 25 ans, programmateur web à Nantes. Pour lui, comme pour de nombreux enfants, avoir grandi avec deux parents du même sexe n’est pas un problème. Pourtant, « l’INSEE ne reconnaît pas l’existence officielle de ces familles comme foyers », d’où l’absence de statistiques. « Elles sont considérées comme des foyers monoparentaux +1 », explique la sociologue Martine Gross, dénonçant ainsi une volonté politique de « minimiser le phénomène ». Les chiffres font donc le grand écart : ils seraient 30 000 pour l’Institut National des Etudes Démographiques mais 200 000 selon l’Association des Parents Gays et Lesbiens. Si l’homosexualité n’a été dépénalisée qu’en 1982, l’opinion publique a elle bien évolué. Selon une étude récente, 65% des Français sont favorables au mariage homosexuel et 57% à l’adoption. La cour de cassation vient juste de déclarer que le mariage gay était devenu « l’objet d’un large débat dans la société », et se basant sur le cas de deux femmes qui aimeraient convoler, le Conseil constitutionnel devra bientôt se prononcer sur la constitutionnalité de l’interdiction du mariage gay. Car aujourd’hui, seuls les couples mariés peuvent adopter, créant une discrimination de fait pour les homosexuels. « Le droit français reste très rétrograde sur cette question», déplore l’avocate Caroline Mecary. « Il y a 15 ans, aux yeux de la justice, ces familles étaient encore considérées comme des monstres. Mais le regard sur elles a changé », avance-t-elle cependant. « Apprendre à connaître ces familles démystifie l’homoparentalité. Ce qui choquait avant, c’était l’idée théorique de parents de même sexe. Mais voir qu’ils ont les mêmes préoccupations que des parents hétérosexuels rassure », avance Martine Gross.
 
La famille de Pablo, 28 ans, thésard en mathématiques à Montpellier, en est un bon exemple. Dès son plus jeune âge, ses parents biologiques se séparent, et sa mère se met en couple avec celle qui deviendra simplement Mimi. Son schéma familial différent, il ne s’en rend alors pas compte. Peut-être « parce que, bien que j’ai été éduqué par mes deux mères, j’avais quand même un père. Pas dans mon quotidien, certes, mais dans ma vie », explique le jeune homme, fruit d’une parenthèse hétérosexuelle de plusieurs années. Même son de cloche pour Clément « Pour moi, avoir deux mamans était vraiment tout naturel ». Sa mère biologique s’est fait inséminer en France, en détournant la loi grâce à un ami complice, mais sa seconde maman a dû aller en Hollande pour pouvoir tomber enceinte. En effet, d’après la loi française, la procréation médicalement assistée (PMA) est réservée aux couples hétérosexuels stériles. Et pour les couples homoparentaux masculins, plus rares que les familles homoparentales à deux mamans, le recours à une mère porteuse est interdit.
 
Les questionnements de ces enfants sur leurs schémas familiaux différents naissent aussi du regard des autres. « Ce dont un enfant a besoin, explique le psychiatre Christian Flavigny, c’est comprendre sa raison d’être au monde et sentir qu’il est issu d’un désir de la part de ses parents. Dans le cas d’une famille homoparentale sans père, il est très intrigant pour l’enfant d’imaginer que sa mère a voulu un enfant, mais sans avoir recours à un homme, poursuit-il. Vouloir en parler ne permet en fait que d’évoquer de manière superficielle la situation. Mieux vaut laisser l’enfant poser ses questions », conseille-t-il. Pour combler l’absence d’un père, les mères de Clément lui ont proposé « de prendre un référent paternel », et demandé très tôt si ses camarades de classe lui posaient des questions. « Je n’ai qu’un mauvais souvenir : c’était lors d’un TP au lycée où une fille a sorti que l’homosexualité était une maladie ! Après avoir parlé de ma situation, je me suis demandé combien de mes copains de cours me considéraient comme un monstre », plaisante, à moitié seulement, le jeune homme. Pourtant la très grande majorité des études affirme qu’il n’y a pas de différence dans le développement psychologique ou social de l’enfant ayant grandi au sein d’une famille homoparentale.
 
Mais ces enfants doivent malgré eux assumer un choix fait par leurs parents. « A partir de la primaire, ils peuvent entendre des insultes homophobes, dont ils ne sont pas nécessairement la cible, mais qui touchent leurs parents, et donc l’estime d’eux-mêmes », met en garde Martine Gross, même si Christian Flavigny affirme de son côté que « si la famille démonte ces clichés, l’enfant n’aura que faire de ces remarques ». Pablo, lui, assume pleinement l’homosexualité de ses mamans, la revendique même. Ce qui n’est pas le cas de Julia, 13 ans, élève de 3e en région parisienne. « Que ma mère ait vécu avec une femme ne me dérange pas, mais je n’en parle pas trop au collège. Ça pourrait être compliqué », reconnaît-elle. Chacun ses mots pour en parler. Si Stéphanie, comédienne suisse de 25 ans basée à Paris, disait pudiquement que « sa mère était amoureuse d’une femme », Pablo lui, demandait « avec qui dort ta maman ? » à ses camarades de classe.
 
