Sud-Ouest : Une ligne de train sous haute tension

14 février 2017  |  dans Enquêtes

Alexandra Quenu © Eugénie Baccot/Divergence

Alexandra Quenu © Eugénie Baccot/Divergence

Le projet de ligne de train à grande vitesse du Sud-Ouest, en attente depuis 25 ans, doit désenclaver cette partie de la France. Mais alors qu’il doit bientôt être acté, dans les landes du Sud de la Gironde, son impact écologique et son utilité sont questionnés rallient riverains, écologistes, viticulteurs et chasseurs contre le projet.

Bernos-Beaulac, village des landes de Gascogne au sud de la Gironde, se réveille tout juste. Ce dimanche matin, les dernières brumes du Ciron, une petite rivière qui traverse le village, se sont dissipées, et à la maison de la chasse, les habitués prennent un dernier café avant de partir au renard. Même si l’ambiance est détendue, certains affichent une mine résignée. Ceux-là s’inquiètent pour leur forêt. Car à proximité du village, une Ligne à Grande Vitesse (LGV) sur laquelle circuleront des TGV d’ici 2024 (voire encadré), devrait couper les bois qui encerclent le village, détruisant des palombières situées sur son tracé. « Une vraie saignée », martèle, dépité, Jean de Cerval, chasseur et sylviculteur, propriétaire à Bernos-Beaulac d’une forêt de 400 hectares dont 10% seront déboisés pour le tracé de la ligne. Celle-ci reliant Bordeaux à Toulouse et Bordeaux à Dax, dans les Landes, se divisera en deux branches formant ainsi un « triangle ferroviaire », près du petit village. « Il n’y aura plus de migration de gibiers ! », lance Jean-Philippe Bordessoulles, président de la société de chasse locale.

Une zone Natura 2000 en danger ?

Les habitants du village gascon attendent avec fatalisme la publication de la Déclaration d’Utilité Publique (DUP) de la LGV par la préfecture, qui actera définitivement le tracé de la ligne. Après la publication de la celle du tronçon au sud de Bordeaux, et de celui à l’entrée de Toulouse, reste cette partie de la LGV où les voix des contestataires sont nombreuses, à la surprise des chasseurs. « Nous nous sommes retrouvés aux côtés d’associations écologistes », constate, comme étonné, Jean de Cerval. Car l’autre grief reproché à ce projet est qu’il traversera le Ciron en trois points, et une trentaine d’affluents de la rivière. Celle-ci, ses rivages classés Natura 2000 et ses zones humides qui abritent la cistude d’Europe, espèce de tortue protégée, seront menacées, selon les associations de défense de l’environnement. Les études agro-climatiques commandées par la SNCF Réseau (ex-RFF) n’ont pas non plus rassuré Alexandra Quénu, animatrice de la zone Natura 2000 auprès du Syndicat intercommunal du bassin versant du Ciron. Elle estime qu’elles sont « une analyse comptable de chaque élément pris isolément sans le relier à un tout ». « [La] force [du Ciron, NDLR] jusqu’ici, poursuit–elle, est dans son fonctionnement global ». Car le petit cours d’eau, abrité du soleil en été par les arbres, s’écoule à une température presque constante, garantissant le microclimat doux et brumeux de la zone. Les viaducs et les remblais de la ligne ferroviaire perturberont-ils l’écoulement des nappes phréatiques et tout cet écosystème ?

Une hêtraie ancestrale

La crainte persiste aussi chez les défenseurs d’une hêtraie de 20 hectares située à moins de 5km du futur tracé. Âgée d’au moins 40000 ans, sujet de travaux scientifiques de l’INRA pour sa variété génétique inégalée, cette forêt qui serait l’une des plus vieilles d’Europe, pourrait-elle être perturbée par un éventuel microclimatique ? « C’est notre grotte Chauvet qui est menacée ! », s’emporte Xavier Planty, qui a pris fait et cause pour cette hêtraie. Ce viticulteur, président de l’Organisme de défense et de gestion de Sauternes, s’inquiète que ces brouillards qui auraient permis à la hêtraie de traverser les âges, soient menacés. « Ils participent au développement de la pourriture noble sur nos raisins ! », s’écrit-il. Le producteur de ce fameux vin liquoreux suit l’affaire de la LGV de près, depuis ses vignes du Sauternais, à une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau du tracé. « Comme beaucoup, je pensais que je n’étais pas concerné puisque la LGV ne traversera pas mes vignes», avoue le viticulteur. Mais un jour de septembre 2014, des scientifiques de l’INRA lui présentent le tracé de la LGV sur une carte. « Quand j’ai vu que la ligne couperait le bassin versant sur son long, je me suis rendu compte qu’elle ne pouvait pas ne pas avoir d’effet sur la formation des brumes », tempête Xavier Planty. L’ODG Sauternes se mobilise alors et réclame, lors de l’enquête publique, une nouvelle étude agro-climatique.

