Norvège : ces femmes se battent pour intégrer les forces spéciales

23 janvier 2018  |  dans Femmes

Dans la campagne norvégienne, trois recrues du commando féminin des Jegertroppen (troupes de chasseuses), prêtes pour l’entraînement. © Axelle de Russé

Dans la campagne norvégienne, trois recrues du commando féminin des Jegertroppen (troupes de chasseuses), prêtes pour l’entraînement. © Axelle de Russé

Depuis trois ans, la Norvège entraîne un bataillon de commando exclusivement féminin. Nous avons suivi ces combattantes en plein exercice, avant qu’elles intègrent une unité mixte des forces spéciales.

Au volant de sa Jeep, Anna* met le contact. Fusil d’assaut Famas sur les genoux, elle écrase l’accélérateur et démarre en trombe. Dans les virages serrés, elle braque à droite, puis à gauche. A l’extérieur, les balles claquent, les traînées rouges des fumigènes s’élèvent dans le ciel. Passagères sanglées dans leurs uniformes, Ingeborg* et Mari* restent silencieuses. Le véhicule de guerre kaki freine et dérape. Les trois soldates ouvrent brutalement les portières et s’élancent dans la neige. Elles plongent derrière une carcasse de tank et commencent à tirer en direction d’un immeuble de béton brut. Sur un ennemi imaginaire car, en réalité, personne n’attaque les trois membres de cette unité très spéciale. Nous sommes à deux heures de route d’Oslo, la paisible capitale norvégienne, dans un décor de guérilla urbaine monté de toutes pièces pour l’entraînement des Jegertroppen (« troupes de chasseuses »). Anna, Ingeborg et Mari font partie de cette force spéciale féminine créée il y a trois ans, en même temps que le service militaire « sexuellement neutre », obligatoire pour tous les jeunes citoyens, filles comme garçons. Un groupe d’élite qui pourrait enfin apporter la preuve qu’avec un entraînement approprié les soldates réussissent aussi bien que leurs homologues masculins. Les « chasseuses » pourraient même devenir un modèle pour toutes les armées, au sein desquelles les discriminations et les violences envers les femmes militaires sont encore monnaie courante. L’armée française, la plus féminisée d’Europe (15 %), ne fait pas exception. La révélation d’une série d’abus sexuels avait même provoqué l’ouverture d’une enquête interne en 2014, ordonnée par le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. Pour compléter le tableau, le site Payetontreillis.tumblr.com offre, depuis février dernier, un florilège édifiant des propos humiliants que certaines subissent dans les rangs de l’armée.

Des sportives de haut vol

Il y a trois ans, les forces norvégiennes faisaient face aux mêmes difficultés. Les femmes représentaient 10 % des effectifs seulement, et, confrontées à des difficultés d’intégration, étaient nombreuses à claquer la porte. Cette carence posait problème, par exemple en Afghanistan, où la Norvège a envoyé un contingent. Dans ce pays musulman, les militaires hommes ne peuvent s’adresser aux femmes afghanes. Le pays décide donc de créer et d’entraîner une section féminine dont les membres pourraient intégrer les forces spéciales. Une campagne est lancée et 4 000 courriers sont envoyés à des femmes susceptibles de correspondre aux profils recherchés. Près de 300 Norvégiennes postulent. Pendant plusieurs semaines, les candidates sont testées sur leurs aptitudes physiques et « sur ce qu’elles ont dans la tête, car la force mentale, c’est 90 % du travail, insiste Anders*, leur instructeur. Elles doivent savoir s’orienter, travailler en équipe, apprendre vite ». La sélection est drastique : seules 3 % des candidates sont retenues pour suivre cette formation d’une année, après laquelle elles intégreront, si elles réussissent les tests, une unité mixte.

