Justice: la réforme de Marylise Lebranchu
15 juin 2006 | Ariane Puccini dans France, Société
Marylise Lebranchu était garde des Sceaux entre 2000 et 2002 alors que débutait l’enquête d’Outreau. Toujours intéressée par l’institution judiciaire, elle revient sur les chantiers à mettre en œuvre. Entretien.
TC : Vous deviez, à l’origine, participer à la commission Outreau. Pourquoi avoir démissionné ?
Marylise Lebranchu : J’étais garde des Sceaux entre 2000 et 2002, au début de l’enquête. Je pensais qu’il était de mon devoir de participer à cette commission. Mais j’ai vu que cela posait problème. On pensait que je ne pouvait pas être juge et partie dans cette commission. En tant que garde des Sceaux, à l’époque, j’aurais pu intervenir dans le dossier. Comme cela créait une certaine méfiance chez certains avocats ou journalistes, j’ai préféré partir. D’autant plus que la commission ne débutait pas dans une ambiance sereine. Certains soupçonnaient la commission de connivence avec le gouvernement. Ce qui était impossible tant une commission parlementaire est codifié et contrôlée. Il ne fallait pas, en plus, que la crédibilité de l’enquête parlementaire soit mise en doute en raison de ma présence.
Auriez-vous pu effectivement intervenir lors de l’enquête sur Outreau ?
Il est difficile pour un ministre de la Justice de s’assurer du bon déroulement d’une enquête depuis Paris et sans connaître en détail les éléments du dossier. Les fiches synthèse que je recevais sur les grosses affaires en cours ne laissaient en rien présager l’erreur judiciaire qui se préparait à Outreau. Parmi les centaines de lettres que je recevais chaque jour, il y en avait une de la famille Martel dans laquelle le père et le fils clamaient leur innocence. Elle m’avait alertée et je l’avais transmise au procureur général concerné. Celui-ci m’avait affirmé que l’enquête se déroulait dans les règles. Mais de manière générale, je suis favorable à une justice indépendante du ministère. C’est-à-dire que lors de mon mandat, je ne surveillais pas les affaires individuelles. Je pense qu’il faut laisser une totale liberté aux magistrats. Mon action se situait essentiellement au niveau des instructions politique générale. Celles-ci visent à obliger les procureurs à ne pas classer sans suite certains types d’affaires. J’avais pris des instructions en matière sécurité alimentaire, de pédophilie ou sur le cannabis. Pour les affaires individuelles, je pense qu’il vaut mieux laisser la responsabilité aux magistrats qui connaissent le dossier.
Quel enseignement majeur doit-on tirer de l’affaire Outreau ?
L’accent doit être mis en priorité sur le droit de la défense. Quand un juge d’instruction entend un accusé sans avocat, ce n’est pas normal. Par ailleurs, les avocats commis d’office ne doivent plus être dédommagés, mais rémunérés. Ils doivent pouvoir prendre le temps de préparer le dossier de leur client, surtout quand l’affaire est aussi complexe que celle d’Outreau. Ce qui fait fondamentalement défaut dans notre système. Comment un avocat commis d’office peut-il assurer une défense dans de bonnes conditions ? Quels délais pet-on lui accorder pour qu’il prépare son dossier ? Il s’agit d’avantage de questions d’accès au droit d’organisation judiciaire que de réforme pénal.
Vous n’êtes pas de ceux qui considèrent qu’Outreau a surtout révélé les faiblesses du rôle du juge d’instruction ?
Je crois que l’on s’est un peu trop acharné sur le juge Burgaud. Il faut avoir l’humilité de se demander ce que l’on aurait fait à sa place. Les juges d’instruction ne sont pas psychiatres. Fabrice Burgaud était face à des enfants qui avaient effectivement été violé et qui fabulaient pour construire une réalité plus supportable. Il faut surtout remettre l’expertise en cause et réfléchir à une méthode mieux adaptée pour recueillir la parole des enfants. Mais je continue à dire depuis 2002 que dans le cas d’affaires complexes, la collégialité de l’instruction pourrait éviter les erreurs judiciaires de trois personnes. Pour les affaires plus courantes, le double regard du juge de la détention et des libertés et du juge d’instruction doit suffire.
