« Des tirs, des maisons qui brûlaient, on s’est enfuies »

12 avril 2011  |  dans International

Des réfugiés ivoiriens arrivent à l'école de Janzon au Liberia, le 24 mars 2011 - Crédit Juliette Robert/Youpress

Des réfugiés ivoiriens arrivent à l'école de Janzon au Liberia, le 24 mars 2011 - Crédit Juliette Robert/Youpress

Tempo (Liberia), correspondance. Face à l’offensive déclenchée par les forces armées d’Alassane Ouattara dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, 112 000 Ivoiriens ont trouvé refuge au Liberia depuis décembre. Au poste frontière de Tempo, tous témoignent de violences et de massacres.

Ils arrivent par centaines, traversant sans relâche la rivière qui sépare la Côte d’Ivoire du sol libérien. Le petit poste frontière de Tempo, au nordest du Liberia, est devenu ces dernières semaines un des principaux points de passage des réfugiés ivoiriens. Sur la berge, la plupart des nouveaux arrivants ont fui Duékoué, ville conquise le 29 mars par les Forces républicaines d’Alassane Ouattara, le président ivoirien reconnu par la communauté internationale. Hébert Dehi est arrivé la veille à Tempo, après trois jours de marche en brousse. Terrorisé, il craint pour sa famille restée sur place. « Ma femme, ma mère et mes quatre enfants se sont réfugiés à la mission catholique. Moi j’étais sorti de la maison quand les combats ont commencé, donc je n’ai pas pu m’enfuir avec eux. C’est la catastrophe là-bas, il faut nous aider. Il faut que l’ONU intervienne pour faire cesser cela », supplie-t-il. Plusieurs organisations internationales ont accusé les Forces républicaines d’Alassane Ouattara d’avoir commis des massacres lors de la conquête de Duékoué. La Croix-Rouge annonçait vendredi un bilan de 800 morts dans des « violences intercommunautaires ». L’ONG catholique Caritas estime pour sa part qu’il y aurait un millier de morts et disparus. L’Onuci, la force de l’ONU en Côte d’Ivoire, ne comptabilise quant à elle que 330 morts dans son « bilan provisoire ». Mais elle tient les miliciens pro-Ouattara pour responsables de la plupart des décès, les mercenaires pro-Gbagbo ayant de leur côté perpétré une centaine d’assassinats.

Beaucoup de familles déchirées

Les réfugiés, eux, ont parfois du mal à faire la différence entre les hommes des deux camps. Tous parlent de « rebelles », mais certains n’arrivent pas à savoir pour quel président ils se battent. Marinette, dix-sept ans, a fui Duékoué plusieurs jours avant l’offensive des forces pro-Ouattara. Le jour de son départ, la ville était tenue par des mercenaires pro-Gbagbo. « J’étais en classe avec ma soeur, raconte-t-elle. Notre école est située à la sortie de Duékoué, un peu en hauteur. Tout d’un coup, on a entendu des tirs, puis on a vu des maisons brûler. Je ne sais pas qui combattait. On s’est tout de suite enfuies, on n’a même pas cherché à retrouver nos parents. » Aujourd’hui réfugiée à Tempo, elle ne sait pas où se trouvent ses proches. Dans leur fuite, beaucoup de familles se retrouvent ainsi déchirées. À Janzon, un autre village frontalier, une femme arrive de Guiglo, une ville ivoirienne conquise par les forces pro-Ouattara. Épuisée après une journée de marche, elle s’effondre en larmes au milieu de ses proches : elle a égaré son fils lors de sa fuite. Près d’elle, Julien Tiléhi est désemparé. Originaire de Toulepleu, ce planteur de cacao a conduit une quarantaine de personnes à travers la brousse jusqu’au village de Janzon. Aujourd’hui, il ne sait comment subvenir à leurs besoins. « Le chef du village nous a prêté l’école, mais il n’y a rien à boire ni à manger ici, c’est trop pauvre. Les villageois essaient de nous aider, mais nous sommes trop nombreux », se désole-t-il. Bourgade d’un millier d’habitants, Janzon accueille désormais plus de 7 000 réfugiés.

L’impatience des ivoiriens de retourner chez eux

Depuis le début de la crise, les Libériens font preuve d’une solidarité remarquable. Malgré leurs faibles moyens, ils partagent avec les Ivoiriens leurs maisons, leurs récoltes et leur eau. « J’ai été moi-même réfugié en Côte d’Ivoire pendant la guerre civile au Liberia. Je ne peux pas leur fermer la porte aujourd’hui », témoigne ainsi Samuel Leaman, un habitant de Butuo. À ses côtés, Valence Bogou, un réfugié de vingt-deux ans, espère rentrer au plus vite chez lui. « J’ai voté, j’ai fait mon devoir de citoyen. Peu m’importe que ce soit Gbagbo ou Ouattara qui gagne, je veux juste que la paix revienne », assure le jeune homme. Alors que nous discutons, une clameur s’élève soudain au loin. Dans un brouhaha de cris et de chants, une centaine de réfugiés se sont mis à danser et à s’embrasser sur la place du marché. « Gbagbo a quitté le pouvoir, ils l’ont dit à la radio ! », crient des vendeuses. Pendant une heure, les réfugiés de Butuo vont croire que la guerre est finie. Mais ce n’était qu’une rumeur, la radio n’annonçait en fait que la prise – temporaire — de la RTI, la télévision d’État, par le camp Ouattara. Cette explosion soudaine de joie témoigne de l’impatience des Ivoiriens de retourner chez eux, dans un pays enfin débarrassé de ses querelles intestines.