Cher Rédac Chef…

22 septembre 2010  |  dans Culture, International

Parade du FIJM - photo : Juliette Robert/YoupressCher Rédac Chef,
Comme prévu, j’ai passé un mois à Montréal, j’ai sillonné la ville en Bixi (les vélib’ locaux), goûté les différentes variétés de bières du coin et suis devenue accro aux bagels St Viateur. Ah oui, et je suis aussi allée promener mon appareil photo au Festival International de Jazz de Montréal et aux Nuits d’Afrique.

Il est 17h dans la salle de presse du Festival International de Jazz de Montréal (FIJM). Assise sur le confortable canapé, je tente d’y voir clair dans le programme du soir, une tâche rudement difficile pour un festival qui annonce fièrement « près de 800 concerts ». Alors comment je m’y retrouve moi là-dedans, parmi la trentaine de concerts du soir ? Autour, la salle bruisse de coups de fil et de discussions, au bar, c’est déjà l’heure de l’apéro pour les journalistes. « Tu devrais prendre une bière » me conseille-t-on. Soigner le mal par le mal ? Pourquoi pas, mais ça ne résoudra pas mon casse-tête quotidien. Vrai, on peut sûrement arriver à voir double en sortant du Club Soda aux petites heures de la nuit, de là à avoir le don d’ubiquité…

FIJM - photo : Juliette Robert/Youpress

FIJM - photo : Juliette Robert/Youpress

Dehors, la chaleur moite pèse sur la place des Festivals, les groupes du soir finissent leurs balances sur la scène principale, des gamins batifolent dans les jets d’eaux et des trapézistes font des cabrioles dans le soleil descendant, accompagnés par la voix d’Ella Fitzgerald.

Le FIJM, c’est un peu tout le centre de la ville qui résonne et vibre, en suspens, de midi à minuit pendant 12 jours, le long de la rue Ste Catherine, de la rue de Bleury jusqu’au boulevard St Laurent, avec six scènes extérieures et autant de salles. A côté, Paris Plage fait petit bras.

Amoureux de jazz pur ou mâtiné de hip hop, electro ou world, il y a de quoi être comblé. De Taj-Mahal à Dave Brubeck, d’Emir Kusturica à Cyndi Lauper en passant par The Roots, George Benson ou Keith Jarrett, la multitude de concerts et d’animations donne le tournis.

Trombone Shorty - photo : Juliette Robert/Youpress

Trombone Shorty - photo : Juliette Robert/Youpress

Alors je picore, une demi-heure d’Herbie Hancock, et puis une heure de Cassandra Wilson, une pincée de Ben E. King, une claque de Jazz Mafia, quelques bières à Beast, et une clôture New Orleans, avec Trombone Shorty et Allen Toussaint.

Bon, après minuit, le choix se fait moins cornélien, il faut bien sûr aller au Club Soda pour sautiller sur Whomadewho, !!!, ou Poirier. Malgré l’heure, on y croise souvent Laurent Saulnier, un des programmateurs : « venez, Coyote Bill doit encore jouer au Savoy ». On repart à deux minutes, au Métropolis, dont le Savoy est une annexe. Dans la pénombre, Coyote Bill fait une jam démentielle et de l’échangisme de trombone avec Jazz Mafia.

FIJM. Photo : Juliette Robert/Youpress

FIJM. Photo : Juliette Robert/Youpress

A pas d’heure, on rentre au Hyatt, troisième point de ce triangle des Bermudes montréalais dont on émerge le lendemain matin en se disant que l’eau est une bien belle invention.

De la terrasse de l’hôtel, je regarde la place des Festivals se remplir, c’est le dernier jour et la parade du Mardi Gras est encore bien plus à l’ouest, près de McGill. Le temps d’enfourcher un bixi et me voilà rendue au milieu des chars venus de la Nouvelle Orleans qui défilent rue Ste Catherine. Une première au FIJM et si on en juge par la foule compacte qui se presse et tend les bras pour saisir au vol les colliers multicolores jetés par les participants, c’est un joli succès.

Parade de Mardi Gras - Photo : Juliette Robert/Youpress

Parade de Mardi Gras - Photo : Juliette Robert/Youpress

Dès la nuit, les premières scènes du FIJM sont démontées, ça sent la fin, il est temps pour moi d’aller prendre mes quartiers plus au nord, sur l’avenue Mont-Royal, et d’aller goûter aux Nuits d’Afrique dans le Mile End, quartier qui reflète le rythme de vie relax et la créativité de Montréal.

