Lycée, collège : Comment l’Education Nationale organise la précarité

26 septembre 2011  |  dans France, Société

© Ariane Puccini/Youpress

© Ariane Puccini/Youpress

Professeurs en CDD, les non-titulaires de l’Education Nationale servent de « variables d’ajustement » dans un contexte de suppression massive de postes.

 
« Cherche professeur de collège/lycée en CDD pour la rentrée 2011 ». Les annonces qui paraissent via Pole Emploi à la demande de l’Education Nationale pourraient être rédigées ainsi…Car cela devient une habitude : les rectorats font de plus en plus appel à des professeurs non-titulaires.
 
Ceux-ci ne sont pas fonctionnaires, n’ont pas passé de Capes, et doivent sans formation adéquate mais à condition d’être titulaire d’un bac + 3, dispenser des cours à des collégiens et lycéens. A la rentrée 2010, les salles des profs comptaient en moyenne 6% de non-titulaires, soit 32000 professeurs dans l’enseignement privé et public. Une tendance à la hausse sur les 6 dernières années scolaires : dans le public, le nombre de non-titulaires a bondi de plus de 60%. Tandis que sur la même période, le nombre d’admis aux concours dans l’enseignement public a reculé de 40% et que 16000 suppressions de postes sont annoncées à la rentrée 2011, le recours aux professeurs non-titulaires ne surprend pas les syndicats.
 
« Variables d’ajustement » pour l’Education Nationale, selon eux, les professeurs non-titulaires assurent les remplacements ponctuels mais aussi occupent des postes qui n’ont pas été pourvus par les concours. « Pour certaines matières, les concours ne sont simplement pas ouverts alors que l’enseignement existe », explique Matthieu Brabant, responsable du collectif non-titulaire de la CGT Educ’action. Sur l’académie de Créteil, championne métropolitaine en matière de précarité des professeurs, le nombre de non- titulaires représente 10% de l’ensemble des enseignants. « Cela a des conséquences sur la qualité de l’enseignement, explique Dominique Chauvin, co-secrétaire général du SNES Créteil. Parce que ce sont des gens qui n’ont pas de formation professionnelle (dans l’éducation, NDLR). Ce sont également des personnels qui ne sont pas sûrs d’être en poste l’année suivante. »
 
« Ils sont dans l’insécurité morale permanente et subissent de fréquentes interruptions de paie, détaille Eric Degorce, secrétaire adjoint Force ouvrière pour l’académie de Créteil. Par exemple, un vacataire qui aurait commencé à travailler le 1er janvier peut espérer toucher un acompte fin mars. » Car face à la précarité, les non-titulaires ne sont pas tous égaux. Les vacataires ne sont payés qu’à l’heure enseignée pour un maximum de 200h par an, et ne bénéficient pas d’indemnités chômage. Les contractuels signent un contrat pour un certain nombre d’heures sur un an maximum, et bénéficient d’indemnité au chômage. Enfin, il existe des professeurs non-titulaires en CDI, qui ont cumulé 6 ans de CDD sans interruption. Pour autant, ils n’ont pas le même statut qu’un collègue titulaire : s’ils ne sont affectés à aucun poste, ils ne touchent que 70% de leur salaire.
 
Une situation que Mme Elyasmino, professeur de lettres classiques depuis 20 ans, connaît bien. Elle n’a pas obtenu son Capes après plusieurs tentatives. « Et puis, je ne vois pas ce que je dois encore prouver. Chaque année, le rectorat me rappelle. » Sanaa Tanouti, également contractuelle, enseigne l’anglais depuis 2000. Elle n’espère pas obtenir un jour le Capes : étant marocaine, elle n’est pas autorisée à se présenter aux concours. Fatiguée de jongler avec les emplois du temps de plusieurs établissements, de l’angoisse des rentrées sans affectations, elle s’est décidée à préparer un doctorat en phonétique générale. « C’est dommage, j’aurais préféré enseigner dans le secondaire », soupire-t-elle.
 
Et pourtant, cette situation a semblé émouvoir Nicolas Sarkozy en janvier 2010, lors d’une émission « Face aux Français » sur TF1. Devant les inquiétudes d’un professeur précaire, il s’était dit « prêt à envisager la titularisation progressive » de ces enseignants. Une loi devrait ainsi être examinée dès l’automne au parlement, pour un vote fin 2011. Les syndicats d’enseignants sont sceptiques : ils ne savent pas combien bénéficieront de cette titularisation, mais ils savent déjà que 16000 autres postes seront supprimés à la rentrée 2012.