Levallois Sporting Club : le très cher jouet de Balkany

6 avril 2016  |  dans Enquêtes

© UMP (Creative commons)

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Salaires de sportifs mirobolants, notes de frais astronomiques, voyages VIP, mais aussi détournements de fonds et conflits d’intérêts, le train de vie du petit monde sportif de Levallois-Perret ferait pâlir d’envie le plus huppé des clubs de polo anglais. C’est ce que révèle la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France dans son rapport sur le « Levallois Sporting Club », le bébé bling-bling de Patrick Balkany. « Marianne » s’est procuré le document, avant qu’il ne soit débattu en conseil municipal lundi prochain. Morceaux choisis.

La lecture du rapport de la chambre régionale des comptes (CRC) sur la gestion du Levallois Sporting Club (LSC), l’association sportive de Levallois Perret, est une mine. Le Parisien et France Bleu ont déjà révélé le très généreux contrat qui lie le judoka et champion olympique, Teddy Riner, avec le club : un salaire net mensuel de 24 000 € en 2013, la mise à disposition d’un logement, d’une voiture et des primes de résultats en cas de victoires sportives… Le recrutement du sportif « était censé accroître le rayonnement national et international » du club écrivent les magistrats-enquêteurs dans ce rapport que Marianne s’est procuré dans son intégralité (voir le document en accès libre en fin d’article). En réalité, cette embauche a surtout pesé « lourdement sur la masse salariale » de l’association, soulignent-ils. Mais c’est loin d’être la seule décision des responsables du LSC à faire tiquer les rapporteurs. Tout au long des soixante pages que compte ce document, ils vont de surprise en surprise.

Le Levallois Sporting Club, association fondée en 1983 par le député-maire de Levallois-Perret, l’inénarrable Patrick Balkany, avec ses 33 sections et ses 17 000 adhérents, compte parmi les plus importants clubs omnisports français. Mais c’est surtout une usine à gaz – largement déficitaire – où l’argent des contribuables levalloisiens est mis au service du maire, de ses amis et de leurs protégés. De 2008 à 2013, la moyenne de la subvention municipale versée au LSC s’élève en effet à près de 5,5 millions d’euros (soit un peu plus de 50 % du budget total). Jean-Pierre Aubry, ancien directeur général de la Semarelp a été président de l’association de 2008 à 2012. Mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale et corruption en octobre 2014, il a passé le flambeau à Bertrand Percie de Sert en 2012. Ce dernier, proche parmi les proches de Patrick Balkany, n’est autre que son adjoint à la sécurité et à la police municipale.

Revue de détails de ce que contient ce rapport de la chambre régionale des comptes :

1) Le « Fight Club » de Balkany

Ouch ! Ancien boxeur, Patrick Balkany, a été confronté à la précarité du métier. Aujourd’hui aux commandes, il peut désormais faire plaisir à ses poulains. C’est ainsi que l’organisation de combats de boxe professionnelle et d’arts martiaux de « nature commerciale » fait désormais partie des rendez-vous sportifs de Levallois. Comme à son habitude, le LSC a fait les choses en grands. Et comme il ne disposait pas de moyens suffisants pour ces matchs, il a fait intervenir la Ville de Levallois mais aussi des promoteurs privés chargés d’organiser des combats. Parmi lesquels, une star du métier, Don King (à droite sur la photo ci-contre prise en 2007 à Levallois), qui organisa en 1974 le fameux match opposant Mohammed Ali au champion du monde en titre George Foreman.

Chacun de ces événements entraine « des frais très importants », relèvent les magistrats. « La part essentiel des dépenses occasionnées par ces manifestations est constituée par la rémunération des sportifs eux-mêmes, les montants varient en fonction de leur niveau de notoriété et de l’enjeu du combat ». Les poulains de la « balkanie » doivent donc mériter leur salaires… Au point de se faire verser en liquide des « bourses ». Comme par exemple à « l’occasion du gala de boxe du 22 janvier 2011, pour lequel un retrait en espèce de 56 000 € a été effectué. Une partie de cette somme a été immédiatement convertie en dollars américains, pour la rémunération de boxeurs étrangers ». Il ne faudrait quand même pas qu’ils aient à payer les frais de change…

Les « bourses » mises à part, pour la manifestation du 3 juillet 2009, le montant des rémunérations des boxeurs « atteint les 134 000 €, dont 103 000 € pour les 4 boxeurs principaux ». Les sportifs ne sont pas les seuls à toucher le jackpot, un promoteur privé a même gagné 84 000 € pour sa prestation… Et ce n’est pas fini… Encore 8 000 € pour le promoteur d’un des boxeurs ! Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le passage des sportifs internationaux a fait tourner l’économie locale… Les « frais de déplacements », « frais d’hôtel », de « réceptions fêtes se sont élevés respectivement à 24 000, 18 000 et 61 000 euros ». L’hospitalité levalloisienne… Mais non content de recevoir, le LSC fait aussi voyager ses boxeurs à l’étranger. Pour la saison 2010-2011, il a ainsi envoyé un de ses sportifs au Sénégal, pour la modique somme de 17 000 €.