Ce matin-là, les dix jeunes femmes de la promotion 2016 participent à l’exercice. Agées d’une vingtaine d’années, toutes sont des sportives de haut niveau. Mari a 20 ans et plus de dix ans de handball derrière elle. A l’ombre d’un arbre, à quelques mètres de la zone d’entraînement, la jeune femme aux longs cheveux maintenus par un casque antibruit confie qu’elle a toujours voulu suivre les traces de son père et de son grand-père, militaires de carrière. En formation depuis huit mois, elle apprécie surtout « qu’on ne veuille pas la transformer en homme. On nous laisse être qui nous sommes, avec ou sans cheveux longs. On nous recrute parce que nous sommes des femmes. Nous travaillons sur nos capacités propres ». C’est la particularité du programme des chasseuses : un entraînement basé sur celui des commandos masculins, mais adapté aux femmes. « Les filles naissent avec moins de muscles, elles sont moins fortes physiquement. Nous avons noté qu’elles se blessaient aux genoux à cause du poids de l’équipement. Nous avons donc musclé cette partie du corps, détaille Anders, l’instructeur. Entraîner des femmes à ce niveau-là n’avait jamais été fait avant. J’étais sceptique au début. Aujourd’hui, je crois que c’est le projet le plus passionnant auquel j’aie participé, parce qu’il faut l’adapter en permanence. »

© Axelle de Russé

© Axelle de Russé


« Je sais que je suis au niveau »

L’équipe de scientifiques qui suit le programme compare les performances des recrues avec celles des hommes, dont elles partagent 50 % des entraînements. Elle note par exemple que, si les soldats peuvent porter plus de poids, les soldates récupèrent plus vite. Pour les exercices de tir ou d’orientation, leurs résultats se valent. Pour ce qui est de l’encadrement, le véritable obstacle à la réussite des femmes est… psychologique. « Les Jeger ont moins confiance en elles, déplore leur instructeur. Même quand elles obtiennent des bons résultats, elles trouvent que ça n’est pas assez. »
Les hommes « ont plus d’assurance, sont plus dans la compétition ». C’est dans ces moments-là que la non-mixité s’impose comme une évidence : « Si elles étaient tout le temps avec les hommes pendant les entraînements, elles seraient toujours en bas du classement, commente Anders. Pour la confiance, ça ne marcherait pas. Ici, on leur laisse le temps d’arriver au niveau. » Wendela*, 23 ans, se tient un peu à l’écart de la troupe qui vient d’allumer un barbecue. La jeune femme à la longue tresse blonde est une « ancienne » : elle a fait partie, en 2014, de la première promotion, et vient d’intégrer une unité des forces spéciales norvégiennes. « Quand je les regarde, je suis nostalgique, confie-t-elle, les yeux dans le vague. Ça a été la plus belle année de ma vie. »
Elle regrette ce cocon, car l’intégration dans sa première unité n’a pas été de tout repos : « Certains hommes me disaient que je n’avais rien à faire là ou me faisaient des propositions à caractère sexuel. » Mais Wendela n’a pas l’intention de renoncer : « Avec mon entraînement, je sais que je suis largement au niveau. » Et de conclure : « Il y a encore un long chemin à parcourir pour que nous soyons vraiment acceptées. Mais ici, nous accomplissons le premier pas. »

* Les prénoms ont été modifiés.

Des femmes dans la bataille

Loin de la Scandinavie, des bataillons de femmes se battent sur le terrain. Les forces kurdes s’appuieraient ainsi sur quelques milliers de combattantes, réunies au sein d’unités 100 % féminines. Entraînées dans un cadre non mixte, ces volontaires sont en première ligne, en Syrie et en Irak. En parallèle, des femmes dirigent des unités masculines. On a par ailleurs beaucoup parlé des Amazones de Kadhafi, quelques dizaines de femmes présentées comme les gardes du corps du dictateur libyen. Après la chute de ce dernier en 2011, il s’est avéré que certaines d’entre elles servaient d’esclaves sexuelles au tyran.