La misère au quotidien

14 mai 2012  |  dans International

Photo © Axelle de Russé

Photo © Axelle de Russé

Elle est l’épicentre de la crise qui frappe l’Europe. La Grèce, étranglée par la dette et le chômage, soumise à un plan d’austérité draconien, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Pour ses habitants, la potion est amère.
 

C’est un patio tranquille en plein centre d’Athènes. Quelques arbres ça et là protègent les tables de pique-nique des rayons du soleil. Aux premières heures de la journée, le coin de verdure emprisonné par de hautes grilles a tout d’un havre de tranquillité. Aux premières heures de la journée. Car depuis quelques mois, trois fois par jour, le petit jardin s‘emplit de toute la misère de la capitale en crise.
 
Étranglée par un taux de chômage à 21,7% et par un plan d’austérité draconien négocié avec l’Europe et le FMI, la Grèce n’en finit plus de réduire le pensions, les retraites et les salaires. Alors, par nécessité, le jardin s’est mué en cantine sociale. Une soupe populaire hétéroclite où les « nouveaux pauvres » font désormais la queue derrière les migrants désœuvrés et les sdf alcoolisés. Dans le patio, les victimes de la crise, retraités aux pensions diminuées, chômeurs et autres mères célibataires en difficultés, partagent avec les habituels laissés pour compte, les 1600 repas quotidiens servis par la municipalité et l’Eglise orthodoxe. Vassilis* (prénom changé), la cinquantaine, mange son plat de pâtes au gruyère, en retrait. Pendant 28 ans, ce chômeur d’origine irlandaise était employé comme déménageur en Crête. « Je les hais, jure-t-il hargneux, en regardant un groupe d’immigrés pakistanais. C’est de leur faute si j’en suis là. Il y a 8 mois mon patron m’a renvoyé à cause de la crise et il a pris un Bangladeshi à ma place. Je veux tous les tuer ». Avant d’ajouter un sanglot dans la voix: « J’ai travaillé toute ma vie, je n’aurais jamais cru en arriver là, j’ai tout perdu : ma maison, ma sécurité sociale… ». Sans un aurevoir, Vassilis s’en va, son bol à la main.
 
« Demander de l’aide équivaut à perdre sa dignité »
 

Photo ©Axelle de Russé

Photo ©Axelle de Russé


 
A quelques mètres de là, sur un banc en béton, une vieille femme d’au moins 80 ans, fouille dans un sac de vêtements donnés par la municipalité. Derrière son foulard, elle semble se cacher, refuse violemment discussion et photographie. Sa réaction n’est pas surprenante car nous y sommes souvent confrontés. « La différence entre les nouveaux pauvres et les autres c’est aussi qu’ils ont honte de leur situation, commentera plus tard un travailleur social de l’ONG Médecins du Monde. Ils n’ont pas l’habitude de se retrouver de ce côté-là, demander de l’aide équivaut à perdre un peu de leur dignité ».
 
A Athènes, ils sont pourtant de plus en plus nombreux à avoir recours aux ONG pour manger ou se soigner. Dans le patio, leur nombre a presque doublé et Médecins du monde, qui soigne gratuitement ceux qui n’ont pas d’assurance maladie, a dû ouvrir une polyclinique dans le quartier du port de Pirée pour faire face à l’afflux de ces nouveaux patients. « Nous avons ouvert en 2010, raconte une bénévole du nouveau centre. Au début nous avions surtout des migrants qui n’avaient pas de sécurité sociale. Aujourd’hui, 95% de nos patients sont des grecs qui ont perdu leur emploi et qui n’ont donc plus d’assurance maladie. Ils arrivent plus nombreux chaque jour ». Dans cette polyclinique, il n’y a pas de salariés. Médecins, infirmières, secrétaires sont tous bénévoles. « J’ai perdu mon emploi il y a 11 mois, explique l’une d’entre-eux. Alors je préfère être utile plutôt que de ne rien faire. C’est le cas de presque tout le monde ici, on est tous chômeurs ». Avant de rigoler : « La Grèce n’aura jamais eu tant de bénévoles ! ».
 
Au Centre municipal pour les sans abris qui gère la distribution dans le patio, ils sont 40 volontaires et salariés à se relayer chaque jour. Il est 15 heures, les grilles du petit jardin se sont rouvertes pour le deuxième service, réservé aux migrants. Soudanais, Afghans, Somaliens, Irakiens, Iraniens, Syriens, le monde entier déjeune dans le square. Gabriel, un sénégalais de 32 ans est en pleine discussion avec Mohammed, un palestinien. « Tous les immigrés sont déçus en arrivant ici, constate le premier, arrivé à Athènes il y a 10 mois. On nous avait promis l’eldorado et c’est la misère, il n’y a pas de travail, on vit dans la rue, les Grecs nous méprisent. Tout le monde rêve de partir en France, en Angleterre, en Italie où la situation est meilleure ». Pour Gabriel, c’est désormais une certitude: « La Grèce, ce n’est plus vraiment l’Europe ».