A Stockholm, Les Bus au Biogaz Accelèrent

16 octobre 2019  |  dans Economie

Chargement en biogaz d'un bus, au depot de bus Keolis de Frihamnen a Stockholm © Juliette Robert/Haytham

Chargement en biogaz d’un bus, au depot de bus Keolis de Frihamnen a Stockholm © Juliette Robert/Haytham

Depuis des années, la capitale suédoise fait figure de modèle écologique. Notamment grâce à ses bus fonctionnant au biogaz, qui la placent au rang de pionnière en la matière. Retour sur le succès des transports en commun qui carburent aux eaux usées.

De l’extérieur, on ne distingue presque rien. Il faut vraiment lever les yeux sur cette petite colline à la limite de Stockholm pour voir émerger, à la lisière de la terre et du ciel, une imposante cheminée. En aval, les Suédois vaquent à leurs occupations, attendent leur bus, ignorant peut-être qu’à quelques mètres d’eux se trouve l’une des plus grandes stations d’épuration souterraines au monde. À la centrale d’Henriksdal, leurs eaux usées sont pourtant traitées et transformées en biogaz… qui fera rouler les bus qu’ils s’apprêtent à emprunter. Cette structure impressionnante a été creusée au cœur même de la montagne, et les galeries labyrinthiques qui la composent s’étendent sur plus de 20 kilomètres. Henriksdal a ouvert en 1941, aujourd’hui, l’usine traite les eaux usées d’environ 800 000 citadins – Stockholm compte plus de 1,5 million d’habitants (2016). Si l’objectif premier visait à chauffer les habitations, ce n’est que dans les années 1990 que l’on se tourne progressivement vers les transports. « Il est plus optimal d’utiliser les eaux usées comme fuel pour les transports d’un point de vue environnemental que de les utiliser pour la production de chaleur et d’électricité », estime Andreas Carlsson, ingénieur en biogaz à la Stockholm Vatten och Avfall, la compagnie publique des eaux de la capitale. Lors d’un petit tour dans le dédale des bassins de décantation et des réservoirs, qui permettent de traiter annuellement 850 000 mètres cubes d’eaux sales, Andreas Carlsson explique le fonctionnement – somme toute classique – de la station d’Henriksdal.
« Après la première étape du filtrage des eaux usées, le sable est retiré via un dessableur. Ensuite, les particules et le phosphore sont sédimentés et collectés en une boue qui va transiter dans un digesteur. Elle va y rester 17 jours, afin que les micro-organismes puissent la dégrader en biogaz. » Ce gaz raffiné atteindra un pourcentage élevé de méthane (97 %) et sera directement acheminé par pipeline jusqu’au dépôt.

Les premiers filtres, lors du processus de recyclage des eaux usées provenant des égouts de Stockholm, au de traitement d'Henriksdal. © Juliette Robert/Haytham

Les premiers filtres, lors du processus de recyclage des eaux usées provenant des égouts de Stockholm, au de traitement d’Henriksdal. © Juliette Robert/Haytham


 
Des toilettes aux bus urbains

À quelques kilomètres de là, au dépôt de bus de Frihamnen, on peut voir les véhicules de Stockholm faire le plein de biogaz. Les chefs d’atelier qui s’affairent sur la plateforme s’occupent des branchements entre tuyaux d’eau, d’air comprimé et de gaz. Johan Nordfjäll, en charge de la communication chez Keolis Suède – opérateur de 50 % des bus de la capitale –, précise à quel modèle appartiennent les 950 bus du parc stockholmois : « 36 % des bus fonctionnent au biogaz, 16 % à l’éthanol, 22 % à l’HVO (Hydrogenated Vegetable Oil pour huile végétale hydrotraitée) et 26 % à l’ester méthylique de colza (EMC – RME en anglais), c’est-à-dire au biocarburant diesel. » Les économies en CO2 atteignent les 80 000 tonnes par an, l’équivalent de 40 000 voitures retirées de la circulation. « En novembre 2015, nous avons été très fiers d’utiliser notre dernier bus qui fonctionnait à l’énergie fossile », se souvient Johan Nordfjäll. Pour les machines roulant au biogaz, la durée d’autonomie est de 20 à 22 heures (le plein s’effectuant en 15 minutes). La conversion écologique des transports au niveau de toute la Suède atteint les 80 %, mais ces changements se frottent néanmoins à quelques résistances liées au coût des infrastructures. L’éthanol et le biodiesel sont souvent importés, réduisant l’intérêt de se tourner vers ces énergies renouvelables du fait du transport nécessaire. Au contraire, le biogaz a l’avantage d’être produit sur place mais il « nécessite des infrastructures très onéreuses », reconnaît Johan Nordfjäll. Aucune solution n’est parfaite. « En effet, une petite partie de la production de gaz s’échappe directement dans l’atmosphère. Comme le méthane est un gaz à effet de serre, cela grève légèrement le bénéfice environnemental. Mais attention, utiliser le biogaz est bien mieux que d’avoir recours aux énergies fossiles. Dans peu de temps, une unité de destruction du méthane sera même installée, réduisant ainsi les fuites », rassure Andreas Carlsson. Au-delà de ces améliorations à apporter, Anne-Blandine Dassencourt, directrice adjointe environnement chez Keolis, souligne les différents avantages du biogaz. « Le biogaz, comme le gaz en général, émet moins de particules (-95 %) et d’azote (-60 %). De plus, le bilan de gaz à effet de serre est bien meilleur avec le biogaz – le carbone étant déjà en circulation (par exemple, dans les eaux usées et les déchets verts). Résultat : quand on prend en considération le bilan total, le bilan carbone est quasi neutre », tient-elle à préciser. Sans oublier la réduction de la pollution sonore : les bus fonctionnant au biogaz sont nettement plus silencieux.

