L’alterTour, la grande boucle de la biodiversité

24 juillet 2008  |  dans France, Société

Photo : Leïla Minano/Youpress

Photo : Leïla Minano/Youpress

Depuis le 3 juillet, les quarante cyclistes de l’AlterTour sillonnent les routes de France. Objectif : 2700 km en 3 semaines. Un véritable « contre la montre » pour la biodiversité. De quoi faire pâlir les coureurs du « vrai » Tour de France. Cyclo-reportage.

Vous les avez peut-être aperçus. Au détour des gorges de l’Ardèche, sur le marché bio d’un petit village ou dans les rues de Lyon. Si, Si, … la quarantaine de cyclistes avec des T-Shirts verts, suivis d’un autocar multicolore… C’était bien la caravane de l’AlterTour qui parcourt les routes de France depuis 3 semaines. 2700 kilomètres de parcours et autant de coups de pédales « pour la biodiversité et une agriculture non-dopée ». Sur le chemin des vacances, vous avez peut-être croisé Christopher, 17 ans, dans une de ses fabuleuses échappées. Dans une descente, vous avez surement été doublé par Isidore et Honoré, deux militants burkinabés. A des kilomètres de là, sur un chemin de campagne, peut-être avez-vous salué le peloton des volontaires Emmaüs, Charlie et Aude, venus défendre les couleurs de leur festival « propre ». Difficile de confondre les « groupettos écolos » avec les coureurs de la Grande boucle qui au même moment défi le temps à grands renforts de bus publicitaires. Ici, pas de caravanes Festina ou Crédit Agricole, encore moins d’hélicoptères et de motos à journalistes. Sur la ligne d’arrivée de l’AlterTour, point de Maillot jaune, mais un T-Shirt vert pour tous les coureurs. Rien d’étonnant : dans les rangs du premier relais cycliste non-dopé, la compétition est prohibée. « Ici, tous le monde passera la ligne d’arrivée en même temps », résume Dom de Chevreuse, un des organisateurs.

« Une manifestation festive et écologiste »

Alors qu’il accroche une banderole au point de relais, ce militant de la Confédération paysanne explique : « nous voulions aller à la rencontre du public pour défendre la culture et l’élevage paysan ». Et par un heureux hasard, il y a un an, un intervenant de la Confédération paysanne fait une comparaison entre le dopage sportif et le dopage des cultures aux OGM. L’idée de l’AlterTour est née. Les fondateurs se servent donc de l’ultra-médiatique Tour de France comme d’un prétexte pour réaliser « une autre manifestation, festive et écologiste et dénoncer les dérives de l’esprit de compétition ». S’ensuivent neuf mois de travail acharné pour l’équipe d’Alter-campagne, l’association à l’initiative de l’évènement. « Nous étions 5 ou 6 lors des réunions mensuelles de préparation à Paris et il y avait une centaine de personnes investies localement, raconte Dom de Chevreuse. C’était un pari risqué car nous n’avons su qu’au dernier moment que nous avions un financement ». La recette est pourtant maigre : sur des dizaines de dossiers envoyés, l’organisation n’obtient qu’une seule réponse positive, 15 000 euros de la Fondation de France. Par la suite, une vingtaine de partenaires, majoritairement des associations écologistes, apporteront un soutien logistique à l’opération.

Contrôles anti-dopage inopinés

Mais déjà, Martine et Ferré, le couple de « cyclistes couchés » (des vélos où le coureur est allongé), arrivent sur le relais. Dom les accueille, tout sourire. A peine le temps d’échanger quelques mots que Christopher, Isidore et Honoré passent, eux aussi, la ligne d’arrivée. Au bout d’une demi-heure, tout le monde est là. Ici, tous les participants s’attendent à chaque relais. Le porteur du maïs-témoin, « un épi sans OGM » qui circule sur tous le parcours, passe le flambeau. Sur le trajet, Pascal, militant d’une association pour la réhabilitation de l’étang de Berre, a ramassé deux feuilles de maïs. A l’AlterTour aussi, il y a des contrôles « anti-dopage inopinés ». Si la présence d’OGM est détectée dans ces échantillons, les agriculteurs fautifs seront dénoncés.

