Agressions et « ratonnades » en toute impunité : comment la jeunesse d’extrême droite s’organise

12 février 2025  |  dans Enquêtes

La division Martel, fin avril 2023 © DR

Mediapart s’est procuré des échanges de messages inédits qui démontrent qu’une agression raciste a eu lieu en marge de la manifestation néonazie du 6 mai à Paris. Elle résulte d’une politique de la violence, consciente et méthodique, pour laquelle l’extrême droite entraîne des recrues parfois mineures.

Attaques contre des mosquées ou des locaux du Planning familial ; agressions de militants antifascistes ou d’étudiants dans des lycées ou universités ; attaques à l’encontre du maire de Saint-Brévin (Loire-Atlantique) ou d’un militant de La France insoumise à Rochesson (Vosges) : ces derniers mois, les actions violentes de groupuscules d’extrême droite se multiplient.

Mediapart a obtenu une série d’éléments, de communications et d’échanges inédits qui révèlent les coulisses de ces agressions minutieusement préparées et les consignes dispensées par les leaders, entre janvier et mai 2023. Fenêtre sur l’environnement de ces adolescents qui entretiennent une fascination pour les armes, le Troisième Reich et des tortionnaires des guerres coloniales, l’empilement de messages montre comment des militants néonazis aguerris forment les plus jeunes, non seulement à attaquer mais, surtout, à s’organiser pour le faire et le refaire. Sans se faire prendre.
Les images ont choqué. Samedi 6 mai dernier, plusieurs centaines d’hommes aux visages masqués ont marché en rangs dans les rues de Paris, sous une marée de drapeaux noirs floqués de croix celtiques. Le photographe de Mediapart avait dû quitter les lieux sous la protection de la police, après avoir immortalisé la présence de deux anciens trésoriers de Marine Le Pen parmi les manifestants. Le service d’ordre du « Comité du 9-Mai » (C9M) – organisateur de l’événement – lui avait indiqué qu’il n’était « pas en mesure d’assurer sa sécurité ».

Réflexe d’autopréservation

Deux jours plus tard, le préfet de police, Laurent Nuñez, expliquait qu’il s’était refusé d’interdire la marche, incapable de démontrer qu’elle était susceptible de provoquer des « troubles à l’ordre public ». Quant à la préfecture, elle se félicitait : « La manifestation a fait l’objet d’un encadrement adapté par les forces de l’ordre, pour éviter tout risque de débordement ou d’affrontements. »

Selon les éléments dont dispose Mediapart, une agression en groupe, accompagnée de propos racistes et d’appels à la violence, a pourtant été perpétrée le 6 mai, en fin d’après-midi, à quelques encablures du point de dispersion. Parmi les agresseurs, des membres de l’une des formations militantes ayant apporté son concours au service d’ordre du C9M. Au pied du 126, boulevard du Montparnasse (XIVe arrondissement), le samedi 6 mai en fin d’après-midi, un jeune homme est recroquevillé au sol, sur son flanc gauche. Il protège sa tête de ses bras alors que deux hommes – parmi un attroupement d’une dizaine – lui assènent leurs derniers coups de pied à la tête.

Sur le trottoir opposé, une trentaine de personnes, visiblement galvanisées par la manifestation, assistent à la scène. Un homme interpelle les agresseurs d’une invective raciste : « Hey, les gars, on n’est pas avec un bougnoule : c’est un contre un, pas dix contre un, merde ! » De l’autre côté de la chaussée fuse un « Sale Arabe ! » Juste avant l’attaque, le groupe avançait d’un pas décidé vers le métro Vavin en hurlant « Siamo tutti fascisti ! » (« Nous sommes tous fascistes ! », en italien). Certains tendaient le bras, mimant des saluts nazis.

Fortuite, cette agression a provoqué un réflexe d’autopréservation. Très rapidement informé, le Comité du 9-Mai a pris des dispositions : en prévision d’une éventuelle arrestation, l’un des assaillants s’est vu refuser l’entrée au concert qui s’est tenu dans la soirée, afin de protéger les autres participants. « Mal masqué » et ayant laissé certains de ses tatouages visibles, l’homme était identifiable.

Les jours suivants, l’agression a également fait émerger de fortes tensions au sein de l’extrême droite parisienne. Des remontrances ont été adressées aux agresseurs, le soir du 8 mai, par la voix d’un homme qui se présente comme porte-parole et émissaire diplomatique du Comité du 9-Mai et du Groupe Union Défense (GUD) – une formation qui occupe une place centrale et historique dans l’extrême droite française.

Choisir ses cibles et son moment

Dans une note vocale envoyée via Telegram, longue de près de cinq minutes, l’homme qui se présente comme le leader incontestable de la mouvance détaille les règles de ce qu’il appelle « le jeu ». Honoré de l’attention portée par un « chef », un destinataire de la leçon l’a archivée dans la mémoire de son téléphone. Dans son répertoire, l’homme est enregistré comme « Marc Hassin », pseudonyme utilisé par Marc de Cacqueray-Valménier, figure clé de la dynamique de recomposition qui anime la mouvance après les diverses dissolutions qui l’ont visée depuis 2019.

Aujourd’hui associé au GUD, l’homme de 24 ans a déjà été condamné plusieurs fois pour violences et se trouve actuellement sous contrôle judiciaire, comme l’auteur de la note vocale indique l’être. Autre similarité évoquée dans le message : une incarcération l’année dernière, pour violation d’un contrôle judiciaire. Sollicités par Mediapart, Marc de Cacqueray-Valmenier et son avocat n’ont pas souhaité répondre à nos questions.
La première règle consiste à préserver les militants, mais surtout la structure politique – ici le C9M – de toute compromission dans des actions violentes, afin de pouvoir continuer à investir l’espace public. Se référant à l’argumentaire de Laurent Nuñez, le leader explique que « si c’est “juste” un gauchiste qui filme, on peut pas prendre le risque d’avoir des mecs en garde à vue, et de se faire interdire la manif ». Cogner oui, mais sans se faire attraper ni éclabousser la vitrine.

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