Yoïdo Full Gospel Church, splendeur et intrigues d’une méga-église

23 septembre 2015  |  dans International

© Eugénie Baccot

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La plus grande église évangélique du monde est sud-coréenne. Impressionnante d’envergure et d’organisation, elle s’est développée en Corée du Sud avant de s’internationaliser. Sa stratégie d’expansion a été portée par un charismatique pasteur présenté comme un PdG visionnaire.

C’est une fourmilière dans la mégalopole. Ce dimanche matin sur l’île de Yoïdo, quartier des banques et assurances à Séoul, au cœur de la capitale coréenne aux 10 millions d’âmes, la foule se presse dans les rues endormies. Les bus et les bouches de métro déversent sur les trottoirs des milliers de piétons qui, aiguillés par des agents de la circulation, convergent tous vers un point : la Yoïdo Full Gospel Church (YFGC), imposant bâtiment de briques aperçu depuis l’autre rive du fleuve Han. La croix qui s’élève au dessus du parvis est à la mesure de cette église évangélique : gigantesque. Car nous sommes devant le siège de la plus grande église évangélique du monde qui comptait en 2007 jusqu’à un million de fidèles. Rien d’étonnant qu’elle soit en Corée du Sud, pays d’Extrême Orient où désormais le nombre de chrétiens dépasse celui des bouddhistes, à respectivement 31,6% contre 24,2% des coréens.

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En ordre de marche

Au cœur de la fourmilière, l’organisation est saisissante. Les imposants bâtiments de la Yoïdo Full Gospel Church peuvent ainsi accueillir tout au long du dimanche jusqu’à 100 000 personnes aux célébrations du culte, et 20000 simultanément. Les sept cultes dominicaux, traduits en 10 langues, de l’italien au mongol, rythment le flux et reflux des fidèles dans les couloirs, sur le parvis de l’Eglise et entre les autres bâtiments de l’église qui occupent tout un pâté de maisons. A la Yoïdo Full Gospel Church, chacun a sa chapelle: la salle centrale où l’on suit en direct le culte célébré par le pasteur principal Younghoon Lee en personne, et autour, dans les sous-sols de l’église principale et dans les bâtiments adjacents, cinq autres chapelles pour les handicapés, les familles, les jeunes, les enfants qui assistent au culte par écrans interposés. Dans la chapelle centrale, le culte est grandiose : orchestre de musiciens professionnels, chœur, orgues, et écrans géants accompagnent le prêche du Pasteur Younghoon Lee. « Aujourd’hui, clame le Pasteur, 88 personnes acceptent le Sauveur ! ».
Dans les rangs, des membres de l’amicale des femmes, en hanbok, la robe traditionnelle coréenne, bleue et blanche, distribuent des roses à ces nouveaux venus dans l’église sous les applaudissements des autres fidèles. Sur les premiers bancs, un député est en visite officielle. « Nous aimerions voir plus d’hommes politiques qui servent le Seigneur », interpelle le Pasteur.

Au terme d’une cérémonie d’une heure, la salle centrale et les autres chapelles s’évacuent en quelques minutes, dans des bousculades qui rappellent les heures de pointe du métro séoulien. Au milieu de la cohue, des hommes et des femmes habillés en couleur émergent. Difficile de ne pas remarquer les quelques 10000 volontaires de l’église reconnaissables à leurs uniformes, selon leur grade. Habillés d’un blaser blanc ou d’un hanbok bleu et blanc, les membres des amicales, en rang d’oignon, canalisent la foule et saluent les visiteurs sur le départ. Au plus bas de la hiérarchie des volontaires, ils participent à l’évangélisation des fidèles, à la collecte des dons, et à l’organisation du culte. C’est eux qui aiguillonnent les nouveaux venus jusqu’à une chapelle, leur remettent leurs cadeaux de bienvenue – des tupperwares – avant qu’un pasteur de l’église ne commence la séance d’évangélisation. Au terme de plusieurs années d’engagement, certains membres de l’amicale deviendront diacres, reconnaissables à leur blaser noir et leur écharpe jaune, ou diacresse, habillées d’un tailleur rouge. Au bout de deux années de service, et après avoir réussi des examens théologiques, ces derniers pourront intégrer la classe des doyens, l’éminence grise de la YFGC qui, en comité, participent aux grandes orientations de l’église.
Les dons, comme les personnes, ne souffrent pas le désordre à la Yoïdo Full Gospel Church. Les services de collectes, ultramodernes accueillent les fidèles dès l’entrée de l’église. Le « donation center » permet à chacun de vérifier le montant de ses dons en cours, et d’obtenir les justificatifs pour des réductions d’impôts. Face à l’accès principal de la chapelle centrale, des étagères contiennent des milliers d’enveloppes nominatives. Elles sont mises à disposition des fidèles qui s’empressent d’y remettre une partie de leur salaire (en moyenne 10%) à leur église. « Nous collectons chaque année 1,2 million de dollars », admet le pasteur Wooyoung Kim, le pasteur chargé des relations presse qui nous accompagnera à chacune de nos visites à la Yoïdo Full Gospel Church.