Jean De Cerval ©Eugénie Baccot/Divergence

Jean De Cerval ©Eugénie Baccot/Divergence


 

Les viticulteurs montent au créneau

Les doléances des participants à l’enquête sont nombreuses : celle-ci rassemblera à sa clôture, au bout de trois mois, 14000 contributions, à 96% négatives. L’avis rendu en mars 2015 par les commissaires est défavorable, arguant notamment que le projet « n’aboutit pas à une supériorité incontestable […], si on intègre les gains de temps, de coûts et les services rendus » et que ce gain de temps « n’intéresse qu’une population qui privilégie la vitesse plutôt que le prix du billet ». « C’est un projet inutile », assène Denise Cassou, présidente de l’association Landes environnement attitude, qui plaide pour une modernisation des lignes déjà existantes et la mise en place de deux shunts. Ceci permettrait, selon une étude réalisée par le cabinet d’étude Robert Claraco, de rallier Bordeaux à Toulouse en 1h18 contre 1h05 avec la LGV, pour un coût trois fois inférieur à celui de la LGV. « Cette ligne [LGV] se ferait au détriment d’un réseau déjà existant qui a besoin d’un entretien pour lequel les moyens manquent », ajoute Denise Cassou. Le GPSO, un projet coûteux pour « un service non garanti », selon les commissaires de l’enquête publique ? Quoi qu’il en soit – et malgré un rapport de la Cour des comptes qui qualifiait en 2014 la grande vitesse ferroviaire comme un « modèle à bout de souffle, au coût non soutenable » -, en septembre 2015 Alain Vidalies, secrétaire d’Etat chargé des transports, annonce que le gouvernement soutiendra le projet. Une nouvelle qui ravit les grands élus locaux, dont Alain Juppé, maire Les Républicains de Bordeaux, et Alain Rousset, président socialiste de la région.

Le TGV : un moyen de transport rapide et moins polluant

Pour ce dernier, seule la LGV pourra assurer la mobilité des Aquitains, demain. « Surpris qu’on mette en cause l’utilité de la LGV, comme si le [train du] XXIème siècle devait fonctionner sur les mêmes lignes qu’au XIXème siècle », le président de région, courroucé par la polémique, rappelle le bilan carbone positif du train. Et d’ajouter : « La LGV évite les zones urbaines, poursuit-il, si nous devions construire des shunts [sur la ligne existante, NDLR] en pleine zone urbaine, ce n’est pas 30 maisons que nous aurions à exproprier mais des centaines ! » Au sein du conseil régional de la grande région aquitaine, le débat promet encore d’être animé. Henri Sabarot, président de la fédération de chasse de Gironde, conseiller régional au côté d’Alain Rousset, affirme qu’il s’opposera au projet de LGV. Se défendant de « faire tout rapprochement avec l’aéroport de Notre Dame des Landes », il commente, philosophe : « Vous savez, il se produit des événements politiques, économiques et sociétaux qui feront dire que ce n’était peut-être pas ce qu’il fallait faire. » Après la publication de la Déclaration d’utilité publique imminente pour cette nouvelle ligne ferroviaire, restera une dernière question à régler, et pas des moindres : le bouclage financier du projet.

Les enjeux de la LGV dans le sud ouest en bref

2 lignes nouvelles : Bordeaux-Toulouse, Bordeaux-Dax.
Gares desservies : Bordeaux, Mont-de-Marsan, Dax et Agen, Montauban, Toulouse.
327 km de lignes nouvelles dont 55km de tronçon commun entre Bordeaux et le triangle ferroviaire de Bernos-Beaulac.
9,1 milliards d’euros de budget
Dates de livraison. Bordeaux-Toulouse en 2024, Bordeaux-Dax en 2027. La ligne Bordeaux-Dax devrait rallier l’Espagne en 2032.
Durées des trajets annoncées : Paris-Toulouse : 3h10, grâce à un gain d’une heure avec la nouvelle ligne, Bordeaux Bayonne : 3h15, grâce à un gain de 20 minutes.