2) Un boxeur aux gants d’argent

A la page 49, le document fait état d’un certain « M. X », « boxeur » qui a bénéficié d’une « situation particulière » en tant que « salarié du club » puis une fois son contrat achevé. Par recoupement de plusieurs sources, Marianne a pu identifier ce boxeur anonyme qui répond en fait au nom de Souleymane M’Baye, 40 ans, boxeur professionnel et agent sportif (en photo ci contre lors d’un combat en 2010 à Levallois). Si l’on en croit le rapport, des montants « importantes » ont été versés à M. M’Baye alors qu’il ne travaillait plus au club sportif, entre mi-2009 et mi-2013.
Le document égrène des sommes rondelettes : deux « bourses » pour des « combats à Levallois », l’une de 40 000 €, l’autre de 45 000 €, une « prime de 35 000 € » pour sa participation à un « gala », ainsi que « 115 000 € d’honoraires pour sa préparation aux championnats du monde WBA », tenus à Marrakech en juillet 2011. Outre son salaire mensuel brut de 3 125 €, depuis mi-2013, « il a bénéficié du remboursement de nombreux frais », « non spécifiés », dont le montant mensuel moyen, inhabituel selon le rapport, est « de l’ordre de 1 000 € ».

3) Le voyage VIP au JO de Londres

Décidément Levallois ne compte pas quand il s’agit de ses salariés du LSC… C’est ainsi qu’en 2012, le club a payé un séjour à Londres à une vingtaine de ses employés. « Un séjour d’une semaine incluant le transport en Eurostar, leur hébergement à l’hôtel, leur accès au Club France, un accompagnateur dédié pendant toute la durée et un accès aux nombreuses épreuves des JO », recensent les auteurs du rapport, pour la modique somme de 5 000 € par personne. Pour le club, la note totale est salée : 115 560 € pour ce voyage VIP. Les heureux élus ? « Dans la liste des membres participants au voyage, figure notamment l’adjoint au maire chargé des sports ». D’ailleurs, relève les enquêteurs, « il n’y a pas, a priori, de raison que son voyage soit pris en charge de cette façon, puisqu’il ne semble pas être adhérent du LSC ». Selon nos sources, il s’agirait de Philippe Launay. Ce dernier, d’après Le Parisien, aurait été remercié remercié en 2012, suite à la grave crise financière que traversait le club (2 millions d’euros de déficit)…

4) Levallois, ceinture très noire de judo

Levallois, organisateur des championnats du monde de judo, Balkany en avait rêvé, le LSC l’a fait… Mais à quel prix ? Le coût de cette opération, selon les enquêteurs a avoisiné le million d’euros. Ce n’est pas le budget d’un Mondial de football mais pour le LSC, déjà dans le rouge, la somme allait durablement plomber le budget. Il faut dire que personne n’a regardé à la dépense : 21 000 € pour un service de sécurité privée ; une réception et un cocktail pour 60 000 € ; la location d’une péniche-restaurant pour 15 000 € ; une agence spécialisée dans l’événementiel pour 40 000 €, etc. Et dire que le LSC aurait pu être aidé… Malheureusement « la demande de subvention au département des Hauts-de-Seine n’a pas pu être adressée dans les temps impartis ».

5) La main au panier

Non content de verser des salaires mirobolants à ses stars, le LSC versent aussi des « honoraires ». A partir de 2011, un consultant externe, ancien cadre de Ligue nationale de basket-ball a commencé à toucher des honoraires, sans « que soit précisé les contours exacts » de sa mission, « sans éléments de suivi, ni de résultat ». Ce consultant a pourtant été grassement payé : pendant un an et demi, il a touché 4 186 € par mois. Soit, selon nos calculs, un total d’environ 75 000 €. Très gourmand, le consultant externe n’a pas hésité à envoyer ses notes de frais au comptable du LSC. Des notes comprises entre « 500 et 1 000 € » chaque mois. Les rapporteurs notent par ailleurs que ce dernier n’a signé son contrat que le 2 janvier 2012, soit quatre mois après avoir commencé à être rémunéré… L’ancien cadre a finalement réussi à faire respecter ses droits puisque, à la fin de l’été 2013, il a été embauché comme directeur administratif et financier du PLB, le club de basket professionnel de Paris-Levallois. Selon nos sources, il s’agirait de Thierry Foucaud, président pendant vingt ans de Ligue nationale de basket et ex-manager général de l’équipe de Pro B de Nantes.

