Maman et séropositive

9 décembre 2011  |  dans Femmes

photo © Axelle de Russé

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Grâce à la trithérapie, la maternité n’est plus un bonheur interdit aux femmes séropositives. Mais entre sentiment de culpabilité et inquiétude viscérale pour leur enfant, être maman est un véritable parcours du combattant. A l’occasion de la journée mondiale du SIDA, Be a suivi trois couples mères-enfants. Objectif : comprendre cette relation hors du commun.

 

Quand Véronica, pose la main sur son ventre rond, elle a les yeux qui brillent. « C’est une fille et elle s’appellera Maeva », souffle-t-elle, aux anges. A cinq mois de grossesse, la jeune femme de 31 ans rêve déjà « de la tenir dans ses bras ». Véronica ressemble à toutes les futures maman.. Ou presque. Car il y a deux ans, cette employée d’une maison de retraite a attrapé le virus du SIDA. « Le préservatif a craqué », justifie-t-elle, gênée. Mais toute à son bonheur, la future mère refuse de s’inquiéter pour la santé de son enfant: « Le médecin m’a dit que si je prenais mes médicaments, ma fille ne serait pas contaminée ». Il est vrai que la découverte de la trithérapie il y a bientôt 20 ans réduit significativement la transmission du virus entre la mère et l’enfant. En deux décennies, le risque de contamination est passé de 15-25% à 1-2%, en moyenne.
 
Malgré ces avancées, la culpabilisation de ces mamans jugées « irresponsables » ou « égoïstes » est toujours la règle. Comme en témoigne le récit d’Ariane qui a accouché à Strasbourg en 2007: « L’équipe soignante m’a fait mangé dans des assiettes en carton… Le personnel avait aussi laissé une grande bassine de produits chlorés dans laquelle je devais jeter les langes que j’avais touchés ». La preuve qu’aujourd’hui encore, le VIH est un virus mal connu, même parmi les professionnels de santé. Pourtant, le SIDA est loin d’être une maladie marginale. Selon Sida Info service, en France, 152 000 personnes* sont touchées par le VIH. Et le nombre de contamination en chute libre jusqu’en 2004, à repris à la hausse (6700 par an, contre 6400 auparavant). Une augmentation inquiétante qui ne semble pas rompre la loi du silence… « C’est toujours une maladie taboue qui renvoie à des sujets ‘sales’ comme le sexe, la drogue et l’homosexualité, analyse Sonia Ould Ami, psychologue à Dessine moi un Mouton, une association de familles confrontées au VIH. Pour les mères, il s’ensuit une double culpabilité: d’abord d’avoir attrapé le virus et ensuite de la transmettre à leur bébé ». Et comme si cela ne suffisait pas, la maladie peut aussi avoir une incidence dans la relation parentale. « Il est difficile de faire une généralité, constate Cyrille Moulin, éducateur qui suit les adolescents confrontés au VIH. Cela peut se traduire par une acceptation de la situation, comme par une haine contre la mère qui a transmis ou encore par une relation fusionnelle mêlant amour, haine, destruction ». Mais Véronica semble être loin de toutes ces considérations. Le bébé bouge, la jeune femme éclate de rire. Confiante, elle jure : « ma fille aura une longue vie et moi, je resterais toujours à ses côtés ».
 
*derniers données disponibles, corrigées au 31 mars 2010. Sida info service avec l’Institut de veille sanitaire.
 

Gaëlle, 23 ans et Pascale, 50 ans : La relation fusionnelle

 
« Je m’inquiète tout le temps pour ma maman »
 

photo © Axelle de Russé

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L’une à Bayonne, l’autre à Paris, Pascale et Gaëlle, vivent à 800 kilomètres de distance. Pourtant, mère et fille ne passent pas un jour sans se parler. Gaëlle, 23 ans, ne peut s’empêcher d’appeler chaque jour car elle « s’inquiète pour sa maman ». De son côté, Pascale, 50 ans, à « besoin de savoir en permanence que sa fille va bien ». Fusionnelles depuis toujours, mère et fille partagent tous leurs secrets… mais aussi leurs traitements. Car Pascale, ancienne fleuriste, fait partie de ces mamans qui ont transmis le VIH à leur enfant. En 1987, au moment de sa grossesse, la Bayonnaise ignore qu’elle est atteinte du SIDA. C’est seulement en 1994, lors d’un examen pour une bronchite, qu’elle apprend sa séropositivité. Et comme si un malheur n’arrivait jamais seul, une semaine après, elle apprend que « la prunelle de ses yeux », Gaëlle alors âgée de 6 ans, est aussi porteuse du virus mortel. A l’hôpital, le pédiatre lui conseille de ne rien dire, d’attendre que l’enfant « lui pose la question ». Mais chaque jour, la petite prend ses médicaments… sans rien demander. Pendant dix ans, la maman « angoisse », car elle craint que sa fille « ne la rejette violemment » en apprenant sa maladie. Jusqu’au jour où l’adolescente rentre du lycée, en pleurs… D’instinct, Pascale sait ce que sa fille va lui demander. Elle répond simplement, mais le choc est là: « Cela a été très dur, j’ai cru que j’allais mourir », se rappelle Gaëlle. La jeune fille de 15 ans tombe en dépression. Aidée par un psychologue, elle finira par remonter la pente: « j’ai compris que je n’avais pas le choix, qu’il fallait accepter », explique-t-elle.

