Sapeurs-pompiers : un mythe souillé
18 avril 2013 | Leila Minano dans Enquêtes
Le dossier que tient l’avocat Rodolphe Constantino entre les mains est lourd. Les faits, s’ils sont avérés, éminemment graves : viol en réunion, viols et agressions sexuelles sur une mineure de moins de 15 ans. Les personnes mises en cause : vingt sapeurs-pompiers de Paris et de sa petite couronne.
Voilà deux ans que sa cliente, aujourd’hui âgée de 17 ans, a déposé plainte, avec ses parents. Peu avant l’été, Me Constantino décide de parler de cette affaire dans la presse.
En plein scandale dit de « l’affaire du bus », à la suite duquel plusieurs militaires de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) ont été mis en examen pour viol, les pompiers voient rouge.
Leur image est un temple que personne ne voudrait voir profané. Les quelque 250 000 soldats du feu répartis sur tout le territoire sont en effet habitués – et attachés – à avoir une excellente réputation. Et pourtant.
Alain est jeune retraité. Il a fait une carrière de pro chez les sapeurs-pompiers. Et il le concède sans détour : « On nous prend pour des héros, des supermen »
« Beaucoup d’hommes pompiers sont attirés par la valorisation sociale que leur offre le métier, surtout vis-à-vis des nanas », estime Laurie (le prénom a été modifié), ancienne sapeur-pompier volontaire dans l’Aveyron. « Les muscles saillants, le gel bien mis en toutes conditions, ce sont des petits coqs. »
« Des sollicitations quotidiennes »
Il suffit d’aller humer l’ambiance électrique d’un bal du 14 Juillet dans une grande caserne du sud-est de la France, pour s’en convaincre. Ce soir-là, plus d’un millier de personnes sont venues se déhancher au son d’une musique de boîte de nuit.
Il est presque 2 heures du matin quand une dizaine de pompiers s’éclipsent dans la salle de gym de la caserne. Quelques pompes et tractions plus tard, les muscles regonflés, l’uniforme ajusté, ils sont portés en triomphe par d’autres pompiers et déposés sur des podiums pour offrir à leur public un strip-tease bouillant.
Le champagne coule sur les torses bombés et épilés de ces Chippendales d’un soir, que viennent caresser frénétiquement les femmes accourues en nombre. Le temps d’une soirée, hébétées, elles tiennent dans leurs bras… LE fantasme.
Plus débridée que d’ordinaire, cette prise de la Bastille ? Pas vraiment. Pour les pompiers, c’est la routine du bal. Une tradition qui « rapporte ». Le représentant national d’un syndicat de pompiers explique en riant : « Le 14 Juillet, vous faites votre marché pour l’année, vous remplissez le répertoire de numéros de téléphone. »
Et le reste de l’année ? Ben, c’est pareil. « Vous n’imaginez pas le nombre de sollicitations dont on fait l’objet. A Paris, c’était quotidien », se souvient le syndicaliste qui a débuté à la BSPP.
Dans l’est de la France, la secrétaire d’une caserne confirme : « On reçoit chaque semaine des mails, des lettres, des coups de téléphone de femmes qui souhaitent prendre contact avec tel ou tel pompier qu’elles ont croisé. »
Elle, goûte peu cet engouement. Au contraire, elle y voit un terrain propice à des « dérives ». Et le lâche tout de go : lorsque « l’affaire du bus » a éclaté, elle s’est sentie « limite contente » que quelqu’un ait eu « le courage de porter plainte pour que la porte s’ouvre un peu ». Elle l’affirme : « J’ai vu des trucs, je continue à en voir. Des comportements lamentables, parfois salaces. »
L’éventail des écarts de conduite est large : de la malheureuse initiative des pompiers de Ribeauvillé (Haut-Rhin) qui croyaient être bien inspirés en posant nus, un gant posé sur le sexe, pour un calendrier 2006 vendu au profit de l’oeuvre des pupilles, aux parties de sexe collectif dans la caserne.
Soirées libertines à la caserne
Michaël s’est engagé à la BSPP en 1995. C’était un rêve de gosse. Mais il a vite déchanté devant les « égarements » de ses collègues sur fond d’alcoolisation : « Dans ma caserne, le 14 Juillet, c’est un quinté qui se prépare. Les poulains se donnent des objectifs. Ils repèrent la fille qui en pince pour le costume, pas farouche. Et c’est parti. Quand elle commence à atteindre un taux d’alcoolémie correct, la séduction naturelle du pompier se voit boostée. Le but ultime est d’amener cette fille dans les chambrées… Ce qui est absolument interdit. Une fois, ils étaient trois à passer sur elle à tour de rôle. Pour moi, c’était une forme de viol. »
Marjorie (le prénom a été modifié), la vingtaine, a longtemps fréquenté une caserne de la région lyonnaise… et ses petites sauteries : « Pendant l’année, alors qu’ils sont de garde, les pompiers appellent des filles pour faire des soirées dans le mess [cantine de la caserne, ndlr]. La musique est à fond, il y a de l’alcool. Et il y en a toujours quelques-unes qui montent [dans les chambres, ndlr], si elles ont envie… »
Une incartade en entraînant souvent une autre, certaines casernes se transforment peu à peu en lieu de libertinage. La Grande Motte, Poitiers, Antibes… Nombreux sont les articles de presse régionale qui relatent comment des pompiers se sont fait épingler par leur hiérarchie alors qu’ils organisaient des partouzes pendant leurs heures de garde, à quatre, dix ou quinze embringués ici, dans une chambre, là-bas, dans un gymnase.