Vue sur la banlieue sud de Stockholm depuis le sommet de l'usine d'Henriksdal. © Juliette Robert

Vue sur la banlieue sud de Stockholm depuis le sommet de l’usine d’Henriksdal. © Juliette Robert


 
Un pays pionnier

D’ici 2020, la Suède souhaite réduire ses émissions d’oxyde d’azote et de particules fines de moitié. L’État fait donc figure de pays pionnier dans l’utilisation des énergies durables, y compris pour le transport urbain. Démarche facilitée par une politique volontariste des autorités. Le message adressé aux citoyens est simple et constitue un joli paradoxe. « Si vous aimez la nature, venez vivre en ville ! Cela évite de dénaturer les alentours », déclare Anne-Blandine Dassencourt. Stefan Wallin, en charge du développement durable à la municipalité de Stockholm, indique que la ville est déjà engagée dans son 7e plan quinquennal en faveur des énergies vertes pour les transports en commun. « Ce qui est super, c’est que nous n’avons pas eu à faire face à des dissensions politiques. Conservateurs et progressistes, tout le monde était d’accord sur le fait qu’il fallait sortir des énergies fossiles. » Dans les années 1990, c’est l’éthanol qui avait les faveurs de cette politique. Puis, en 2004, le premier bus fonctionnant au biogaz a été lancé. « C’est le carburant de rêve, car les gens iront toujours aux toilettes, s’amuse Stefan Wallin. C’est une énergie produite localement, qui émet peu de particules si les bus sont bien entretenus », poursuit-il. La prochaine étape pourrait bien être celle de l’électrification des flottes de bus – pour fonctionner au tout-électrique ou de manière hybride – si l’expérimentation menée à Göteborg, la deuxième plus grande ville du pays, est concluante. Dans cette agglomération étudiante, la ligne 55 relie les deux pôles du campus, grâce à 3 bus entièrement électriques et 7 hybrides. « Ces bus ne polluent pas [l’électricité provient de l’éolien et de l’hydraulique, ndlr] et, en plus, ils sont super silencieux, commente Johan Nordfjäll. D’après les évaluations, ils seraient même trop silencieux ! » Et, du coup, un tant soit peu dangereux car on ne les entendrait pas venir. Ou quand « le mieux est l’ennemi du bien »…

L'entrée de l'usine de recyclage des eaux usées et de production de biogaz d'Henriksdal, à Stockholm © Juliette Robert

L’entrée de l’usine de recyclage des eaux usées et de production de biogaz d’Henriksdal, à Stockholm © Juliette Robert


 

Et la France dans tout ça ?

Dans l’Hexagone, les collectivités prennent le chemin des énergies renouvelables pour les transports en commun – contraintes ou par choix. « L’un des décrets relatifs à la loi de transition énergétique conduit les parcs d’autobus et de cars à opter pour des solutions alternatives au diesel en France (selon la taille des collectivités et zones polluées ou non) », déclare Anne-Blandine Dassencourt, directrice adjointe environnement chez Keolis. L’objectif ? Parvenir à un renouvellement de 50 % du parc à l’horizon 2020, 100 % à l’horizon 2025. Les freins ? Le coût d’investissement, de maintenance des infrastructures et l’obligation de passer par le réseau de gaz de la collectivité. « À Lille, la production de biogaz est continue, alors que les bus ne sont rechargés que la nuit – une situation qui entraîne de fait des besoins importants en matière de stockage. Il y aurait également une raison économique (prix de rachat de GRDF aux collectivités, coût de raccordement au réseau plus favorable si l’injection a lieu dans le réseau GRDF). À noter que la réglementation est globalement en train d’évoluer », selon Anne-Blandine Dassencourt. Les ambitions apparaissent aussi encore en décalage : le projet de cadre d’action national pour le développement de carburants alternatifs (CANCA) vise, à l’horizon 2020, beaucoup moins de stations de gaz (68) que de stations électriques (16 000) sur le territoire. Mais que la loi fixe d’ores et déjà un objectif de 10 % de biogaz dans la consommation nationale de gaz en 2030 pourrait bien faire bouger les lignes et encourager les initiatives des collectivités.