 

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Contrairement à de nombreux enfants dans son cas, Gaëlle n’en n’a « jamais voulu à sa mère, même au pire moment ». D’ailleurs, la jeune éducatrice jure « ne jamais penser à la maladie ». En dehors des traitements, Gaëlle mène une vie normale: « je travaille, je sors avec mes amis et je vis avec mon petit copain qui est séronégatif ». En revanche, Pascale résiste plus difficilement à la maladie. « J’ai dû arrêter de travailler car j’étais trop fatiguée », explique la maman. La Bayonnaise qui vit en HLM doit donc désormais composer avec 800 euros par mois d’allocation d’invalidité. Mais aussi avec des traitements multiples – car elle est aussi atteinte d’une hépatite C – aux effets secondaires très handicapants. Alors Gaëlle appelle tous les jours pour s’assurer que sa mère a bien pris « ses médicaments, qu’elle ne s’est pas surmenée, qu’elle a bien fait la sieste ». Mais aussi pour lui faire part « de ses problèmes dans sa vie personnelle, pour lui demander des conseils ». Car même à 800 kilomètres, Gaëlle a du mal « à couper le cordon ». Mais pour Pascale, tout est bien qui finit bien: « j’avais peur que la maladie ne nous sépare, en fait elle nous a rapproché. Aujourd’hui, on se bat ensemble contre le SIDA ».

 

A Rouen,‭ ‬Amy,‭ ‬31‭ ‬ans et Yannick,‭ ‬11‭ ‬ans:‭ ‬le silence pour éviter le drame

 
«‬ Je ne veux pas qu’il soit traumatisé ‭»
 

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S’il y avait une médaille de l’enfant attentionné,‭ ‬ce serait Yannick qui la gagnerait.‭ ‬A‭ ‬11‭ ‬ans,‭ ‬ce petit rouennais est un vrai petit homme d’intérieur.‭ ‬Sa spécialité‭ ? «‬ Préparer le petit déjeuner ou le déjeuner -souvent des cordon bleu avec des pâtes-‭ ‬à‭ [‬sa‭] ‬maman quand elle est trop fatiguée pour se lever ‭»‬.‭ ‬En se tortillant sur sa chaise,‭ ‬Yannick confie:‭ «‬ je m’inquiète toujours pour ma mère parce qu’elle ne mange rien du tout et j’ai peur qu’elle tombe dans les pommes‭ »‬.‭ ‬Malgré cette angoisse qu’il ressent depuis qu’il est enfant,‭ ‬Yannick ne sait rien de la maladie de sa mère.‭ ‬Le collégien ignore qu’elle est séropositive depuis bientôt‭ ‬10‭ ‬ans.‭ ‬Contaminée par un partenaire qu’elle rencontre après la naissance de son fils,‭ ‬Amy commence rapidement le traitement.‭ « ‬J’ai été accompagné par l’association AIDES qui m’a expliqué que je pouvais vivre normalement avec le SIDA,‭ ‬raconte Amy.‭ ‬Mais je préfère le cacher à mon entourage car je ne veux pas que ma famille s’inquiète à cause de moi ‭»‬.‭ ‬La jeune femme ne le dira donc jamais à sa mère,‭ « ‬asmathique depuis‭ ‬40‭ ‬ans ‭» ‬et dont la santé pourrait se détériorer à cause du choc.‭ ‬Une seule de ses sœurs est au courant,‭ ‬car elle craint que les autres ne‭ «‬ la rejette‭nt » ‬en apprenant sa maladie.‭ ‬

 

