A New York, la Mecque du graffiti effacée en une nuit

20 décembre 2013  |  dans Culture

5 Pointz repeint en blanc © David Breger

5 Pointz repeint en blanc © David Breger

Mardi, 5 Pointz, le célèbre complexe du Queens aux murs recouverts de centaines de graffitis, a été repeint en blanc par son propriétaire, annonçant la future destruction du lieu.

« C’est la plus grande perte de toute l’histoire du graffiti » se désole Marie Flageul, porte-parole de 5 Pointz. En pleurs mardi matin lorsqu’elle a découvert les murs, sur lesquels on pouvait encore admirer la veille des centaines d’œuvres, recouverts à la hâte de peinture blanche. « Ça s’est passé par surprise entre 2h et 6h du matin, la police avait bouclé le périmètre, on n’a rien pu faire. » Le propriétaire, le promoteur Jerry Wolkoff, qui souhaite raser l’immeuble pour faire place à un luxueux projet résidentiel, a abruptement mis fin au combat que lui livraient les artistes pour sauver le lieu.

Five pointz (comme les cinq arrondissements de New York) s’est créé il y a vingt ans comme un épicentre de la culture hip-hop, permettant chaque année à des milliers de graffeurs et street -artists d’exposer en toute légalité. Ados débutants ou artistes mondialement reconnus comme Tracy 168, Lady Pink ou Tats Cru y ont posé leur marque. Depuis 2002, Jonathan Cohen, 38 ans, Meres One de son nom de scène, fait office de conservateur du lieu, qu’il gère comme un musée, distribuant les murs aux artistes et faisant tourner une exposition à ciel ouvert de près de 350 œuvres.

5 Pointz, le 9 novembre. © David Breger

5 Pointz, le 9 novembre. © David Breger

Dès les débuts un deal existait entre le 5 Pointz Aerosol Art center, géré par Meres One et le propriétaire, Jerry Wolkoff, permettant aux artistes de peindre les murs avec son autorisation «à la seule condition de n’afficher aucun message pornographique ou politique». Mais en 2010, changement de plans. Jerry Wolkoff a de nouveaux projets immobiliers et annonce vouloir raser 5 Pointz. Une issue qui semblait alors lointaine et improbable, mais qui s’est concrétisée le 9 octobre, lorsque le conseil municipal de New York a donné son feu-vert à un projet de 400 millions de dollars (290,5 millions d’euros) : la construction de deux luxueuses tours résidentielles de plus de 40 étages, la gentrification rapide de Long Island City et la hausse des loyers expliquant certainement ce choix. Jerry Wolkoff annonçait alors vouloir réserver une partie du nouvel espace aux artistes, un nouveau deal qui les a laissés sceptiques. «Nous ne laisserons pas ajouter une nouvelle tour de verre sans vie à New York et détruire notre quartier, notre communauté», a encore déclaré hier Meres One.
A coup de pétitions et de comités de soutien, la résistance s’est engagée. Banksy lui-même, à la fin de son mois de résidence à New York, concluait sur son site par ces quelques mots : « Save 5 Pointz ».

5 Pointz, le 9 novembre. © David Breger

5 Pointz, le 9 novembre. © David Breger

Devant la justice, Meres One et les siens ont tenté, sans succès, de faire jouer le Visual Artists Rights Act, loi qui protège les droits des artistes, pour obtenir une injonction interdisant au propriétaire de toucher aux œuvres. Dans le même temps une procédure pour faire classer le site monument historique avait été lancée recueillant près de 25 000 signatures. Le collectif envisageait même de racheter l’immeuble avec l’aide de fonds privés. Autant d’initiatives restées vaines.

Aujourd’hui, il ne reste que du blanc à perte de vue. Sur place, la communauté d’artistes, volontaires, fans et voisins était sous le choc. « Je n’arrive toujours pas à y croire. On dirait une mauvaise blague, explique Kid Lew, graffeur, dont les abeilles multicolores s’affichaient encore la veille sur un des murs extérieurs du complexe. C’est un morceau d’histoire qui disparaît. Un endroit qui a fait la réputation du quartier et attire le monde entier. » Désignant le musée PS1, annexe du Moma (Museum of Modern Art) ironiquement situé à quelques dizaines de mètres de 5 Pointz, le graffeur ironise : « Ici quand les gens viennent, ils disent. C’est quoi ce Moma à côté de 5 pointz ? Pas l’inverse.» Poem One qui graffe depuis 1979 s’interroge: « Où iront les jeunes quand cet endroit n’existera plus ? Le graffiti est illégal et c’est le seul endroit à New York qui leur permet de s’exercer et d’apprendre les techniques sans enfreindre la loi. »

Le 16 novembre, une manifestation pour sauver 5 pointz. © David Breger

Le 16 novembre, une manifestation pour sauver 5 pointz. © David Breger

L’équipe de 5 Pointz s’est vite rappropriée l’espace en collant aux murs des panneaux blancs sur lesquels chacun pouvait s’exprimer. Hommages émouvants au lieu, insultes au propriétaire et cris de révolte face à la méthode employée.

Meres One, qui faisait les cent pas toute la journée répondant aux interviews et aux interrogations des passants s’enflammait: « En une nuit Jerry Wolkoff a ruiné vingt ans de travail. On compare le graffiti au vandalisme : mais c’est lui le véritable vandale ! Et nous allons lui faire payer. » Il promet de poursuivre le propriétaire en justice.

Jerry Wolkoff a lui aussi réagi dans différents médias américains rappelant son attachement au travail des artistes et justifiant son acte comme un mal nécessaire : « C’est mieux pour eux comme pour moi de tout repeindre en une fois que de voir le bâtiment détruit petit bout par petit bout. »

Si la destruction de l’immeuble semble inévitable, le dernier recours légal pour les artistes de 5 Pointz, serait de faire jouer à nouveau le Visual Artists Rights Act pour obtenir des dommages et intérêts. Selon Jeannine Chanes, l’avocate du collectif, ils pourraient réclamer jusqu’à 150 000 dollars (110 000 euros) par œuvre détruite.