Tunisie : rendez-vous avec l’Histoire

24 octobre 2011  |  dans International

photo © Aude Osnowycz

La Tunisie s’est réveillée dimanche dans une ambiance de fête. Tout au long de la journée, des millions d’électeurs se sont rendus aux urnes, bien décidés à se faire entendre. Le projet de nouvelle Constitution est vécu comme un nouveau départ politique pour le pays.

« J’ai trop la classe ! J’ai trop la classe ! » Une jeune fille souriante qui finit juste de voter dans le bureau de la Goulette, un quartier cosmopolite de Tunis, arbore fièrement le doigt recouvert d’encre qu’elle vient de déposer sur le registre électoral. Comme elle, de nombreux Tunisiens affichaient l’air satisfait du devoir accompli en sortant des bureaux. « Plus qu’un devoir, ce vote est une obligation », affirme sans détours Cherifa, formatrice, la trentaine. C’est aussi l’avis de Fathi Najjar, médecin. « Aujourd’hui, la Tunisie a redécouvert sa vraie citoyenneté. C’est la première fois que je vote…et j’ai 50 ans ! Ce soir, je vais suivre attentivement les résultats avec ma femme et ma fille. »

Plus de 70% de participation

En effet, avec un taux de participation d’au moins 70%, les citoyens tunisiens ont montré leur détermination à choisir démocratiquement ceux qui vont les représenter dans la future Assemblée. Les bureaux de vote, ouverts de 7h à 19h ont affiché un taux de fréquentation impressionnant. Partout, les mêmes scènes de liesse, de foule pressée d’aller faire entendre sa voix. Sanira, lunettes de marque sur le nez, est étudiante en gestion. Sa mère et elle ont attendu 3h avant de déposer leur bulletin. « Et alors ? On est très contente ! », affirme-t-elle. Une organisation qui a impressionné Ahmed Nejib Chebbi, leader du Parti Démocrate Progressiste (PDP), au moment de son vote à la Marsa. « Le vote se fait dans l’ordre, la sérénité, c’est quasiment idéal », a-t-il déclaré sous une chaleur de plomb. C’est sans compter sur les quelques irrégularités qui ont été constatées au cours de la journée par différents observateurs. Partout cependant, ce même sentiment de « liberté retrouvée ». Abdelhatif, la soixantaine, se souvient des élections sous Ben Ali. « Je n’ai jamais vu autant de monde qu’en ce jour. C’était très différent avant. On était à découvert, ce qu’on votait était connu, on passait au rouleau-compresseur ! », plaisante l’ancien informaticien, mais à moitié seulement.

Un mur contre les islamistes

Ahmed, 18 ans, est venu voter pour la première fois de sa vie. « Cette journée est le fruit de notre récolte. Mon père m’envie presque de vivre ce moment, les premières élections libres qu’il connaît », lâche le futur bachelier. Pour moi, le PDP est le parti le plus transparent. On va faire un mur pour lutter contre Ennahda (le parti islamiste déjà donné vainqueur, ndlr). Mais je pense malgré tout qu’il vont faire un excellent score. Je suis optimiste, mais réaliste », avoue-t-il. En effet, les sondages, même si les Tunisiens ne sont pas familiers de l’exercice, tendent vers un taux de 25 à 30% des voix. « Je bois de l’alcool, je ne fais pas les prières, mais je suis musulman. Donc mon vote ira à Ennahda », clame un votant. Menace extrémiste pour certains, garant de la place de l’islam pour d’autres, Ennahda joue sur les deux tableaux. « Leur discours est le même depuis 30 ans. Ils jouent justement sur l’ambivalence, analyse encore Fathi Najjar. Mais pour moi, ce n’est pas un mouvement civique. Cependant si les urnes les désignent, je m’y résoudrais. Je suis un démocrate », conclut-il. Haitham, 29 ans, directeur artistique, attend son tour depuis 2 heures, et n’est pas encore arrivé au bout de ses peines. « Je vais voter Pôle Démocratique Moderniste (PDM) car je me reconnais dans leurs idées, surtout en ce qui concerne la liberté d’expression et des artistes », explique le jeune homme aux longues locks. Conscient du « danger » Ennahda, il explique pourtant : « C’est une réalité de ce pays, très contrasté. Je pense qu’il y aura des surprises au moment des résultats ». Ce soir, ce sera pourtant probablement la fête du côté d’Ennahda. « Je vais faire péter la bouteille ! », lâche un jeune homme en costume. De champagne, bien sûr.