Hyménoplastie : une virginité retrouvée ?

26 février 2015  |  dans France

S’il est difficile d’avoir des chiffres précis, de plus en plus de patientes ont recours à l’hyménoplastie, une reconstruction de l’hymen, petite membrane à l’entrée du vagin qui se brise lors du premier rapport sexuel. Cette opération, bénigne, interroge la notion de virginité dans notre société moderne.

« J’ai eu des histoires, parfois longues de deux ou trois ans. Mais quand j’ai rencontré mon futur mari, il m’a demandé si j’étais vierge, et j’ai répondu « oui bien sûr. » Dès lors, Naila*, la vingtaine, est coincée. Elle ne peut plus reculer devant son mensonge, ne veut pas « passer à côté d’une belle histoire pour ça. » Ça, c’est son hymen, petite membrane à l’entrée du vagin qui se pose depuis l’antiquité comme le garant de la virginité des femmes, dans à peu près toutes les cultures, de la Grèce Antique à l’Égypte des pharaons, du christianisme à l’islam traditionnel. La jeune femme, née en Algérie et vivant en France depuis ses 17 ans, se sent libre, travaille dans le milieu paramédical et gagne sa vie, revendique son indépendance. « J’ai voyagé, je suis sortie en boîte, j’ai vécu ! », précise-t-elle, ses longes cheveux noirs encadrant son visage de poupée. Et si aujourd’hui, elle veut avoir recours à l’hyménoplastie, elle ne regrette pas sa vie d’avant pour autant. Seulement, « il est temps de tourner la page et de repartir sur d’autres bases », précise Naila.
Comme elle, beaucoup de Françaises, majoritairement d’origine musulmane mais pas seulement, se retrouvent à la charnière de leurs deux cultures, le moment de leurs noces approchant. « D’un coup, elles sont replongées dans une autre culture que celle dans laquelle elles ont baigné depuis petites, analyse un médecin qui pratique l’hyménoplastie mais qui a requis l’anonymat. Leur occidentalité, elles l’ont vécu d’une certaine manière, mais toujours en cachant leur sexualité aux membres de la famille, notamment aux hommes. » Ce qui est le cas de Naila : « Ma mère ne peut même pas imaginer que je ne sois pas vierge », reconnaît-elle.

La peur d’être découvertes

« Depuis dix ans on entend beaucoup plus parler de cette opération, constate le docteur Marc Abécassis, l’un des pionniers de l’hyménoplastie. On a cassé un tabou. » Dans son cabinet, 2 à 3 patientes consultent par semaine. Certaines souhaitent retrouver leur intégrité physique, « se sentant trahies après une histoire qui était censée les mener au mariage mais abandonnées en cours de route », explique Marc Abécassis. Dans une société où les « femmes vierges ont plus de valeur que les autres », elles arrivent parfois dans un grand état de grande détresse. « Elles vivent cette épreuve souvent très seules, débarquent en urgence dans le cabinet car elles doivent se marier dans une semaine et savent que si l’on découvre qu’elles ne sont pas vierges, elles peuvent risquer leur vie. » Cette restauration est physique, mais aussi mentale, spirituelle, et aussi symbolique comme dans les cas de viol, où récupérer sa membrane « répare » l’esprit.

Rejet familial, peur d’être reniées par leur mari, parfois risques de crimes d’honneur dans leur pays d’origine, les conséquences sont nombreuses qui pèsent sur ces femmes. « La question ne se pose pas : quand une patiente arrive dans cet état dans mon cabinet, je ne peux pas ne pas l’aider », lâchent les deux médecins. « En tant que technicien, vous lui rendez la vie », estime Marc Abécassis. L’autre praticien évoque, dans les cas d’extrême urgence un procédé qui recoud la membrane pour quelques jours seulement et qui tiendra jusqu’à un mariage très proche.

« Pour moi, c’est plus familial que pour mon futur mari. Si mon frère apprenait que je ne suis plus vierge, il me tuerait. Littéralement. Si quelque chose est découvert un jour, ma mère fait une crise cardiaque, et moi je devrais fuir pour ne plus revenir. Je ne peux pas faire ça à ma famille », raconte Naila. Les 2000 euros qu’elle économise pour se payer l’opération « valent le coup. Grâce à cela, je vais pouvoir me marier, ne pas avoir de problèmes. » Ce qui semble n’avoir pas de prix pour la jeunes femme qui n’a pas hésité une seconde. « Cette opération a même sauvé la vie de mon amie, qui elle, vient d’une famille hyper traditionnelle. Je n’aurais pas été étonnée qu’elle disparaisse de la circulation pour avoir souillé l’honneur de sa famille », lâche Naila. Le médecin anonyme essaie quant à lui de les rassurer dans le secret de son cabinet : « Arrêtez de culpabiliser, vous n’avez tué personne ! » leur dit-il, afin de relativiser leur sentiment de culpabilité. Une situation éminemment délicate pour ces femmes, comme pour les médecins qui les accompagnent, pas tant pour la difficulté technique de l’opération que pour toutes les questions qu’elle soulève.

Car l’opération en tant que telle est rapide, environ 30 minutes, peut se pratiquer sous anesthésie locale ou générale selon le choix de la patiente, an cabinet ou à la clinique. L’hymen est recousu, de façon à recréer la forme initiale, plus étroite. Ensuite, deux mois sans secousses, sans vélo, sans scooter, sans choc en somme, sont demandés, afin que la cicatrisation soit sûre. Le médecin effectue un rendez-vous de contrôle pour terminer le cycle. « Mon chirurgien m’a assuré que mon mari sentira une résistance lors de notre nuit de noces, se rassure Naila. Mais je me demande comment je vais feindre de n’avoir jamais fait l’amour… » Cette dernière a aussi peur de ne pas saigner, signe d’une « vraie » virginité dans les mentalités traditionnelles alors qu’environ 10% des femmes vierges ne saignent pas. « Mon mari m’a prévenue que le lendemain de nos noces en Kabylie, toute la famille passerait voir les draps. J’ai refusé net ! Sinon je ne l’épousais pas. » Naila ne pouvait pas accepter cela. « Ma mère l’a subi et elle a trouvé ça très humiliant. »

Car au-delà de l’opération, c’est la question de l’égalité hommes-femmes devant la virginité qui se pose. « Je suis tellement habituée à ce que ce soit comme ça chez nous que ça ne m’énerve même pas, je crois », estime Naila. Qui a cédé à la pression autour d’elle, a accepté de renier une partie de sa vie pour rentrer dans un « droit chemin », celui dicté par certains critères qui la dépassent. Un acte de passage aussi pour la jeune femme. « Quand j’ai pris la décision de subir l’hyménoplastie, j’ai changé de téléphone exprès, pour me faire oublier de mes ex. » Tout cela est derrière elle. Dans un mois, elle se fait opérer, dans quelques mois elle se mariera. Avec un homme, qui lui, elle le sait, ne sera pas vierge.

*le prénom a été modifié.