Mais le principe de collégialité suppose encore plus de moyens. Et c’est ce qui a toujours manqué à la justice.
Donner les moyens à la justice de se réformer, ce n’est pas forcément créer des centaines de postes. Le ministère de la justice s’occupe trop souvent de législation au détriment de l’organisation de l’institution. Il faut en premier lieu soulager les magistrats des tâches inutiles. Chaque nouveau texte de loi implique ou nouvelle obligation pour le magistrats. On peut trouver le moyen de faire fonctionner cette institution avec ses 8 000 magistrats et greffiers fonctionnaires en regardant de plus près le périmètre de compétence de chacun. Il faut réorganiser la carte judiciaire de la France en fonction de la population et de la géographie. L’échevinage, c’est-à-dire le recours à des citoyens assesseurs dans certains procès, pourrait permettre de soulager les magistrats. Pour les petits délits, la part de la médiation peut progresser et permettre de désengorger les tribunaux.
Comment expliquez-vous que la justice soit toujours le parent pauvre du budget de l’Etat ?
Il y a un désintérêt collectif des citoyens pour la justice. Seuls les fait divers qui font la une des journaux les tiennent en haleine. Ce qui n’est pas le cas de la justice dans sa quotidienneté. Ils ne s’y intéressent pas tant qu’il n’y ont pas eu affaire. D’ailleurs, les programmes scolaires traitent très peu du système scolaire judiciaire. Les gens préfère réclamer plus de policiers et de gendarmes que de moyens pour le système judiciaire. La commission a rendu services : elle a permis de montrer aux citoyens jusqu’où peut conduire une justice négligée. De même, les enjeux judiciaires ne sont pas assez compris par les parlementaires. C’est un domaine très technique, abstrait et un peu difficile d’accès. Les députés, par exemple, sont très gênés de se rendre dans les tribunaux de leur circonscription. C’est un peu délicat, en tant qu’élu, d’assister au jugement d’un citoyen sans passer pour un voyeur.
Pensez-vous que la commission Outreau a permis de lever d’autres tabous ?
Oui, en matière de détention provisoire et de présomption d’innocence. La commission d’enquête a permis de faire comprendre que la motivation de la détention provisoire était importante. En France, nous entretenons une culture de l’aveu. La détention sert parfois à faire avouer le suspect. Elle peut aussi, dans certains cas, servir à satisfaire un besoin de vengeance.. Ce qui est compréhensible pour une victime et ses proches. Mais c’est inconcevable dans un pays démocratique avancée comme le nôtre. L’affaire d’Outreau a été la triste démonstration de l’abus de la détention provisoire. Celle-ci ne doit servir qu’à prévenir la dangerosité de certains suspects et à les tenir enfermés le temps de l’instruction.
Touts vos conclusion se retrouvent-elle au Parti socialiste ?
Au PS, nous avons un socle commun concernant notamment la réduction du nombre de détentions provisoires, la collégialité de l’instruction, l’indépendance du parquet vis-à-vis du ministère de la justice à certaines conditions, et l’obligation du ministre de la justice de suivre les recommandations du conseil supérieur de la magistrature pour gérer les carrières des magistrats du parquet. Nous devons permettre au militant de débattre et de réfléchir à ces sujets. L’affaire d’Outreau a amené certains parlementaires à s’interroger pour la première fois sur des points très spécifiques de la procédure pénale. Il faudra du temps pour que ces réflexions mûrissent. Nous ne sommes pas encore arrivés au bout de nos discussions, de toute façon, cette réforme ne se fera pas en trois mois. Il s’agit d’un grand débat, Nous ne devons pas nous contenter d’une inflation des lois et des petites mesures, il faut prendre des options politiques forte pour organiser l’institution.