Présidentielle en Egypte : un scrutin sous tensions

17 juin 2012  |  dans International

Photo © Aude Osnowycz

Photo © Aude Osnowycz

Alors que l’Egypte s’apprête à voter ce week-end le second tour de la première élection présidentielle libre de son histoire, les deux derniers candidats en lice, l’un islamiste, l’autre issu du régime de Hosni Moubarak, semblent laisser les électeurs empreints au doute.

 

« Je n’irai pas voter dimanche », lâche Ahmed, la trentaine, dans un café ombragé du centre-ville du Caire. A deux pas de la place Tahrir, ses espoirs de changement pour Égypte sont d’ores et déjà enterrés. Entre Ahmed Chafik, l’ancien premier ministre de Moubarak, représentant d’une dictature à laquelle la Révolution voulait mettre fin, et Mohamed Morsi, du Parti pour la Justice et la Liberté, issu des Frères Musulmans, qui souhaite la charia comme base de la future Constitution, ce guide culturel ne peut donner sa voix à personne. « Cette Révolution a été faite pour rien », assène-t-il, triste et en colère. Pourtant, sur la place Tahrir, les noms des martyrs des évènements de janvier-février 2011, écrits sur des morceaux de papier accrochés aux arbres, rappellent la période de troubles que Égypte a traversée – et traverse encore. Des déçus, il y en a beaucoup d’autres chez les électeurs potentiels. Parmi eux, la jeune Samira Ibrahim, 25 ans, qui s’était fait connaître dans le monde entier pour avoir dénoncé les tests de virginité pratiqués par l’Armée égyptienne. Aujourd’hui, elle dénonce un autre scandale, le « pathétique de la situation », et gomme, d’une phrase laconique, tout espoir d’un scrutin représentatif. « Je boycotte ces élections. » Impossible pour elle de légitimer un tel rendez-vous électoral, véritable farce à ses yeux.
 
En effet, la situation politique réserve quelques surprises désagréables aux Égyptiens, dévoilées jour après jour. Jeudi, à moins de 48 heures du début du scrutin, la Cour Constitutionnelle a finalement validé la candidature de Ahmed Chafik, qui en tant qu’ancien membre du gouvernement de Moubarak, devait en être éliminé. Elle a également décidé d’invalider un tiers des sièges du Parlement, dominé jusqu’alors par les islamistes. En fin de journée, la place Tahrir s’est donc vue partiellement occupée par des Égyptiens mécontents de ces décisions, drapeaux et slogans tendus vers le ciel. Des coups de théâtre politiques « qui risquent fort de freiner le processus démocratique en Égypte et de retarder la rédaction d’une Constitution », explique Friedrich Bokern, chercheur allemand en sciences politiques et conseiller, spécialiste des Frères Musulmans. Beaucoup d’égyptiens estiment d’ailleurs qu’élire un président sans Constitution est une incohérence politique. Aux yeux de Friedrich Bokern, le maître mot sous-jacent semble être : tout sauf les islamistes. Une idée forte qui ferait consensus pour leur barrer la route ?
 
Mais loin des tractations purement politiciennes, Luiz, vendeur d’artisanat dans le quartier copte, explique que « son rêve est celui d’un président qui aiderait vraiment les pauvres. » Il espère qu’il prendra le visage de Ahmed Chafik, un « moindre mal », car il craint que si les Frères Musulmans arrivent au pouvoir, « les touristes désertent le pays. » Ce serait une catastrophe pour son affaire.
Dans ces conditions, un fort taux d’abstention est à redouter ce week-end. A défaut des électeurs, qui s’étaient rendus en masse dans les isoloirs lors du premier tour, les rues du Caire s’expriment, elles, en cette période de vote : en plus des affiches des candidats, les tags peints par les révolutionnaires disent tous les espoirs, et souvent la colère soulevés par les lendemains fragiles de la Révolution.