L’Alterbus de la biodiversité

Pour le peloton il est temps de repartir, le timing est serré. Tabac, Guarana, Cannabis, Café… toutes les alter-cyclettes baptisées pour l’occasion, s’élancent vers la prochaine étape. Les coureurs fatigués abandonnent leurs montures et grimpent dans l’Alterbus. Des rideaux oranges, des sièges recouverts de tissu vert écossais, cet autocar de transport scolaire à la retraite a du rouler dans les années 70. Sur les flancs du bus, des montagnes et des marguerites éclatantes se découpent dans un ciel bleu azur et à l’arrière, un arc-en-ciel multicolores attire le regard des passants. Le résultat d’une nuit de travail pour un compagnon d’Emmaüs artiste-peintre. Un coup de neuf qui n’a pas empêché les passagers de pousser le bus à plusieurs reprises. Une panne d’Alter-nateur… « Rien de bien grave », selon Jean-Pierre, un mécanicien qui milite pour une société sans voiture. Derrière le véhicule, Ivan et Benoit, étudiants en sport, ramassent les flèches directionnelles. Déjà colocataires, rêvent de vivre dans une communauté écolo. Activistes, exploitants bio, faucheurs volontaires, ou militant pro-tibétains, dans la colonne de l’AlterTour, chaque coureur a une bonne raison de pédaler et personne n’est là pour gagner. La fin de l’étape approche, il est déjà 20 heures. Il faut se presser de monter la tente, de manger (bio, évidemment) pour assister à la conférence quotidienne. L’auditoire, exténué par les kilomètres avalés, a quelquefois du mal à garder les yeux ouvert pendant l’exposé. Il est vrai que les programmes de ce marathon physique et politique sont ultra-chargés. « Nous en tiendront compte pour l’année prochaine », réplique l’organisation lors d’une « assemblée générale » des coureurs. Et oui, devant le succès de l’opération, il est déjà question d’une deuxième édition.

« La compétition, moteur commun de l’agriculture productiviste et du sport »

Interview de Lilian Ceballos, Docteur en pharmacologie et en écologie, consultant scientifique, chercheur indépendant et participant à l’AlterTour.

L’AlterTour défend « une planète non dopée », et dénonce notamment une agriculture « dopée » aux engrais. N’est-ce pourtant pas grâce à ces technologies que l’on a pu nourrir la population après la Deuxième Guerre Mondiale ?

En effet, après la Deuxième Guerre Mondiale, le monde s’est trouvé face à une urgence : nourrir la population. C’est à ce moment-là que l’agriculture s’est modernisée et restructurée. Le travail de la terre a changé avec la mécanisation, l’utilisation des intrants (les engrais, les fongicides, les insecticides, etc.) et de graines qui répondent bien à ces nouvelles substances. Dans les années 60, le but était atteint : l’agriculture pouvait nourrir la population. Mais je pense qu’elle aurait dû changer de priorité à cette époque et opérer un tournant, de la quantité à la qualité de la production. Aujourd’hui, ces agricultures productivistes et subventionnées ont distordu les relations commerciales nord/sud et ont détruit les cultures vivrières dans les pays du sud, exacerbant notamment la sévérité des crises alimentaires comme on le constate aujourd’hui.

Agriculture productiviste et produits dopants, quel est le parallèle que tente de faire l’AlterTour de France, selon vous ?

Aujourd’hui, le sol est considéré comme un support inerte, une éponge qui absorbe les intrants. On ne compte plus sur les processus naturels du sol et de la nature qui étaient la base de l’agronomie, comme par exemple le recyclage naturel des matières organiques. Grâce à ce procédé, le sol s’enrichit naturellement d’azote et de carbone libéré par les micro-organismes que renferme le sol. Je défends une vision systémique de l’agriculture qui privilégie une conception de la nature comme un tout qui peut se développer gratuitement si on respecte les équilibres biologiques. Dans le sport, le rapport au corps de l’athlète suit la même logique que l’agriculture productiviste. Le corps du sportif, pour certains médecins, n’est plus qu’un support auquel on ajoute des substances qui permettent d’améliorer les capacités physiques et de dépasser les limites physiologiques. Mais en réalité, c’est mettre en danger l’équilibre naturel du corps. Prenons l’exemple du pot belge, un cocktail de produits dopants qui associait entre autres de la cocaïne et de la morphine. La cocaïne permet d’augmenter les capacités physiques et la morphine de masquer la douleur. Ce cocktail a fait des victimes car les athlètes ne sentaient plus la douleur, ce signal d’alerte qui met en garde lorsque l’effort physique est trop intense.

