Sarah, dans son monde de garçons

14 février 2017  |  dans Femmes

Sarah Daniel Hamizi © Eugénie Baccot/Divergence

Sarah Daniel Hamizi © Eugénie Baccot/Divergence

C’est la reine du coupe-chou. Sarah Daniel-Hamizi est la seule barbière de la place de Paris. Ténacité, patience et passion … du poil ont fait d’elle la grande prêtresse du rasage, jusqu’à officier à la télévision. Récit d’un parcours atypique.

Sarah Daniel-Hamizi sait faire pleurer les garçons. Sur son fauteuil Belmont de barbier, elle en a vu défiler des adolescents, des hommes, célèbres ou anonymes. Nombreux sont ceux qui, s’abandonnant entre ses mains expertes, ont versé une petite larme lorsque Sarah d’un geste sec et précis arrache un petit poil incongru, placé au bord de la narine, autour de la mouche ou sur la pommette. Ou bien tout simplement parce que l’unique barbière de Paris a su « révéler l’homme qui se cache sous la barbe ». « Merci ! » auraient lâché en fondant quelques mâles découvrant, l’œil humide, leurs nouvelles bacchantes dans le miroir. Sarah n’en tire pas d’orgueil, tout à son dévouement pour ses clients, ses « garçons ». Elle est entrée dans la profession comme on entre en religion. D’ailleurs, très tôt, elle a eu la vocation. Petite, dans le jardin de la maison familiale en Kabylie, elle observait deux à trois fois par semaine son grand-père se raser dans un miroir accroché sous un chêne. Elle ne manquait pas un rendez-vous, fascinée par le crépitement de la lame qui « dessinait des autoroutes » à travers la mousse blanche sur la peau mate. La mère de Sarah n’a pas tout de suite partagé la passion de sa fille. Un « Mais c’est un métier de garçon ! » suivi d’un « Passe ton bac d’abord ! » n’ont pourtant pas désarçonné la petite.

Un parcours au poil

Sarah a 8 ans quand sa famille rejoint en France son père qui gère plusieurs hôtels et restaurants. Dans la grisaille parisienne, elle apprend le français à toute vitesse, découvre avec émerveillement la vache qui rit, devient une élève « sérieuse et motivée » et passe son bac. Son père qui ne compte pas ses heures au travail, lui apprend les codes de bonne conduite avec les clients. Sarah parle aujourd’hui d’« héritage » paternel. Elle héritera de sa mère l’intransigeance : « Quoique tu fasses, tu dois être la meilleure. » De la Kabylie à la capitale française, son obsession pour la barbe ne l’a pas quittée. Elle décroche d’abord un CAP puis un brevet professionnel de coiffure. (« Si un barbier vous dit qu’il n’est pas coiffeur, c’est qu’il y a un problème », alerte-t-elle le néophyte). Sarah Daniel-Hamizi travaille pendant 4 ans dans divers salons de coiffure parisiens et décide finalement de franchir le pas, de postuler dans un salon de barbier. Intransigeance oblige, elle frappe à la porte d’un des plus coriaces en la matière : Monsieur Oscan, un barbier turc installé dans le 10ème arrondissement de Paris. « Le jour où tu sais raser un Turc, tu peux raser tous les hommes », lui avait prédit le mentor. Pendant deux ans, elle apprend à tailler le poil turc « d’une densité incroyable » et se plie aux exigences de la clientèle « très à cheval sur les détails ». Car en Turquie, le barbier est une institution pour les hommes qui peuvent s’y rendre tous les jours. Mais les premières semaines ne sont pas faciles. « Une femme ? Jamais une femme ne me touchera ! », avait juré un des clients, sortant furibond du salon. Sarah Daniel-Hamizi comprend et s’adapte. « Lors du rasage, il s’instaure avec les clients un rapport très intime, plus que dans la coiffure. Je passe une lame sous leur gorge, quand même. Les clients se livrent complètement et ils vous appartiennent. » Et puis « le poil, c’est quelque chose d’important pour eux, c’est le symbole de la puissance, de leur virilité », ajoute-t-elle. Sarah Daniel-Hamizi adopte des gestes mesurés, instaure « une distance nécessaire » avec ses clients. Aucun malentendu n’est possible. Elle finit par être définitivement acceptée, y compris par les clients les plus récalcitrants qui tenteront de la dissuader de quitter le salon turc au bout de deux ans. « Ils parlaient de moi jusqu’en Turquie, dans leur famille ». Celle qui avoue s’occuper de ses clients « comme de ses propres gosses » (elle a, d’ailleurs, trois fils et deux beaux-fils) recueille leurs confidences. « Sarah, je vais quitter ma femme, vous en pensez quoi ? », lui ont lâché quelques uns qui ont fini par confondre fauteuil de barbier et divan de psy. Neutralité, silence, dos rond. Sarah passe son tour sur ce genre de questions.

Sarah Daniel Hamizi © Eugénie Baccot/Divergence

Sarah Daniel Hamizi © Eugénie Baccot/Divergence

Une barbière VIP

Encore 4 ans auprès d’un autre barbier parisien, Jean-Louis Bourrasseau, et Sarah décide de prendre son envol. En 2000, elle lance son barbershop « La Barbière de Paris », rue Condorcet à Paris, et se fait petit à petit un nom dans le milieu. Elle brise même quelques tabous – elle propose l’épilation à la cire à ses clients – et développe de nouvelles techniques de rasage comme celui à la vapeur. Et surtout, elle distribue ses conseils avisés : « Je suis une femme, j’ai un regard différent de celui de mes confrères, un regard plus objectif. » Foin de cajolerie, le bouc « à la Brad Pitt » ce n’est pas pour tout le monde, et elle le fait comprendre. Son nom circule dans le tout-paris, et elle rase désormais quelques VIP, du prince saoudien Khaled Al-Saoud (dont elle tira une larme au terme d’une épilation de la narine) au DJ Martin Solveig. Elle intervient également dans le programme télévisé « Nouveau Look pour Une Nouvelle Vie » (sur M6) au côté de Cristina Cordula avec qui elle « s’occupe des barbus ». A chaque lendemain de diffusion, le répondeur du salon sature de messages. « Certains viennent de loin, sans rendez-vous », raconte-elle. Comme cette femme, arrivée de Montpellier avec son mari handicapé, que Sarah accepte de raser à l’improviste. Plus qu’un rasage, la barbière veut offrir un « moment de détente, dans un lieu pour les garçons comme il y en existe peu ». Et son ascension ne semble pas s’arrêter à ce petit salon parisien, en suractivité toute la semaine. Sarah, reconnue comme experte, a signé en 2013 un livre* sur le rasage et a ouvert fin août un nouveau salon de 200m2 en plein cœur de Paris, à deux pas de la Samaritaine. La Barbière n’a pas fini de nous surprendre.

*Barbes et moustaches : Comment les tailler au poil, Larousse, coll. Larousse Attitude.