Jeunes, Tunisiens, et chrétiens

21 mars 2012  |  dans International

La cathédrale de Tunis. © Aude Osnowycz

La cathédrale de Tunis. © Aude Osnowycz

Dans la Tunisie de l’après Ben Ali, la liberté religieuse est toujours aussi théorique que sous le régime précédent. De jeunes Tunisiens pourtant se sentent rejoints par l’Evangile. Leur itinéraire souligne les différences d’approche de la mission entre Églises évangéliques et Église catholique.

 


 
 
 
 
 
 
 

Sabrina, jeune tunisienne convertie. ©Aude Osnowycz

Sabrina, jeune tunisienne convertie. ©Aude Osnowycz


 
Le chant majestueux du muezzin voisin retentit en pleine lecture de l’évangile. Comme tous les jeudis, quelques Tunisiens se réunissent chez deux Français installés à Tunis pour étudier la Bible et prier. Ce soir, Sabrina*, devenue protestante évangélique, prie pour son pays. Beaucoup de questions restent en suspens dans la Tunisie de l’après Ben Ali. Notamment celle de la place qui sera faite aux minorités religieuses dans la future constitution. Avec les 10 millions de musulmans tunisiens vivent une poignée de chrétiens (moins de 20 000, presque tous étrangers), et une toute petite communauté juive tunisienne de 1400 membres. Deux d’entre eux se sont présentés aux élections de l’assemblée constituante, l’automne dernier, suscitant un tollé dans la société tunisienne. De même, être chrétien et Tunisien, c’est, au minimum, être un citoyen de seconde zone.

 

Soirée de lecture chez un couple de français protestants qui accueillent des tunisiens convertis. © Aude Osnowycz

Soirée de lecture chez un couple de français protestants qui accueillent des tunisiens convertis. © Aude Osnowycz


 

Des déconvenues avec l’ancien pouvoir, Rached, 30 ans, en a connues. Arrêté, frappé par la police, sa conversion au christianisme l’a mis en danger. «  Fais bien attention à toi si on te revoit à l’église  », avaient menacé les policiers. Mais la menace a pris un nouveau visage. Ce sont désormais des islamistes radicaux qui s’en prennent aux chrétiens. Basem, 29 ans, a peur : «  Hier, quelqu’un m’a appelé. Il m’a dit que s’il trouvait où je prie, il viendrait nous égorger.  »
S’affirmer chrétien est donc plus que difficile, y compris dans le cercle des proches. Ahmed en a fait les frais. «  Quelques amis ont cessé de me parler et mon père m’a carrément mis à la porte. J’ai dormi quatre mois dans la rue. Mais, finalement, quelle période bénie ! Seul sous les étoiles et avec le Seigneur » déclare-t-il. Sabrina, elle, s’est sentie blessée quand son frère lui a asséné : « Désormais, tu n’as plus d’histoire… » Cette étudiante passionnée de littérature a commencé à chercher des réponses à ses questionnements ailleurs que dans le Coran, dès ses 14 ans. «  Je n’y avais pas trouvé le Dieu que je cherchais  », explique-t-elle. À 18 ans, séduite par le message d’amour de la Bible, elle reçoit le baptême. Mais pas question de parler de sa foi à son père.

 

Le Père Jean Fontaine. © Aude Osnowycz

Le Père Jean Fontaine. © Aude Osnowycz

 

Cependant, si la fin de la dictature policière a ouvert la porte aux extrémismes, elle a aussi permis une liberté nouvelle. «  Davantage de Tunisiens, surtout des jeunes, viennent se renseigner sur la foi chrétienne  », reconnaît Mgr Lahham, archevêque catholique de Tunis. Les protestants évangéliques sont plus actifs. « Chez eux, on baptise facilement, explique Mgr Lahham alors que chez nous, il faut trois à quatre ans de préparation avant de devenir catholique … » Et l’aide matérielle proposée par les communautés évangéliques n’est pas pour rien dans l’attrait qu’elles exercent. Dali, bloggeur de 27 ans, se cherche encore. Après avoir entendu prêcher le pasteur américain William Brown, il s’exclame : «  C’est génial, les évangéliques vont m’aider pour mes études, mais aussi à trouver un logement, un emploi.  » Pour le Père Jean Fontaine, père blanc, bon connaisseur de la Tunisie où il vit depuis cinquante-cinq ans, certaines conversions seraient motivées par le mirage d’un hypothétique visa ou d’avantages matériels.

 

A l’inverse, l’action de l’Eglise catholique ne vise pas des conversions mais cherche à établir un contact profond avec la société. Les prêtres et religieuses qui y vivent parlent arabe. La spiritualité de la mission est celle du Père de Foucauld : une présence vive, comme celle de Jésus à Nazareth avant son ministère public. Une présence qui s’efforce d’annoncer l’Evangile en le vivant : « Les familles tunisiennes sont souvent surprises par notre façon de vivre le pardon. Et puis, tandis que l’appel à la prière dans l’islam dit « venez vers le succès », nous tentons d’intégrer la souffrance à notre foi, à la suite du Christ. En vivant cette foi, nous cherchons des contacts de croyant à croyant, pour contourner l’impasse de la confrontation de religion à religion. Il ne faut pas être pressé pour “christifier” peu à peu la société » explique Jean Fontaine. Pour l’instant, Ahmed sent sa vie transformée par le message d’amour du Christ, Sabrina loue Jésus en chantant, Basem affronte les menaces des islamistes. Et demain ?
 
* Pour des questions de confidentialité, les prénoms ont été modifiés.