Législatives : un scrutin sous haute tension

9 décembre 2011  |  dans International

photo © Rémi Ochlik

À quelques jours du début de longues élections, la place Tahrir a retrouvé l’ambiance conviviale du printemps. Jusqu’à quand ?

 

« Elles sont là, les élections du peuple égyptien ! Juste devant vous ! » Khalid, 28 ans, se tient sur le balcon d’un immeuble de la place Tahrir. Ce jeune chef d’entreprise désigne les dizaines de milliers de manifestants rassemblés pour réclamer le départ de la junte militaire au pouvoir depuis la chute d’Hosni Moubarak. La clameur populaire monte jusque dans le ciel bleu du Caire. « Le peuple veut la chute du maréchal ! », scande la foule, dans un arc-en-ciel de drapeaux et de banderoles.

Pour Khalid, les élections législatives, qui devraient se tenir lundi, « ne sont pas une priorité », et ce révolutionnaire de la première heure espère bien que les Égyptiens « viendront manifester au lieu de se rendre aux urnes ». Avant de s’emporter : « Ce scrutin ne fera que légitimer la junte militaire, et personne n’aura le contrôle de ce qui se passe ! Il y aura de la fraude, comme sous l’ancien régime ! » Malgré l’assurance du militant, Khalid sait que le scrutin qui doit renouveler la chambre basse du Parlement pourrait mettre un terme à la mobilisation.
D’ailleurs, en bas, sur la place, nombre de manifestants ont la ferme intention d’aller voter. Agitant un drapeau, Fedhi, 48 ans, lance : « Je sais que ces élections sont illégitimes, mais je vais aller voter parce que je ne veux pas que les Frères musulmans gagnent. Eux, ils vont aller voter. » Isham, son ami de 24 ans, se rendra aussi aux urnes lundi : « En ce moment, les groupes islamistes sont en désaccord, mais ce sont de petits conflits. Quand il s’agira de mettre en place un pays rétrograde, ils seront tous d’accord. Il faut aller voter ! »

Prière gigantesque

Il est bientôt 13 heures, et les deux Égyptiens se tiennent à l’écart de la prière gigantesque qui se déroule au même moment, en plein centre de la place. « Je ne suis pas pour le mélange de la politique et de la religion, poursuit Isham, sérieux. Mais il n’y a pas beaucoup de gens qui pensent comme ça. » Fedhi acquiesce, silencieux.
Autour des deux manifestants, la place se remplit. Pas l’ombre d’une pierre, ni d’un jet de gaz lacrymogène, les hôpitaux de campagne sont vides. Les affrontements, qui ont fait rage pendant cinq jours d’affilée, semblent terminés. Avec ses drapeaux, ses familles, ses vendeurs ambulants, Tahrir a retrouvé l’ambiance conviviale du printemps. Pour une journée seulement ?

« Que le peuple choisisse »

Au fond de la grande place, à l’écart, Ghada Moussa fait partie des organisateurs de l’élection. Cette haute fonctionnaire du ministère n’est pas de l’avis de Fedhi et d’Isham. « Peu importe qui gagne ! Ce peut être un parti religieux ou non, ce qui compte c’est que le peuple choisisse », explique celle qui est aussi docteur en sciences politiques. « Et nous sommes plus inquiets de l’organisation des élections elles-mêmes que de la fraude qui pourrait avoir lieu. » En effet, le scrutin qui débute lundi n’est que la « première phase » d’un processus électoral complexe qui durera quatre mois. En début de semaine, les électeurs désigneront les 498 députés de la chambre basse du Parlement. La « dernière phase » est prévue… le 10 janvier. Dix députés supplémentaires seront alors désignés par le Conseil suprême des forces armées (la junte au pouvoir, dont le leader est le très contesté Hussein Tantaoui).

Élections jusqu’au 11 mars

Viendra ensuite l’élection des 270 sénateurs, étalée entre le 29 janvier et le 11 mars. Un système ambitieux pour un pays peu habitué à voter. « Les médias se concentrent sur les manifestations et n’expliquent rien aux citoyens. Les convocations arrivent en retard, personne ne dirige. Bref, le vrai danger de ces élections, c’est qu’elles se déroulent dans une confusion totale. » Avant de conclure : « Je suis venue manifester en tant que citoyenne, car je crois que notre révolution est en danger. Car, franchement, je ne crois pas que ces élections nous permettront de construire une démocratie. »