« La compétition, moteur commun de l’agriculture productiviste et du sport »

24 juillet 2008  |  dans France, Société

Interview de Lilian Ceballos, Docteur en pharmacologie et en écologie, consultant scientifique, chercheur indépendant et participant à l’AlterTour. L’AlterTour défend « une planète non dopée », et dénonce notamment une agriculture « dopée » aux engrais. N’est-ce pourtant pas grâce à ces technologies que l’on a pu nourrir la population après la Deuxième Guerre Mondiale ?

En effet, après la Deuxième Guerre Mondiale, le monde s’est trouvé face à une urgence : nourrir la population. C’est à ce moment-là que l’agriculture s’est modernisée et restructurée. Le travail de la terre a changé avec la mécanisation, l’utilisation des intrants (les engrais, les fongicides, les insecticides, etc.) et de graines qui répondent bien à ces nouvelles substances. Dans les années 60, le but était atteint : l’agriculture pouvait nourrir la population. Mais je pense qu’elle aurait dû changer de priorité à cette époque et opérer un tournant, de la quantité à la qualité de la production. Aujourd’hui, ces agricultures productivistes et subventionnées ont distordu les relations commerciales nord/sud et ont détruit les cultures vivrières dans les pays du sud, exacerbant notamment la sévérité des crises alimentaires comme on le constate aujourd’hui.

Agriculture productiviste et produits dopants, quel est le parallèle que tente de faire l’AlterTour de France, selon vous ?

Aujourd’hui, le sol est considéré comme un support inerte, une éponge qui absorbe les intrants. On ne compte plus sur les processus naturels du sol et de la nature qui étaient la base de l’agronomie, comme par exemple le recyclage naturel des matières organiques. Grâce à ce procédé, le sol s’enrichit naturellement d’azote et de carbone libéré par les micro-organismes que renferme le sol. Je défends une vision systémique de l’agriculture qui privilégie une conception de la nature comme un tout qui peut se développer gratuitement si on respecte les équilibres biologiques. Dans le sport, le rapport au corps de l’athlète suit la même logique que l’agriculture productiviste. Le corps du sportif, pour certains médecins, n’est plus qu’un support auquel on ajoute des substances qui permettent d’améliorer les capacités physiques et de dépasser les limites physiologiques. Mais en réalité, c’est mettre en danger l’équilibre naturel du corps. Prenons l’exemple du pot belge, un cocktail de produits dopants qui associait entre autres de la cocaïne et de la morphine. La cocaïne permet d’augmenter les capacités physiques et la morphine de masquer la douleur. Ce cocktail a fait des victimes car les athlètes ne sentaient plus la douleur, ce signal d’alerte qui met en garde lorsque l’effort physique est trop intense.

La compétition, que dénonce également l’AlterTour, serait l’origine de cette logique appliquée aussi bien au sport qu’à l’agriculture ?

Oui, la compétition est le moteur commun que l’on retrouve aussi bien dans l’agriculture productiviste que dans le sport. Par exemple, dans l’agriculture, on considère que les « mauvaises » herbes et les cultures agricoles sont en compétition. Mais ces herbes peuvent être utiles au développement des cultures (en abritant les ennemis naturels des ravageurs). Au Kenya, on a pu maîtriser la pyrale du maïs en plantant entre les rangées de maïs et autour des plantes locales (Desmonium et Pennisetum). L’odeur émise a détourné les pyrales des plants de maïs et les molécules libérées par les racines de Desmodium a inhibé la germination du Striga, une plante parasite, qui étouffe le maïs. C’est un exemple de ce que permet la coopération dans la nature. De la même manière, l’AlterTour promeut la coopération plutôt que la compétition sportive par un système de relais qui permet à tous de participer. La victoire est ainsi collective.