Sous le soleil, la révolution

3 mai 2008  |  dans France, Société

Photo : Leïla Minano/Youpress

Photo : Leïla Minano/Youpress

Les jeunes trotskystes ont aussi leur camp d’été. De la répartition des tâches aux activités de loisir, la formation politique prend, ici, des formes inattendues.

« Le socialisme dans un seul camping et en une semaine ». Même les organisateurs du camp des jeunes de la IV ème Internationale n’osent y croire. Mais l’expérience est renouvelée depuis 25 ans. Cette année, le campement trotskyste s’est établi du 26 juillet au 1er août dernier dans le Nord de l’Espagne.

Plus de 550 jeunes révolutionnaires, venus du monde entier notamment de Suisse, Espagne, ou même Maroc et Philippines, se sont rassemblés. Soit 22 nationalités représentées. Moyenne d’âge des participants : 20 ans. « Le fonctionnement du camp a en lui-même un but politique », explique Gabriel, militant à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). En clair, hormis les nombreux débats, meetings et ateliers politiques sur différents thèmes tels que le féminisme, l’écologie ou la solidarité internationale, l’organisation du camp transpire la révolution.

A votre arrivée, vous êtes accueilli par un service d’ordre composé de jeunes trotskystes qui contrôle les allers et venues. Normal, ici la règle est celle de l’auto-gestion : du service d’ordre au nettoyage, en passant par la tenue du bar et l’animation de la discothèque, toutes les tâches sont réparties entre les jeunes vacanciers. « Notre projet de société rejette toute forme de domination, poursuit Gabriel. L’auto-gestion participe à cela. » Ce mode de fonctionnement permet aussi à la communauté éphémère de vivre en quasi-autarcie une semaine durant. Il ne manque d’ailleurs rien au confort des « camarades »: bar, piscine, librairie où l’on peut acheter des ouvrages trotskystes, boutiques souvenirs où l’on peut se procurer des T-shirt Che Guevara ou des pin’s Léon Trotsky, discothèque et…banque. Le camp possède sa propre monnaie, le P.O.U.M (du nom d’un parti marxiste catalan né à l’époque de la révolution espagnole en 1935), indexé sur le coût de la vie dans chaque pays. « C’est excitant de mettre en pratique nos idées », s’enthousiasme Debora, suisse allemande de 21 ans appartenant à Aktion Bleiberecht, une association d’aide aux sans-papiers. Avec elle, douze autres compatriotes participent au camp, huit originaires de Suisse allemande et cinq de Suisse italienne. « Ce sont des vacances… mais militantes », corrige Cédric, 23 ans, originaire de Bâle. Le jeune trotskyste, membre du MPS (Mouvement pour le socialisme), court les débats mais préfère – internationalisme oblige – aller à la rencontre d’autres délégations étrangères, pour se « tenir informé des luttes menées hors de la Suisse. »

Une assiduité qui n’est pas celle de tous les jeunes révolutionnaires. A côté de l’atelier « économie marxiste » où, dans une ambiance studieuse, les vacanciers révisent leurs classiques, d’autres s’ébrouent dans la piscine… en scandant des slogans anti-guerre. Réflexes conditionnés de militants ? En tout cas, même dans les loisirs, la révolution n’est jamais loin. Pas envie d’assister à un topo sur la souveraineté alimentaire ? Au choix, vous pourrez entonner quelques chants révolutionnaires dans la chorale, ou jouer au manifestant et à la police dans un cours de désobéissance civile. « Contre les gaz lacrymogènes, rien de mieux que des lunettes de plongée et un foulard imbibé de vinaigre sur la bouche », explique le formateur à un auditoire captivé. Et ne sous-estimez pas la motivation des jeunes trotskystes : pour eux, la formation politique ne se termine pas avec le jour. La nuit, viennent les moments d’expérimentation et de « déconstruction de normes sociales ». Les femmes apprennent lors d’une soirée exclusivement féminine, à se « libérer de l’oppression des hommes » et à « déconstruire le modèle de la femme » grâce à des jeux, et notamment au concours de la « danse du ridicule ». Pour l’occasion, le sex appeal a été remisé à l’entrée de la discothèque. Les participantes se trémoussent en poussant des gloussements, ou se roulent par terre pour les besoins de la chorégraphie. Les plus à l’aise dégrafent leur soutien-gorge. Une soirée qui a des airs de déjà vu… en 1968.

Leïla Minano et Ariane Puccini