6) Un mental en or

Toujours aux petits soins avec ses sportifs de haut niveau, le LSC s’est doté d’une préparatrice mentale. Selon nos sources, une certaine Magali Baton. Etant donné la situation économique du club on peut, là aussi, s’interroger sur la nécessité de payer à partir de 2001 jusqu’à la saison 2010-2011, une préparatrice mentale à demeure… Surtout qu’une fois libérée, la coach est devenue prestataire extérieure pour en moyenne 1 000 € par mois, sur environ trois ans. Un passage du statut de salarié à celui de prestataire que les magistrats-enquêteurs regardent avec circonspection. Ce cas est le seul « exemple identifié, expliquent les auteurs du rapport, mais il est possible que le même cas de figure se soit reproduit pour d’autres personnes ». « De telles pratiques demeurent toutefois difficiles à quantifier à l’échelle du club dans son ensemble, le compte “honoraires divers”, recouvrant une grande diversité de prestations », ajoutent-ils.

7) Le prestataire-par-ailleurs-salarié

Mais qui est donc le mystérieux bénéficiaire d’une enveloppe de 30 000 €, censée mettre fin à un litige entre le Sporting Club et l’un de ses prestataires ? Le rapport pointe les « caractéristiques surprenantes » d’un protocole d’accord transactionnel. Le prestataire en question remettait en cause le choix de la LSC de ne pas renouveler la convention qui les liait et qui avait pour objet « l’organisation de stages sportifs à destination des adhérents du club. » Rien d’illégal… Sauf qu’en se penchant sur la profil de celui qui se chargeait de l’organisation de ces stages, les auteurs du rapport ont fait une drôle de découverte : il s’agit de « M. Z, parallèlement salarié du LSC depuis 1990, d’abord au sein de la section tennis (…) puis désormais à la section golf. » Selon nos informations, derrière ce monsieur Z se cacherait un certain Pascal Chamorel, directeur de la SLS France, une société cliente de la ville. Les rédacteurs relèvent donc « le caractère très particulier d’une telle collaboration commerciale » entre le club et « l’un de ses propres salariés ». Une preuve de plus qui démontre qu’en matière de gestion municipale, ce n’est pas parce que l’on n’est de droite que l’on ne sait pas forcément bien traiter ses salariés…

8) Le club chouchou de la Ville

« De nombreux moyens matériels et humains sont mis a disposition du LSC sans aucune contrepartie financière à l’égard de la ville », observent les magistrats de la chambre régionale des comptes. Pêle-mêle : les deux Palais des sports, des gymnases, le centre aquatique… La Ville de Levallois prend aussi à sa charge les frais de timbre et l’envoie du courrier, la communication, le nettoyage des locaux. La commune, encore, qui fournit les ordinateurs et l’accès Internet à l’association. « Aucun de ces nombreux avantages ne fait l’objet d’un quelconque chiffrage ou de précisions quant au suivi de leur utilisation par l’association », concluent les enquêteurs qui soulignent néanmoins qu’en matière juridique « la situation du LSC paraît conforme ». Ouf !

9) La mal-nommée société « Levallois Gestion »

La société civile « Levallois gestion » a été créée en 2002 par un ensemble d’associations de Levallois-Perret. Sa mission : gérer « la comptabilité, l‘établissements des comptes annuels, des budgets, des paies et des charges sociales », en fonction des besoins des différentes assos. Autrement dit, une partie de leur gestion interne a été déléguée à cette discrète société dont le Levallois Sporting Club détient 40 % du capital. Les magistrats de la CRC, qui s’interrogent sur la pertinence de faire appel à cette filiale, relèvent que le club omnisport de Levallois « verse chaque année à Levallois gestion, “sous la forme d’honoraire”, des sommes substantielles ». Moyenne annuelle : 185 000 €. De 2008 à 2013, cela représente en tout 1,1 million d’euros. Mais les magistrats sont tombés sur un os : « Ces flux financiers ne distinguent pas la part consacrée à des prestations, effectivement fournies par Levallois Gestion, des dépenses destinées à couvrir les pertes déclarées de cette société »… Cette société est par ailleurs administrée par Marie Auzanneau, proche parente d’Anne-Catherine Auzanneau qui n’est autre que la conseillère municipale chargée de la vie scolaire ainsi que de l’insertion professionnelle et l’emploi de Levallois. Ça ne s’invente pas !

10) Open-bar à tous les étages

Selon la chambre régionale des comptes, deux litiges auraient opposé le LSC à deux de ses responsables. L’ancien président de la section karaté est soupçonné « d’avoir émis 26 chèques à son profit » pour une somme de 14 000 €. Le directeur sportif de la section tennis n’est pas en reste : il aurait fait passer pour « 60 450 € » de notes de frais « en indiquant des déplacements qui ne correspondaient pas à la réalité ». Et les magistrats d’interroger : « De tels litiges soulèvent la question de l’efficacité des contrôles conduits par les trésoriers de sections, responsables des fonds de l’association ? » On ne saurait mieux dire…

Leila Minano et Mathias Destal