MigrantEs

7 avril 2016  |  dans Femmes

Une réfugiée à Izmir ©Chris Huby/Haytham Pictures

Une réfugiée à Izmir ©Chris Huby/Haytham Pictures

A Izmir, sur la côte ouest turque, des centaines de réfugiés attendent chaque jour les bateaux qui les conduiront en Grèce. Parmi eux, de nombreuses femmes. Veuves de guerre, jeunes filles ou mères de familles, sur les routes, nombre d’entre-elles se sentent plus « vulnérables » que les hommes. Reportage.



« J’ai toujours un couteau sur moi ».
Manal, 32 ans, réfugiée syrienne, fouille dans son sac en quête de la petite lame qu’elle conserve « pour effrayer les voleurs ». Son fils de deux ans dans les bras, elle finit par abandonner la recherche: « Le plus important, jure t-elle, c’est de l’avoir à portée de main pendant la nuit… Quand tu es une femme seule, tu dois savoir te défendre. Il doit être dans mes affaires, là derrière », indique t-elle en pointant un tas de sacs et de vêtements posés à même le sol. Nous sommes dans la cour de la mosquée de Basmane, le quartier des passeurs à Izmir, une station balnéaire, sur la côte ouest turque. De cette station balnéaire, chaque jour, des centaines de réfugiés embarquent pour les îles grecques, direction l’Europe. Dans ce lieu de culte transformé en campement de réfugiés, des dizaines de familles originaires de Syrie, d’Irak, de Jordanie, d’Algérie squattent, au beau milieu des gilets de sauvetage et des plateaux repas offerts par les ONG. Téléphones portables à la main, ces migrants attendent, parfois pendant plusieurs jours, les instructions de leur passeur, qui leur indiquera l’heure et le lieu de départ du bateau pour les îles grecques.

Manale et Imane, sa mère de 51 ans, espèrent obtenir « un tarif de groupe », car elles voyagent avec huit enfants. « Nous n’avons pas le choix, nous n’avons pas assez d’argent pour tout le monde et nous ne pouvons retourner en arrière », angoisse Imane. Originaire de Raqqa — ville aux mains de l’Etat Islamique — cette mère de six enfants a pris la route après que son mari et son beau-fils ont été « emprisonnés puis assassinés par les barbares ». C’était il y a un mois. « Je n’ai même pas eu le temps de pleurer, je craignais pour le reste de la famille, se désole Imane. Nous sommes partis en 24 heures. Nous avons appelé un premier passeur, qui nous a demandé 200 dollars par personne pour traverser la frontière. Et maintenant, on nous réclame 1200 dollars pour prendre le bateau jusqu’en Grèce ! » Et sa fille de s’énerver: « Quand tu es une femme, on essaye de te voler tout le temps. D’habitude les passeurs négocient avec les hommes, nous, ils ne nous prennent pas au sérieux, ils essayent d’en profiter ».

« Nous nous battons pour offrir un avenir à nos enfants »

En plus des négociations financières, les deux syriennes sont également chargées de la gestion de la vie quotidienne: « Nous devons nous occuper des enfants, les soigner, faire les repas, laver les vêtements. Nous endossons le rôle de l’homme et de la femme… N’importe qui aurait laissé tomber à notre place! Mais nous gardons la force, car nous nous battons pour offrir un avenir à nos enfants ». Comme de nombreuses syriennes, par la force des choses, Manale et Imane, sont devenues chefs de familles. Selon un rapport du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) datant de juillet 2014*, un quart des foyers des réfugiés syriens serait aujourd’hui dirigé par des femmes seules. Des veuves de guerre confrontées à « une lutte solitaire pour leur survie » (La plus grande difficulté signalée par ces femmes est l’absence de ressources, ndlr).

Toujours d’après l’organisation qui a interrogé 135 syriennes, 60% d’entre-elles expriment également « un sentiment d’insécurité ». C’est le cas de d’Imen, 19 ans, réfugiée syrienne originaire d’Alep, dans l’Ouest de la Syrie. Assise dans un coin reculé de la cour de la mosquée, l’étudiante en littérature arabe sait rester discrète. « Il faut éviter de se faire remarquer, surtout quand tu es jeune et seule dans la rue, explique Imen. Une fois qu’ils découvrent que tu es syrienne, ils pensent que tu es désespérée et se croient tout permis ». Imen qui voyage avec une famille de 15 personnes, n’a jamais été « agressée », mais confie que « les passeurs, les chauffeurs n’hésitent pas à faire des propositions immorales aux femmes seules, surtout quand elles sont jeunes ». La jeune fille soupire, ses yeux s’emplissent de larmes : « C’est horrible… Mais c’est trop tard, pour nous, il n’y a pas de retour possible. Le choix nous l’avons déjà fait quand nous avons décidé de ne pas mourir sous les bombes ».

*http://womanalone.unhcr.org