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Des « cellules » qui prolifèrent

La Yoïdo Full Gospel Church c’est ainsi un empire qui s’est diversifié pour sa communauté. Télévision, radio, journaux, sanctuaire de retraite à la campagne, centre de formation et de recherche théologique, maison de retraite et hôpital, la YFGC offre tous les services pour sauver, corps et âme, ses fidèles. Derrière l’empire, il y a la « success story » d’un homme, David Yonggi Cho. Et comme toute « success story » emblématique, elle débute sur des décombres, en l’occurrence ceux de la guerre de Corée (1950-1953) qui a mis à sac tout le pays. Le jeune Yonggi Cho, né en 1936, était alors bouddhiste. Studieux, il était promis à de brillantes études mais dut se résoudre à se lancer dans des études de commerce suite à la faillite de son père. Adolescent, il devient interprète dans une base militaire américaine en Corée et se lie d’amitié avec des soldats. A 17 ans, il contracte la tuberculose et fait une rencontre décisive, celle du pasteur américain Ken Tize. Il voit ainsi, quelques temps plus tard, sa guérison comme un signe de Dieu et devient l’interprète du pasteur américain. Un jour, il a une vision et décide de devenir pasteur. Dans le centre de formation théologique où il s’est inscrit, il fait la connaissance de sa future belle-mère, Choi Jashil. Et dans le salon de celle-ci, dès 1958, il célèbre ses premiers cultes, au départ devant les seuls membres de la famille, puis petit à petit devant plusieurs dizaines de personnes, l’accomplissement de miracles ayant fait connaître la petite église de Yonggi Cho.
A partir de là, la croissance de la Yoïdo Full Gospel Church sera exponentielle. Dans les années 50 et même plus tard, le contexte social joue : nous sommes au lendemain d’une guerre qui a décimé le pays, laissant de très nombreux veuves et orphelins sans ressources, et un Etat exsangue et impuissant à les aider. Les églises joueront alors pendant de nombreuses années un rôle social dans la société coréenne, assurant notamment la scolarité des enfants, protégeant les plus démunis.

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La clef du succès pour Yonggi Cho sera l’organisation pyramidale de la communauté en « Kyogu » ou « cellules » et en « Tae-Kyogu ». Ainsi un groupe d’une dizaine de familles du même quartier forment une cellule, un petit groupe qui se réunit dans la semaine pour prier ensemble. Dès que l’on compte plus de 15 familles dans une même cellule, celle-ci se divise en deux et chaque nouvelle cellule doit poursuivre sa croissance en accueillant de nouveaux membres. Un ensemble de 10 cellules forme un Tae-kyogu qui est placé sous l’autorité de l’un des 400 pasteurs formés par la YFGC. Celui-ci se rend chez les fidèles pour animer des séances de prières 3 fois par semaine. L’organisation de la Yoïdo a montré une telle efficacité qu’elle est aujourd’hui reproduite par d’autres églises évangéliques à travers le monde et notamment en Amérique Latine. La croissance de l’église, pendant un temps affichée à l’entrée du bâtiment, repose également sur le nombre impressionnant de missions. Par classe d’âge, par profession (hommes d’affaires, esthéticiennes, travailleurs sociaux, pêcheurs, fermiers) par secteurs (prison, armée, transport), la Yoïdo Full Gospel Church étend son influence dans tous les réseaux de la société coréenne et même au-delà. Car la YFGC s’est internationalisée, éveillant de nouvelles vocations grâce à quelque 700 missionnaires envoyés sur les 5 continents, dans 65 pays. « Nous n’avons pas de développement stratégique à l’international », insiste, affable, le Pasteur « Joshua », responsable des missions à l’étranger.

