Etudiants en boîte

17 septembre 2011  |  dans Economie, France

La Cité A Docks au Havre (Crédits: Atelier Cattani DR)

Face à la pénurie chronique de logements étudiants, l’Etat s’est engagé à doubler son offre de résidences universitaires d’ici 2020. Pour atteindre cet objectif, tous les moyens sont bons. L’Etat mise notamment sur le logement modulaire, comme les conteneurs maritimes du Havre. Une solution miracle ou de la poudre aux yeux ?

Lors de sa grande conférence sur le logement étudiant le 5 avril dernier, Valérie Pécresse, alors ministre de l’enseignement supérieur, annonce un objectif ambitieux : elle promet 680.000 logements étudiants à l’horizon 2020, soit le double de l’offre actuelle. La pénurie de résidences universitaires est en effet criante : en moyenne, 7% des étudiants ont accès aux logements des Crous. Ils ne sont que 3% en Ile de France, où se concentre pourtant un quart des étudiants du pays.

Pour atteindre son objectif, la ministre « souhaite en particulier investir pleinement la solution du logement modulaire ». Elle s’appuie sur l’expérience de la cité universitaire du Havre, construite à base de conteneurs maritimes. Inaugurée le 30 août 2010, la « Cité A Docks » est devenue l’emblème – controversé – du logement modulaire étudiant.

Cité A Docks, révolution ou imposture ?

Un studio de la Cité A Docks (Crédits: Atelier Cattani DR)

Après un an d’existence, le bilan est mitigé. Les demandes de réadmission indiquent que la Cité A Docks rencontre un certain succès : 42% des étudiants ont demandé à conserver leur studio pour l’année 2011-2012, contre 20% pour les autres résidences du Crous au Havre. Et les 37 logements disponibles en juin 2011 ont fait l’objet de plus de 200 demandes. Mais les étudiants qui quittent la résidence se plaignent du froid et du bruit. Pauline, 22 ans, étudiante en géographie, préfère ainsi chercher un studio en ville. « J’ai vraiment eu très froid cet hiver, pourtant j’ai utilisé leur notice pour le chauffage. En deux mois, ma facture EDF s’élevait à 144 euros. Et le sol tremble » témoigne-t-elle.

Thierry Capron, directeur du Clous du Havre, assure prendre les critiques des étudiants au sérieux. « Nous avons un gardien logé sur place, il a testé lui-même le logement. Et vous savez, pour beaucoup d’étudiants il s’agit de leur premier studio. Il y a donc un travail d’explication à faire : comment se servir du programmateur du radiateur électrique, du ballon d’eau chaude, et surtout de la VMC » explique-t-il. La VMC est en effet à l’origine d’une polémique avec les étudiants. Certains, ayant eu froid cet hiver, l’ont obstruée pour se réchauffer. Conséquence : l’humidité s’est accumulée et de la moisissure est apparue sur les matelas. « Le conteneur est entièrement isolé avec un film pare-vapeur, la VMC est donc essentielle à l’aération du studio » précise Thierry Capron.

Conteneurs « haut de gamme »

Détail de la Cité A Docks au Havre (Crédits: Atelier Cattani DR)

Pour le directeur du Clous, à l’origine du projet avec la ville du Havre et le CROUS de Haute-Normandie, la Cité A Docks souffre surtout de préjugés. « En France, on estime que le logement doit être en brique ou en béton. Mais on peut avoir d’autres formes d’habitat haut de gamme. Le modulaire, ce n’est pas que de l’Algeco » s’exclame-t-il. Un avis partagé par Alberto Cattani, l’architecte de la Cité A Docks. « Le bâtiment répond à toutes les exigences de la réglementation en matière d’habitat. Les studios ont été isolés par un procédé traditionnel : la paroi extérieure en tôle nervurée est doublée de 15 centimètres de laine de verre minérale, puis nous avons un film pare-vapeur et deux plaques de plâtre BA 13. Cette isolation thermique et phonique a été appliquée sur les six faces du conteneur » explique-t-il.

Les 100 studios de 25 m², répartis en deux « immeubles », reposent sur une charpente métallique fixée dans une dalle de béton. « Les conteneurs n’étant pas empilés les uns sur les autres, mais imbriqués dans la charpente, cela apporte une meilleure stabilité au bâtiment et accroît la résistance au feu. Les nuisances sonores ont été réduites grâce à des patins anti-vibratiles en caoutchouc et à l’espace entre chaque conteneur » ajoute l’architecte. Cette charpente différencie la Cité A Docks de sa « grande sœur » hollandaise. La résidence du Havre s’inspire en effet de la vaste Cité U de 250 conteneurs réalisée en 2008 à Amsterdam.

A Angers et Compiègne, le choix du bois

La résidence Einstein à Angers (Crédits: Soclova DR)

Ces deux villes ont aussi adopté le logement modulaire. En septembre 2009, Compiègne inaugure 95  logements pour des étudiants en école de chimie. Un an plus tard, Angers livre les 158 studios de sa résidence Einstein. Mais les deux villes ont préféré opter pour le bois. « Pour des raisons esthétiques, le conteneur maritime n’est pas adapté à Angers. Et l’aspect extérieur peut faire penser à du logement à bas coût. Or nous ne voulions pas mettre en avant l’aspect modulaire du bâtiment » explique Vincent Dulong, conseiller régional des Pays de la Loire en charge du logement.

Impossible en effet de deviner à l’œil nu que cet immeuble bardé de bois contient 158 modules en mélèze. Le principe de construction est similaire à la Cité U du Havre. Les fondations sont en béton, tout comme les prémurs des cages d’escaliers, des escaliers et de la gaine d’ascenseur. Les modules sont ensuite empilés les uns sur les autres. Ils sont fixés par des goujons à des lattes de 10 centimètres d’épaisseurs formant des « rails » qui stabilisent l’ensemble. Les six faces des studios de 18 m² sont isolés grâce à 20 cm de laine de verre, une gaine coupe-feu et une plaque de plâtre BA 13. L’extraction d’air est assurée par deux zones de caissons VMC alimentés par des panneaux photovoltaïques. Les étudiants, eux, semblent satisfaits de leur logement.

Principal atout : la rapidité

La résidence Einstein en chantier (Crédits: Soclova DR)

Qu’elles aient opté pour le bois ou le conteneur maritime, les trois villes ont choisi le modulaire pour une raison : la rapidité. Les résidences du Havre, de Compiègne et d’Angers ont été construites en six mois. « Nous avons construit en temps masqué. Pendant qu’on donnait les premiers coups de pioche sur le terrain, les logements étaient fabriqués en Vendée » s’enthousiasme M. Vincent, directeur technique de la Soclova, le maître d’ouvrage de la résidence Einstein. « Les logements sont construits en série, on n’est donc pas soumis aux intempéries, aux retards des différents corps de métier » complète Thierry Capron.

Même écho à Compiègne : « Le coût est similaire à celui d’une construction classique. Le gros avantage, c’est le gain de temps » conclue Thibaut Féret, du Crous de Picardie. Concernant l’aspect financier, la Soclova estime que des économies sont possibles. « Il est possible d’optimiser la construction à l’avenir » estime M. Vincent. Pour lui, « le modulaire a vraiment du sens pour les résidences étudiantes, car c’est du logement répétitif. Je pense qu’il répond bien aux demandes très spécifiques des Crous ». L’Université Paris XIII s’est laissé séduire : elle a un projet de modulaire à Villetaneuse, mais elle a écarté le conteneur maritime, « trop cher » selon son président.