Les après-midi, j’assiste à l’émission radio de Robert Brazza pour Africa N°1 où interviews, rencontres, sessions en direct se succèdent au Club Balattou. Jamais très loin, on peut croiser Lamine Touré, fondateur du festival qui fête sa 24e édition. Avec un accent guinéen qu’il n’a pas perdu malgré 35 ans de vie au Québec, il m’explique qu’au départ, le festival était destiné aux immigrés africains. « On était une cinquantaine, on se connaissait tous. » Peu à peu, le festival grossit : « C’est devenu un festival pour les enfants d’immigrés, pour qu’ils connaissent leur culture. » Il se marre : « Moi, j’habite ici mais je suis plus africain que des africains que j’ai rencontrés ! »

Sierra Leone's Refugees All Stars

Sierra Leone's Refugees All Stars

Au fil des éditions, le festival est devenu le reflet d’une ville multiculturelle, les concerts réunissant un étonnant mélange d’origines, âges et milieux. Effet de mode pour les cultures africaines ? Peut-être, mais les montréalais prouvent que le reggae des Sierra Leone’s Refugees All Stars n’est pas destiné qu’aux jeunes à dreadlocks en leur faisant un accueil monstrueux dans une salle bondée. Manu Atna Njock, musicien camerounais installé à Montréal depuis 20 ans nuance : « C’est sûr que les montréalais sont très ouverts, mais il faut leur apprendre les détails et la richesse des musiques africaines. »

Au Club Balattou - Photo : Juliette Robert/Youpress

Au Club Balattou - Photo : Juliette Robert/Youpress

Et le soir, après les concerts principaux, la fête continue au Balattou avec jams et invités. La petite scène déborde vite de koras, djembés, balafons et de musiciens radieux qui font danser le public. Au milieu, j’aperçois Estelle Lavoie du groupe Kabakuwo, québécoise tombée amoureuse de la kora et professeur de danse africaine. « Depuis 5-6 ans, il y a un véritable engouement pour la culture africaine, et de plus en plus de cours de musique et de danse ».


Festival Nuits d'Afrique - photo : Juliette Robert/Youpress

Festival Nuits d'Afrique - photo : Juliette Robert/Youpress

Changement de rythme pour les quatre derniers jours, et je reprends mon bixi pour descendre place Emilie Gamelin pour la partie la plus familiale du festival, puisque les montréalais semblent saisir chaque chance de sortir en été – vu leurs hivers à -30°, on les comprend. Je me balade entre les stands de nourriture, africaine comme il se doit, et dans marché traditionnel où les touristes paient comptant et les femmes en boubou marchandent comme à Cotonou, c’est le jeu. Sur l’unique scène, les concerts se succèdent dès 15h, il y a bien sûr des têtes d’affiche mais surtout bon nombre d’artistes que d’autres festivals découvriront dans les années à venir. Frédéric Kervadec, le programmateur breton de la partie internationale, m’assure qu’il n’y a pas de réelle concurrence avec les autres festivals. « Nous, on a un rôle de défricheurs, alors on trouve l’équilibre entre nouveaux venus et artistes connus. » En coulisses, je croise Agana, fils d’Alpha Blondy qui sort juste de scène et Jeff Kavanda qui se prépare. Pour ne rien gâcher, les accès aux côtés de la scène sont ouverts aux photographes. Je suis joie.

Oma Pène - photo : Juliette Robert/Youpress

Oma Pène - photo : Juliette Robert/Youpress

Cher rédac chef, la nuit tombe sur la ville, il fait doux sous les étoiles. Je t’avoue que je trouve ça sacrément cliché de dire que les musique africaines font voyager. N’empêche. Il y avait la chaleur de Dobet Gnahoré et les transes distordues de Konono n°1, la mbira (piano à pouces, très vieil instrument africain, ndlr) de Chiwoniso et la voix d’Omar Pène, un « Pata Pata » ébouriffant de Nomfusi et ses Lucky Charms, et les danses irrésistibles d’Oliver Mtukudzi, parmi tant d’autres. Montréal ne s’endormira pas complètement et moi, là, au milieu des buildings ternes qui s’estompent dans le noir, je ne sais plus très bien si je suis ici ou là-bas.