Selon ce souriant quadragénaire, l’expansion à l’étranger de l’église tiendrait de la volonté de fidèles locaux qui souhaitent voir la Yoïdo Full Gospel Church s’implanter chez eux. Aujourd’hui, il est vrai, le temps est à la prudence. Si la Corée du Sud a été un temps le pays qui envoyait le plus de missionnaires chrétiens dans le monde, ces derniers ne sont plus les bienvenus partout. Certains missionnaires de la YFGC en Chine ont ainsi été chassés. Mais l’organisation évangélique n’a pas renoncé à son expansion internationale notamment sous couvert de son ONG « Good People ». C’est ainsi que le Pasteur Kim* a été envoyé en mission à Delhi. En Inde où toute conversion par un étranger est interdite, ce jeune pasteur est venu pour animer une école qui accueille 275 enfants d’un bidonville. « Là-bas, les gens ne savent pas que je suis missionnaire, ils me perçoivent plus comme un homme d’affaire », explique-t-il. Au contact de ces jeunes et de leurs parents, après 2 à 3 ans d’amitié, le Pasteur se permet une approche : « Si nos relations sont bonnes, nous partageons avec eux des passages de la bible », poursuit-t-il. Ainsi, cette année, dans sa mission, une centaine de personnes seront baptisées, deux fois plus que l’année précédente.

Au total, la Yoïdo Full Gospel Church compte 120000 fidèles en –dehors des frontières coréennes. Cette ambition et cette envergure internationale a été pensée par le pasteur Cho dès 1964 en direction des émigrés coréens aux États-Unis. Ces visions stratégiques seraient-elles dignes d’un chef d’entreprise ? En tout cas, l’idée ne déplaît pas à la Yoïdo Full Gospel Church qui vend dans sa librairie un ouvrage dressant le portrait du Pasteur comme un « CEO, chief Executive Officer », PdG en anglais. « Dans les années 70 et 80, les églises comptaient une centaine de fidèles et le pasteur connaissait les membres de l’église. Dans les méga-églises d’aujourd’hui, comprenant plus de 10000 fidèles, le Pasteur principal joue d’avantage un rôle similaire à celui d’un PdG en tant que centre de tout le personnel de son église », considère MyoungKyu Park, sociologue à l’Université nationale de Séoul.

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La disgrâce du Pasteur Cho

Mais à 72 ans et au sommet de sa gloire, le Pasteur Cho doit passer le flambeau. En 2008, le Pasteur Younghoon Lee reçoit des mains de Cho la ‪« torche de l’Esprit-Saint » devenant le Pasteur principal de la YFGC et reléguant Cho au titre de Pasteur émérite. Depuis, le charismatique pasteur est tombé en disgrâce. En novembre 2013, le comité des doyens de l’église se réunit en « réunion de prière pour la correction de l’Eglise » et dénonce les détournements de fonds du pasteur : jusqu’à 12 millions de dollars. De l’argent provenant des dons des fidèles, utilisés par Cho pour racheter des actions de l’entreprise de son fils, 4 fois supérieur au prix du marché. Un fils prodigue qui a déjà fait parler de lui dans la presse à scandale. Le système du pasteur fait alors les gros titres de la presse coréenne. Finalement, reconnu responsable mais manipulé par son fils, le Pasteur émérite écopera de 3 ans de prison avec sursis « pour son aide envers l’Etat Coréen » et d’une amende de 5 millions de dollars tandis que son fils sera effectivement incarcéré.

Un scandale qui pourra ébranler la Méga-church ? « Depuis une dizaine d’années, la respectabilité des méga-églises en Corée a décliné au fur et à mesure qu’elles grandissaient », analyse le sociologue Myoung Kyu Park. Le scandale de la Yoïdo a égratigné une fois de plus l’image de l’église mais n’émouvrait pas les fidèles, déjà blasés par les scandales politiques à l’échelle de l’État coréen. « Ces méga-église doivent inventer une nouvelle façon de se gouverner, prévient le chercheur. Si elles continuent ainsi, ces dysfonctionnements pourront à terme impacter leur taille et leur influence sur la société coréenne. » A la sortie du culte, les avis sur les agissements du Pasteur sont cléments. Certains croient que Yonggi Cho a changé. D’autres viennent à contre-coeur, trainés par leur mère, leur femme ou viennent encore simplement par habitude. Mais difficile encore de rejeter le Pasteur qui assiste toujours, depuis le premier rang de la chapelle centrale, au culte, chaque dimanche. Michèle 27 ans, n’a pas de rancœur. « Yonggi Cho en a tellement fait pour cette église pendant ces 50 dernières années, je ne peux pas le juger sur ce seul incident. Je sais qu’il est coupable mais c’est un humain, comme nous tous. »

*Le nom a été changé.