A l’adolescence, certains se sont posé la question de leur identité sexuelle. Stephanie a essayé les filles, Pablo et Clément ont connu de brèves aventures avec des garçons, mais leurs grandes histoires, ils les ont vécues avec l’autre sexe et pour certains envisagent d’avoir des enfants. Mais parler filiation évoque nécessairement la complexité de leur propre situation. Clément et Pablo racontent les projets d’adoption de leur seconde maman, pour des questions d’héritage. Car Martine Gross rappelle l’incohérence à vivre avec deux parents, mais à n’en avoir qu’un seul au regard de la loi. Pourtant, l’évolution des schémas familiaux qui éclatent littéralement et « se conjuguent désormais au pluriel, avec l’homoparentalité bien sûr, mais aussi les familles recomposées ou encore la pluriparentalité », souligne Najat Vallaud-Belkacem, secrétaire nationale du PS aux questions de société, pourrait amener à la reconnaissance future du parent social comme parent tout court. « Attention tout de même, une loi (légalisant l’adoption simple, ndlr) banaliserait la situation de ces enfants et pourrait étouffer leur questionnement interne. Avoir des parents homosexuels n’est ni grave, ni dramatique, mais c’est différent. Il faut trouver la juste mesure entre singularité et uniformisation », recommande Christian Flavigny.
 

Témoignages

Julia, 13 ans
 

Julia, 13 ans. Crédit photo : Juliette Robert/Youpress

Julia, 13 ans. Crédit photo : Juliette Robert/Youpress

« Après le divorce de mes parents, j’ai été élevée par ma mère et Nanou pendant 4 ans. Avec cette dernière, mon frère et moi nous avions une autre relation. Elle nous aidait dans notre travail, nous donnait des conseils. En revanche, si elle venait me chercher à mes activités, je disais seulement que c’était une amie de maman. Mes copines ont très bien pris que ma mère et elle forment un couple, même si dans mon entourage personne n’a de situation familiale aussi compliquée que la mienne. Avec Nanou, on avait reconstruit une vraie famille. Et comme les relations qu’entretenait mon père avec ma mère et Nanou étaient bonnes, ce n’était pas compliqué. Aujourd’hui qu’elles ne sont plus ensemble, je veux garder contact avec elle. »
 
Stéphanie, 25 ans
 
« Mes parents, tous les deux gays, se sont rencontrés par petite annonce exclusivement pour faire un enfant. Petite je passais un weekend sur deux et les vacances avec mon père, mais j’habitais avec ma mère et sa compagne. Les questions d’éducation passées, mes parents biologiques se sont rapprochés jusqu’à devenir de vrais amis. C’est pourquoi j’ai le sentiment qu’on forme réellement une famille seulement depuis mes 16 ans. Ayant vécu avec deux femmes, j’ai baigné dans la tolérance et l’ouverture d’esprit. Je me sens plus consciente des injustices, et c’est certainement lié à ma situation familiale. »
 
Clément, 25 ans
 

Clément. Crédit photo : Juliette Robert/Youpress

Clément. Crédit photo : Juliette Robert/Youpress


 
« Mes mères sont ensemble depuis 40 ans, depuis qu’elles sont au lycée. A la différence de beaucoup de couples hétérosexuels, elles nous ont apporté, à mes frères et moi, une grande stabilité familiale. En revanche, aux réunions de famille, ce n’est pas toujours évident. Ma mère a donné naissance à mon grand frère, et ma seconde mère au benjamin. Mais pour mon grand-père « biologique », le petit dernier ne fait pas partie de la famille, car il n’a pas de lien filial avec lui. »

Interview de Caroline Mécary, avocate spécialisée dans le droit de la famille

« Il ne faut pas confondre homoparenté et homoparentalité »
 
Où en est aujourd’hui le droit français ?
 
Depuis 2000, il y a eu des avancées, comme avec l’exemple de l’affaire Emmanuelle B. (En novembre 2009, après 11 ans de démarches pour adopter, et malgré l’opposition initiale du conseil général du Jura, le tribunal administratif de Besançon applique le droit européen en permettant l’adoption par une institutrice vivant en couple avec une femme, arguant que le refus était motivé ndlr) Mais ce sont à chaque fois des décisions particulières, qui n’ont donc pas valeur de jurisprudence. Elles mettent l’accent sur une lacune du droit français, où rien n’a été prévu de manière universaliste pour les enfants vivant en foyers homoparentaux. Le souci majeur est la protection de l’enfant. Or au regard du droit, un seul parent est biologique. Dans le cas d’un couple homosexuel, l’enfant est donc moins bien protégé qu’un enfant issu d’une famille hétérosexuelle, concernant son nom, ses biens, son héritage etc.
 
Quelle solution selon vous ?
 
Il faudrait reconnaître l’adoption simple de l’enfant, ce qui créerait un lien de droit, voulu par le législateur. Ce serait reconnaître, à travers un jugement, qu’un adulte s’engage à élever un enfant. Il s’agirait d’un lien juridique, qui ne se confond pas avec un lien biologique. Car il ne faut pas confondre l’homoparentalité, qui correspond à une fonction éducative, avec la prise en charge d’un enfant par un adulte qui n’a pas de lien de parenté avec lui, et l’homoparenté, qui a attrait à la filiation, car adopter ne sera jamais synonyme de donner naissance.
 
Comment expliquer le retard de la France sur cette question ?
 
Alors que plus de 10 pays en Europe (Allemagne, Royaume-Uni, Belgique, Suède, Espagne…) ont légalisé l’adoption simple, le gouvernement actuel ne prend pas la mesure des changements de société, majoritairement favorable à cette question. Les magistrats aussi accordent désormais des droits de visite en cas de séparation, ce qui est révélateur de leur évolution de pensée. Mais pour le moment, il y a une immobilité et un manque de courage politique de la classe dirigeante.