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Quant à son fils,‭ ‬hors de question de lui révéler sa maladie :‭ «‬ je ne veux pas qu’il soit traumatisé et qu’il brise sa scolarité à cause de cela ‭»‬.‭ ‬Pour éviter qu’il ne découvre l’infection de sa mère,‭ ‬la jeune femme va jusqu’à cacher les médicaments et mentir ouvertement.‭ ‬Mais mal à l’aise devant les questions,‭ ‬Amy promet de‭ «‬ tout lui dire quand il aura‭ ‬20‭ ‬ans‭ »‬,‭ ‬car‭ «‬ à ce moment là,‭ ‬il sera assez solide pour l’entendre ‭»‬.‭ ‬En attendant,‭ ‬Amy fait comme si de rien n’était.‭ «‬ J’ai des vertiges,‭ ‬des coups de fatigue,‭ ‬des douleurs et des crampes dans les jambes qui m’empêchent de me lever,‭ ‬explique la mère au foyer.‭ ‬Mais je ne plains jamais,‭ ‬alors mon fils ne sait pas que je suis malade ‭»‬.‭ ‬Et pourtant,‭ ‬malgré toutes ses précautions,‭ ‬il y a un an,‭ ‬Yannick a failli découvrir le lourd secret de sa mère.‭ ‬L’enfant se rappelle encore cet épisode traumatisant:‭ « ‬elle était assise sur le canapé,‭ ‬mais elle était bloquée,‭ ‬elle ne répondait plus,‭ ‬elle avait les yeux ouverts,‭ ‬mais c’était comme si elle dormait‭ »‬.‭ ‬En fait,‭ ‬Amy fait un malaise grave provoqué par les effets secondaires des médicaments.‭ ‬Yannick appelle son oncle qui prévient les secours et Amy est sauvée.‭ ‬A son retour de l’hôpital,‭ ‬son fils la harcèle de questions.‭ ‬La maman s’en sort en répondant qu’elle n’avait pas assez mangé.‭ ‬Cette fois encore,‭ ‬son fils l’a cru.‭ ‬Mais aujourd’hui,‭ ‬Yannick,‭ ‬est‭ «‬ encore plus inquiet‭ »‬.‭

 

Martine, 50 ans et Julie*, 28 ans- Une relation conflictuelle

 
« La maladie de ma mère ne me concerne pas »
 

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Entre Martine, 50 ans et Julie, 28 ans, tout à toujours été compliqué. Rapports conflictuels, communication difficile et même rivalité, la relation entre la mère et sa fille aînée n’a jamais rimé avec complicité. Et la découverte de la maladie de Martine il y a 10 ans, n’a rien arrangé. En 2001, cette mère divorcée de trois enfants, se remarie. Mais le nouvel amoureux ne dit pas à sa compagne qu’il est séropositif. En pleine santé, rien ne lui laisse penser qu’elle est contaminée. C’est donc par hasard, à l’occasion d’un test de routine, un an après avoir convolé, que la mère de famille apprend qu’elle est infectée. Le choc est rude mais Martine refuse de le dire à ses trois enfants, alors âgés de 14, 17 et 18 ans. « Je ne voulais pas qu’ils soient traumatisés par ma faute », justifie Martine qui en raison de la fatigue a dû arrêter de travailler. Pour les protéger de la contamination tout en gardant le secret, la mère de famille « lave tout à l’eau de javel, cache les rasoirs et les brosses à dents ». Julie, sa fille aînée, finira par apprendre la vérité, deux ans après. « C’est ma sœur cadette qui me l’a dit, raconte froidement la jeune femme de 28 ans. C’est la dernière fois que j’ai pleuré à ce sujet ».

 

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Pour la grande sœur, il n’est plus temps de se lamenter, elle doit « être forte » pour « protéger » ses deux cadets. Et puis Julie est « en colère » contre sa mère qui s’est laissée « berner » et qui à mis en danger ses enfants en ne leur révélant pas sa maladie. Mais dans la voix hargneuse de celle qui jure « que la maladie ne la concerne pas », se cache aussi l’inquiétude d’une fille qui a peur de perdre sa mère. Mais puisque l’aînée des enfants de Martine a toujours préféré l’action aux lamentations, elle a décidé de transformé sa colère en actes concrets. Contrairement à ses deux frères qui « font comme si la maladie n’existait pas », cette vendeuse d’une grande ville du Nord a entamé une action en justice contre « l’assassin », l’ex-mari de sa mère. Martine la soutient mais ce qui compte vraiment pour elle, ce que Julie se soit « rapprochée d’elle ». « Au début de ma maladie, nos rapports se sont tendus, confie la maman de 50 ans. Mais quand mon physique s’est transformé à cause des médicaments-Martine à pris 20 kg en 3 ans-, l’attitude de ma fille a commencé a changer ». Malgré la colère qui l’habite toujours, Julie a commencé à venir voir sa mère « plus souvent ». Et pour la première fois, Julie a dire à sa mère : « je t’aime ».

 

*A sa demande, le prénom a été changé.