La compétition, que dénonce également l’AlterTour, serait l’origine de cette logique appliquée aussi bien au sport qu’à l’agriculture ?

Oui, la compétition est le moteur commun que l’on retrouve aussi bien dans l’agriculture productiviste que dans le sport. Par exemple, dans l’agriculture, on considère que les « mauvaises » herbes et les cultures agricoles sont en compétition. Mais ces herbes peuvent être utiles au développement des cultures (en abritant les ennemis naturels des ravageurs). Au Kenya, on a pu maîtriser la pyrale du maïs en plantant entre les rangées de maïs et autour des plantes locales (Desmonium et Pennisetum). L’odeur émise a détourné les pyrales des plants de maïs et les molécules libérées par les racines de Desmodium a inhibé la germination du Striga, une plante parasite, qui étouffe le maïs. C’est un exemple de ce que permet la coopération dans la nature. De la même manière, l’AlterTour promeut la coopération plutôt que la compétition sportive par un système de relais qui permet à tous de participer. La victoire est ainsi collective.

L’AlterTour : « voir et rencontrer », mais pas seulement…

A Mirabel, village ardéchois, l’invasion par les petits hommes verts de l’AlterTour de France n’a pas eu lieu. Les rues sont désertes. A peine quelques touristes lâchés par un car s’aventurent dans les rues ombragées de la citadelle. Il est midi, les habitants du village, se pressent au marché d’Aubenas, à quelques kilomètres de là. Un calme qui ne laisse pas présager de l’arrivée imminente de l’AlterTour de France pour l’étape de la mi-journée de ce deuxième jour de relais. « Ah, non… connais pas » ou « L’AlterTour ? Je n’en ai pas entendu parler », répondent les rares habitants croisés dans le village.

L’annonce du tour de France alternatif n’a pas fait grand bruit, malgré un article publié le matin dans le Dauphiné Libéré. Le peloton de l’AlterTour après 45 km de routes départementales avalés sous le zénith ne montera pas jusqu’au sommet de la colline où se tient la citadelle. En fait, l’objectif de l’étape se trouve au pied du village : le lycée agricole Olivier de Serres, du nom de ce noble du XVIéme siècle considéré comme le « père de l’agriculture ». L’établissement, déserté par les élèves pour cause de vacances, propose notamment dans le cadre du Brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole (BPREA) un module en agriculture biologique. « Je n’ai pas pu refuser, dit en souriant Bernadette Laville directrice du Lycée. C’était une demande d’un des organisateurs qui est aussi un de mes anciens élèves. » Une visite qui pourtant a nécessité des discussions entre la directrice et les organisateurs de l’AlterTour. « Je ne voulais pas que ce soit une occasion de revendications », explique Bernadette Laville. « Nous sommes seulement venus pour voir et rencontrer », a promis Dominique Béroule, un des organisateurs de l’AlterTour.
13 heures : les premiers t-shirts verts des altercyclistes arrivent dans l’allée qui mène jusqu’à l’accueil du lycée. Les relayeurs, fatigués et cramoisis, suivent la directrice jusque dans la ferme caprine du lycée. Attentifs, ils écoutent l’exposé. 120 chèvres, 1000 litres produits par an. Pas de revendication, certes…mais ici et là, les remarques fusent. « 1000 litres, c’est un intensif, çà ! », lâche une altercycliste. « Comment çà ? Seulement une seule traite par jour ? Mais il en faut deux ! », s’exclame une autre. Présentation d’une expérience menée sur l’alimentation des chèvres et sur la comparaison de la qualité du lait de celles qui sont élevées en extérieur et de celles en intérieur. Jean-Pierre Berlan, ancien chercheur à l’INRA, participant au tour, fulmine dans son coin : « Cette façon d’envisager le monde vivant n’a pas de sens. La biologie, c’est le domaine de l’interaction. La formation est à côté de la plaque. » Visite des enclos où sont enfermées les chèvres, en plein soleil. « Ce n’est pas normal de laisser ces bêtes sans ombres ! – Il y a quelques cyprès un peu plus loin dans l’enclos », rétorque Bernadette Laville. Le soleil tape sur les visiteurs. L’un d’eux ose et lâche : « C’est quand, l’apéro ? ». Quelques rires étouffés et le tour se termine devant le buffet bio prévu par les organisateurs de l’Altertour.